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Grand Angle  

Diaspo #295 : Mustapha Zem, sur les pas retrouvés d’une nouvelle vie grâce à l’écriture

Auteur du roman «Les pas perdus» (éd. JC Lattès), Mustapha Zem a trouvé dans l’écriture de son premier opus une voie vers la guérison, après une chute grave l’ayant mené au coma, puis à la perte de l’inhibition. Son frère, l’acteur et réalisateur Roschdy Zem, en a fait le film «Les miens». Désormais, Mustapha a troqué son costume de directeur financier contre le stylo et le papier, décidé à se lancer dans de nouveaux projets d’écriture.

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Mustapha Zem et son frère Roschdy Zem / DR.
Temps de lecture: 6'

Né à Gennevilliers avant de grandir dans une cité à Drancy, de parents marocains installés en France depuis les années 1960, Mustapha Zem a vécu au sein d’une famille de trois frères et de deux sœurs, son père travaillant dans le bâtiment. Depuis son enfance, il a développé un lien très fort avec sa mère, précocement affaiblie par des dysfonctionnements rénaux. «Ma mère était très malade et ceci l’a beaucoup fragilisée. Sa santé m’a souvent inquiété et j’ai toujours vécu avec la peur de la perdre. Je me disais que si elle mourrait, mon père nous enverrait au bled avec mes frères et sœurs. J’étais très proche d’elle et je me suis occupé d’elle tous les jours. De son côté, elle a fait de sa maladie et de sa souffrance quelque chose qui a fait grandir son cœur et elle a été tout en amour», a-t-il confié à Yabiladi.

Mustapha Zem estime que c’est grâce à la présence d’une mère aimante et d’un père aussi travailleur que charismatique que la fratrie ne sombre ni dans la drogue, ni dans la délinquance. «Notre père a été pour nous une figure de fermeté et de discipline, qui nous a inculqué l’idée que c’est avec les études et le travail qualifié que nous sortirons de la cité», souligne-t-il. Il se rappelle aussi que le contexte socioéconomique de son enfance est différent de celui d’aujourd’hui. «La cité a été habitée à près 70% par des familles françaises non-immigrées. Nous avons vécu aussi avec des familles maghrébines, portugaises, italiennes, espagnoles, polonaises et sépharades. Nous étions des foyers en plein emploi, avec au moins un parent qui travaille. A l’époque, un ouvrier pouvait faire vivre une famille de quatre enfants sans être dans la pauvreté», se souvient-il. Pour lui, «tous ces aspects font le vivre-ensemble qu’il y a eu dans la cité, où on a fréquenté des voisins de diverses origines et qui ont tous été proches les uns des autres, sans ghettoïsation».

Petit à petit, les familles non-immigrées quittent la cité pour rejoindre des pavillons achetés. A partir des années 1970 et 1980, Mustapha Zem se rappelle des conséquences de la crise pétrolière, avec une montée du chômage et une mobilisation de nouveaux travailleurs issus de l’immigration mais précarisés. «A mes 15 et 16 ans, j’ai assisté à l’introduction de la drogue dans la cité, la montée de la délinquance et le début du prosélytisme qui fait poindre la question religieuse, à partir des années 1990», nous a-t-il déclaré. Pour autant, sa scolarité se déroule sans difficultés, jusqu’au baccalauréat. Il rejoint ensuite l’université, où il obtient un DESS en finances. Tout au long de ce parcours, il lui a cependant été nécessaire de payer ses études lui-même.

«Parallèlement à l’université, j’ai travaillé dans les chantiers de construction avec mon père, tous les samedis et pendant les vacances, pour avoir mon argent de poche. J’ai fréquenté donc le monde ouvrier et j’ai connu le regard des autres sur ces personnes. Avec ce que j’ai gagné, je n’ai cependant manqué de rien, j’ai pu payer mes études, mon transport, parfois des week-ends. Il faut s’accrocher lorsqu’on est fils d’ouvrier, car on peut y arriver, mais ce sera un long chemin.»

Mustapha Zem

Un parcours tout tracé dans la finance

Une fois diplômé, Mustapha travaille en PME dans la gestion comptable et financière, avant de prendre son envol pour Dubaï, en 1996. Il y est mobilisé auprès d’un distributeur exclusif de produits de luxe français dans le Moyen-Orient. «Contrairement à ce que je pensais, ma culture arabe n’a pas été un plus, vu que je ne suis pas arabophone. Je suis reparti déçu au bout d’un an, mais j’ai pu intégrer très vite des groupes à dimension internationale, où je suis devenu directeur financier bilingue», se rappelle-t-il. Evoluant au sein d’entreprises internationales, il se dit fier de ses collaborations dans l’environnement professionnel anglosaxon, «où l’on ne se pose absolument pas la question des origines des cadres, des salariés ou des partenaires».

«Contrairement à l’assignation qui revient, dans le monde professionnel en France, lorsqu’on est enfant d’immigré, j’ai évolué dans un microcosme qui met en avant la compétence qu’on peut apporter à l’entreprise, sans aucune considération communautaire», se souvient l’auteur. Parallèlement à ce parcours tout tracé, Mustapha Zem s’est passionné pour les mots, depuis ses douze ans. Son grand frère lui offre une guitare et contrairement à ses amis qui s’intéressent à Jimi Hendrix, il a jeté son dévolu sur George Brassens, Claude Nougaro ou encore Jacques Brel.

«J’ai aimé jouer avec les mots à travers la chanson, qui m’a appris la magie du verbe. Dans mon métier de directeur financier, j’ai été pointilleux aussi avec mes équipes sur la rédaction. Ayant un talent particulier par ailleurs pour bien garder les souvenirs de l’enfance, les anecdotes et les détails passés, je suis considéré comme un placard à archives de la famille. J’ai donc décidé de coucher tout cela sur papier… Il y a cette magie dans les mots, qui nous plonge dans l’écriture comme dans une trance.»

Mustapha Zem

En mai 2020, la vie de l’auteur bascule. Une chute très grave le conduit au coma pendant cinq jours. Son lobe frontal n’en est pas sorti indemne. Par conséquent, Mustapha souffre du «syndrome de sans filtre» qui lui fait perdre l’inhibition. Commence alors une longue traversée du désert, autant sur le plan professionnel que personnel. «Je me suis fait virer de mon poste, j’ai vécu un divorce et la vie me jetait tout simplement à terre», résume-t-il. «Il a fallu remonter la pente et l’écriture, comme le film, ont été un exutoire m’ayant permis de reprendre ce que j’avais déjà commencé à écrire avant l’accident, mais en le reconsidérant à travers le prisme du traumatisme crânien, de cette vie qui s’est écroulée et qui doit renaître», a-t-il souligné.

Une nouvelle vie avec l’écriture

Revenant sur son roman «Les pas perdus» (éd. JC Lattès), Mustapha Zem nous raconte qu’après l’accident, l’écriture a pris une toute autre dimension d’introspection. Il y trouve une lanterne pour éclairer ses questionnements et dérouler le film de sa vie, de manière à mieux comprendre les zones d’ombre. «J’ai compris que j’avais construit une vie à travers le regard des autres plus qu’à travers ce que me dit mon cœur. Mon frère Roschdy a lui souvent été le rebelle, qui va écouter ses passions, qu’importe si cela génère des remontrances de mon père. Ma mère, intuitive, savait quelle lumière se cachait derrière le cœur de son fils, même si mon père le disputait. Nos deux vies parallèles, lui et moi, font que nous soyons si proches et si différents, mais cette épreuve nous a rapprochés», nous a-t-il confié.

«Cet accident a affecté mon frère. Il est proche de sa famille, mais chacun de nous a construit sa vie, durant les vingt dernières années. Après cet accident, j’ai eu un handicap invisible qui fait qu’on devient un monstre féroce, mais c’est ce que mon frère a bien compris. Il s’est rapproché de moi alors que tout le monde s’est enfui. Il m’a accompagné dans toutes mes consultations. On est redevenu des enfants, on profite du temps qu’on passe ensemble et on partage le début du reste de notre vie.»

Mustapha Zem

Lors de cette convalescence, Roschdy Zem se confie brièvement à son frère Mustapha sur l’idée d’un film. «Il me dit qu’il va écrire un scénario à propos d’un homme qui va souffrir d’un traumatisme crânien. Nous n’en avons pas discuté plus que cela, mais il l’a écrit pendant ma convalescence. Une fois que j’ai lu le scénario, j’ai su que c’était mon histoire, mais aussi la sienne, dans un hommage à la famille», nous déclare Mustapha, à propos de la genèse du long-métrage «Les Miens». «L’éveil a été long mais efficace. Le jour de la projection privée, j’ai regardé le film en larmes, de la première à la dernière scène. J’ai été spectateur de mon histoire, j’ai été dédoublé de ce Mustapha qui a passé deux ans de souffrance [interprété par Sami Bouajila, ndlr]. J’ai pris mon frère dans les bras et je lui ai simplement dit : merci».

De cet accident et de la nouvelle vie qu’il se construit depuis, Mustapha Zem retient l’importance d’«écouter son cœur pour être soi-même». «Depuis la sortie du film et du livre, j’ai vécu des moments extraordinaires en France et au Maroc, où je conscientise le bonheur d’être là. Quand les gens voyaient le film de mon frère et que je me présentais à la fin pour en débattre, on me regardait avec beaucoup de peine, mais j’y répondais que je vivais très épanoui», nous a-t-il confié.

Peinture de Christelle DelormePeinture de Christelle Delorme

Récemment, l’artiste peintre Christelle Delorme s’est inspirée de ce vécu pour y consacrer un tableau. «Une voix me disait toujours d’écrire et j’ai fait finalement ce livre. Je me suis rendu compte que c’était ça que j’avais toujours voulu faire», nous dit Mustapha Zem.

«Plutôt que de m’apitoyer sur mon sort, j’ai voulu prendre les choses d’un côté spirituel. La vie a voulu me dire une bonne fois pour toute que je devais arrêter de faire un métier qui ne me passionnait pas et de mener un quotidien qui n’était pas pour moi. Il m’a fallu un élément déclencheur. C’est comme cela que j’interprète aujourd’hui ce qui s’est passé», nous confie Mustapha Zem. Ayant pris goût à l’écriture, il s’est lancé désormais dans un deuxième ouvrage d’autofiction. Un troisième est déjà en cours.

Article modifié le 09/07/2023 à 15h38

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