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Grand Angle

Maroc : Moins de 2% des femmes victimes de violences ont une assistance juridique (CNDH)

Dans un rapport thématique sur la dénonciation des violences faites aux femmes et aux filles et la lutte contre l’impunité, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a publié récemment des chiffres indiquant que les signalements et l’accompagnement des plaintes auprès de la justice méritent encore de l’appui. Quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi 103.13, peu de victimes bénéficient des programmes spécifiques de prise en charge, notamment la défense.

Publié
Amina Bouayach, présidente du CNDH / Ph. CNDH
Temps de lecture: 4'

Sur le plan du droit de la défense pour les victimes et de l’accès à la justice en cas de violences contre les femmes, seulement 1,67% sont accompagnées dans le cadre de l’assistance juridique spécialement mise à la disposition des survivantes. Dans son rapport thématique sur le soutien à la dénonciation des violences faites aux femmes et aux filles et la lutte contre l’impunité, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a récemment indiqué que 54% parmi les femmes victimes de violences ayant saisi les pouvoirs judiciaires n’ont pas bénéficié de leur droit à la défense, tandis que 43% l’ont été en dehors du programme d’assistance.

En préparation de son rapport, le CNDH a consulté un échantillon de 180 jugements choisis aléatoirement, en tenant compte de la diversité territoriale sur les douze régions du Maroc, ainsi que les degrés de juridiction. Les verdicts couvrent la période depuis l’entrée en vigueur de la loi 103.13 en septembre 2018, à novembre 2022, où les signalements ont connu une tendance haussière.

Selon l’institution, le pourcentage encore élevé de victimes de violences ne bénéficiant pas de leur droit à la défense, même quatre ans après la mise en œuvre de ladite loi, peut être dû «au caractère optionnel de la désignation d’un avocat dans les affaires de violence à l’égard des femmes, même dans les dossiers criminels». De manière générale et quelle que soit l’affaire traitée par la justice, les dispositions procédurales prévoient en effet «l’obligation du soutien juridique par le biais d’un avocat pour l’accusé mais pas pour la partie plaignante».

La violence numérique et les féminicides, cas émergents des signalements

En quatre ans, 31% de ces décisions relatives aux violences contre les femmes ont porté sur la violence physique, suivies des violences sexuelles (26%), économiques (20%), psychiques (18%) et de violence numérique (5%). Quant à la situation du ou des mis en cause, l’échantillon étudié montre que 59% des poursuites se déroulent en état de détention et 41% en liberté conditionnelle. Il indique, par ailleurs, que les décisions des juges tendent plutôt vers l’allègement des peines prévues à l’encontre des accusés de violences fondées sur le genre.

Cette tendance s’observe surtout lorsqu’il s’agit de violences conjugales ou intrafamiliales qui deviennent, en quelque sorte, une circonstance atténuante. Le CNDH alerte d’ailleurs, dans un autre registre, sur la courbe évolutive des féminicides au Maroc. En 2018, 29 cas ont été comptabilisés, pour passer à 54 en 2021, avec une probabilité de hausse continue au-delà de cette date. Les mis en cause sont principalement de sexe masculin, ayant un lien familial avec la victime et sont souvent les époux.

Malgré l’abrogation du deuxième alinéa de l’article 475 du Code pénal qui a permis, jusqu’en janvier 2014, au violeur d’échapper à la justice s’il épouse sa victime, le rapport constate par ailleurs que plusieurs verdicts continuent à tenir compte de cet élément comme circonstance atténuante, ou comme facteur clé motivant les peines avec sursis à l’encontre des accusés.

Des juridictions encore peu féminisées

Du côté de la partie plaignante, 97% des actions intentées en justice en cas de violences le sont de la part de ou des femmes se disant victimes, tandis que 3% proviennent de tiers. Cette donnée permet de «mieux connaître les attitudes au sujet de cette question» et de s’interroger «si le signalement représente encore une situation à traitement spécifique ou si les violences fondées sur le genre sont perçues comme un crime qu’il faut dénoncer au sein de la société et qui mérite une réponse ferme» des différentes composantes, analyse le CNDH.

Au niveau des juridictions, 58% de ces jugements ont été rendus en première instance, dans les chambres des délits, en correctionnelle, ou à la chambre criminelle près la Cour d’appel. 30% ont été rendus en deuxième degré, à la Cour d’appel, tandis que 12% sont des arrêtés de la Cour de cassation. En termes de représentativité des genres, seuls 27,22% de l’ensemble de ces jugements ont été rendus par une commission de magistrats présidée par une femme juge. 72,78% le sont par une délégation avec un homme à sa tête.

Outre l’accès à la justice et l’accompagnement des victimes tel qu’étudié dans le rapport, cette donnée-là questionne particulièrement, selon le CNDH, la présence limitée des magistrates dans les postes-clés au sein des différentes juridictions, ainsi que sur le degré d’intégration de l’approche genre dans la carte judiciaire. En effet, la majorité des jugements dans les cas de violences contre les femmes «émanent de commissions des juges présidées par des hommes, tandis que les femmes à la tête de ces délégations se trouvent souvent saisies des petits délits en matière de violences contre les femmes et leur présence est plus rare, lorsque ce sont les chambres criminelles qui sont saisies», souligne l’institution.

Plus d’engagements contre les violences dans le milieu du travail

Dans la section des recommandations et sur le plan de la mise en œuvre des dispositions internationales faisant partie des engagements du Maroc, le CNDH préconise l’adhésion aux instruments internationaux et régionaux, notamment la Convention 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Au niveau des dispositions nationales, l’institution recommande de préciser les définitions que donne le Code pénal aux crimes de viol, de harcèlement sexuel et de discrimination.

Dans le cadre de la mise en œuvre de la loi relative à la lutte contre la traite des êtres humains, le CNDH préconise de consacrer que les victimes «ne sont pas responsables des actes illégaux ou des crimes qu’elles ont été forcées de commettre». En termes de politiques publiques, le conseil appelle à appuyer davantage les cellules de prise en charge des femmes victimes de violences, que ce soit dans les tribunaux de première instance, dans les Cours d’appel, ou dans les services de la santé, de la jeunesse et de la femme, ainsi qu’au sein la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et de la Gendarmerie royale, afin de garantir la prise en charge immédiate.

Des recommandations ont été formulées aussi à l’adresse des médias et de la presse, pour la mise en place de protocoles spécifiques du traitement des signalements des femmes journalistes sur des cas de violences basées sur le genre dans leur milieu professionnel, de manière à «ne pas sous-estimer la gravité de ces actes» et de «faire barrage à toute minimisation» des effets de ces comportements, «qu’ils émanent de la direction ou des collègues». A cet effet, le CNDH préconise d’encourager les femmes journalistes à signaler ces situations, tout en leur garantissant «le soutien et l’accompagnement nécessaires».

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