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Interview

Belgique : Kawtar Ouh tisse ses souvenirs du Maroc à travers la photographie [Interview]

Née en Belgique de parents marocains, Kawtar Ouh évolue doucement mais sûrement dans le domaine de la photographie, où elle a fait ses premiers pas en autodidacte. Après une première année à LUCA School of arts à Bruxelles, elle développe désormais son style en dehors de la formation universitaire. Aujourd’hui, les arts visuels lui permettent de créer une boîte à souvenirs, sous forme d’archives regroupant les récits familiaux entre les deux rives.

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Ph. Izouwran - Kawtar Ouh
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Que représentez-vous souvent dans vos séries photographiques ?

J’ai fait plusieurs séries de photos. Dans l’une d’elles, intitulée «Izouwran» (qui signifie «racines» en rifain), j’ai travaillé particulièrement sur des éléments personnels et traditionnels, notamment les habits, les accessoires, les bijoux, les ornements de cheveux et les chaussures. J’ai acheté moi-même ces pièces-là et j’en ai conçu certaines, spécialement pour cette série photographique. J’ai choisi notamment les tissus que j’ai achetés et cousus surtout au Maroc. J’en ai trouvé d’autres encore chez mes parents ou dans des magasins de vente en deuxième main.

Pour les habits, par exemple, j’ai déjà pu avoir beaucoup de pièces à la maison, puisque ma mère et ma sœur font déjà de la couture. J’ai eu aussi quelques caftans de ma grand-mère. Pour compléter ce qu’il me faut pour mes photos, je vais aux marchés, comme cet été à Nador, d’où ma famille est originaire. Je me suis procurée des éléments que j’ai rassemblés ensuite chez une couturière, dans le pays.

Vos photographies sont-elles souvent des mises en scène pour reconstituer des éléments de votre enfance ?

J’essaye de faire plus que cela. Je m’exerce à joindre des éléments traditionnels et modernes à la fois, en faisant le pont entre les deux. Je joue sur ces contrastes notamment en utilisant des modèles de vêtements ancestraux, mais que je mets dans un décor contemporain. On retrouve donc dans mes photos des rues de Bruxelles, vu que j’ai grandi en Belgique, mais aussi des habits de la tradition marocaine, en hommage à mon héritage familial. J’essaye de mettre tous ces éléments en conversation pour les lier à l’enfance, aux souvenirs que me racontent mes parents et que je peux traduire visuellement.

Ph. Izouwran - Kawtar OuhPh. Izouwran - Kawtar Ouh

Vous partez justement d’une réflexion sur les liens entre votre vécu en Belgique et au Maroc à la fois ?

Tout à fait. J’essaye de créer une forme de dialogues à partir de mes échanges avec mes parents à propos de mon pays d’origine, les histoires et les anecdotes qu’ils me racontent et dont ils se rappellent depuis leur enfance eux-mêmes. J’essaye de visualiser tout cela en racontant leurs histoires, à partir de mon prisme à moi.

En dehors des éléments visuels, j’ai été très marquée par exemple aussi par le registre musical que mon père et ma mère aiment écouter et qui est celui de Nass El-Ghiwane. C’est un groupe qu’on a souvent écouté en voiture, lors de nos trajets entre la Belgique et le Maroc pour les vacances d’été. J’ai écouté ses chansons tout le temps et je les écoute encore aujourd’hui. Tous ces éléments-là m’inspirent.

Que vous permet aujourd’hui la photographie, en termes de documentation d’éléments auxquels vous vous identifiez entre vos deux pays ?

La photographie me permet aujourd’hui d’atténuer un certain sentiment d’éloignement qui m’habite, lorsque je ne suis pas au Maroc. Lorsque je suis en Belgique, j’essaye toujours de retrouver le Maroc dans mes habitudes quotidiennes, dans la vie de famille, notamment dans la langue avec laquelle je parle à mes parents – nous parlons rifain à la maison –. Je me sens toujours liée à mes racines. Si ce n’est pas à travers des habits, c’est à travers des histoires du pays, des petits détails, des chansons, ce que m’inspirent mes lectures. Lorsque je fais des photos, je mets en image toutes ces inspirations-là.

Ph. Izouwran - Kawtar OuhPh. Izouwran - Kawtar Ouh

Outre des récits personnels, vous avez consacré d’autres photos à des éléments communs aux souvenirs d’enfance de la jeunesse maghrébine, plus largement. Était-ce important pour vous de vous y intéresser au-delà du prisme familial ?

Oui, c’était important pour moi car les séries et les photographies que j’ai faites précédemment ont surtout été liées à ma vie personnelle, à celle de mes parents ou de mes grands-parents. J’aime beaucoup raconter mes histoires à moi, mais aussi celles des autres. Pour cela, je me suis rendue notamment à Paris pour travailler sur la thématique des habits maghrébins que nous avons en commun avec les autres pays de la région, entre le Maroc et l’Algérie. J’ai souhaité parler aussi de nos habitudes communes, à travers les aspects culinaires et linguistiques où nous retrouvons certaines similitudes.

J’avais besoin de faire ce travail sur la diversité et de le montrer particulièrement en Belgique, où le milieu artistique reste encore très normé et eurocentré, encore plus dans les arts visuels et la photographie. Les nouvelles générations issues de la diversité doivent avoir elles aussi la possibilité de s’identifier à ces représentations artistiques. En d’autres termes, j’essaye de faire des photos comme celles que j’aurais voulu voir en étant plus jeune.

A cet effet, je suis en train de travailler également sur un livre photographique, qui sera publié au cours de l’année ou au début de l’année prochaine. L’ouvrage regroupera des photos que j’ai faites en argentique et en format digital.

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