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Grand Angle  

Diaspo #240 : Youssef Anegay, guitariste à Strasbourg indissociable de Lazywall

Vivant à Strasbourg depuis presque vingt ans, diplômé d’ingénierie en France et ancien résident en Angleterre, Youssef Anegay est consultant pour une entreprise d’informatique, lorsqu’il n’est pas sur scène ou au studio avec ses deux frères, dans le cadre de Lazywall. Son parcours avec ce groupe de rock tangérois incarne l’effacement des frontières.

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Youssef Anegay, guitariste du groupe Lazywall
Temps de lecture: 7'

Natif de Tanger et aîné de deux autres frères, Naoufel (Nao) et Mondher (Monz), Youssef Anegay est le guitariste attitré du groupe Lazywall, créé avec ses deux frères, respectivement au chant et à la basse ainsi qu’à la batterie. A 19 ans, il décroche son baccalauréat avec un an de retard, vu son grand engouement pour la musique qui occupe la majorité de son temps. Il quitte le Maroc pour s’installer à Strasbourg et continuer ses études en physique. Dans sa jeunesse, ce virtuose ne connaît pas de frontières aux sonorités musicales. En effet, il a baigné dans un environnement éclectique propre à la cité septentrionale, ancienne Zone internationale.

«A Tanger et tout au long de ma jeunesse, j’avais des amis d’un peu partout, des français, des américains, des russes, des britanniques… On partageait cette passion pour la musique rock, on écoutait beaucoup AC/DC. Le metal n’était pas encore très présent, mais il y avait beaucoup de hard rock, puis du power rock», se rappelle Youssef Anegay. Il se souvient avoir basculé ensuite vers l’univers musical d’Alice Cooper. «L’histoire de la ville y a forcément été pour beaucoup. Nous avons grandi avec ce sentiment d’appartenir à la fois au monde entier et à un cocon qui est le nôtre. Nous avons été imprégnés par les récits de nos parents et de nos grands-parents sur l’époque internationale de Tanger, où l’on voyait des étrangers venir de partout, des écrivains, des figures de la Beat generation, des musiciens, des acteurs et des réalisateurs… Nous étions cette ville de passage qui était très riche, d’un point de vue touristique mais aussi culturel», nous explique l’artiste, pour qui «c’est ce background qui fait notre force».

«Nous avons baigné dans un monde musical européen, américain, rock, mais nous avons à la fois ces racines marocaines, tangéroises et méditerranéennes dont nous comprenons bien les sensibilités artistiques.»

Youssef Anegay

A la cité universitaire en France, Youssef fait la connaissance de nombreux musiciens et s’initie à la guitare. «Comme beaucoup d’enfants à Tanger, j’avais pris des cours de piano, mais j’ai été moins passionné par l’aspect scolaire de ce premier apprentissage. A Strasbourg, j’ai vraiment ouvert les yeux sur le fait que la musique, c’est bien lorsqu’on l’écoute, mais c’est mieux lorsqu’on la joue», souligne-t-il.

Un univers musical international

Bassiste italien, le colocataire de Youssef Anegay pendant les années d’études initie l’autodidacte au registre de metal, à travers Metallica, Iron Maiden, Black Sabbath et «tous ces groupes mythiques qui ont fait que le metal d’aujourd’hui existe». «J’ai commencé ensuite à virer vers le death metal, en faisant de la rythmique pour des groupes et peu à peu, ma technique s’est améliorée, mes goûts musicaux se sont recentrés sur des couleurs plus mélodiques, avec le succès d’Alice in Chains et l’émergence du grunge ; j’ai écouté après des formations comme Alter Bridge et d’autres plus musicales», se rappelle-t-il encore.

Une fois son diplôme en ingénierie obtenu, Youssef trouve un emploi en Angleterre. Il s’y installe, tout en jouant dans Blue Green, un groupe de blues rock constitué d’artistes confirmés et cosmopolites : un batteur chilien, une chanteuse roumaine, un autre guitariste français. «C’était un groupe international où on mélangeait toutes nos cultures et nos influences pour créer un univers à nous, ce qui était très tendance dans les années 1980 et 1990. Cela donnait des particularités musicales exceptionnelles aux différents styles de rock», souligne-t-il.

Le fait d’évoluer avec des artistes aussi confirmés permet au guitariste marocain d’élever le niveau de son jeu et de ses prestations, avec une meilleure connaissance du monde de la scène internationale et des enregistrements en studio. Pendant ce temps, ses deux frères font leurs études universitaires en Espagne, Monz en technique du son pour tenir un studio d’enregistrement et Nao en pharmacie, pour reprendre l’officine paternelle à Tanger. En effet, feu Mustapha Anegay a tenu l’une des premières pharmacies au Maroc, devenant le premier marocain de confession musulmane à le faire à Tanger. Jusque-là, les officines ont souvent appartenu à des étrangers ou à des Marocains de confession juive.

Mais avant de faire ce retour à la ville natale, les deux frères annoncent à Youssef, à la fin des années 1990, avoir signé un contrat avec une maison de production pour enregistrer un album en Espagne. «J’ai pris un billet d’avion aller simple pour Grenade et on a fait notre album à Madrid, en 1999, sous le nom du groupe Anegay», se rappelle le guitariste. «C’était du power pop. On a signé un contrat de disque distribué par Warner, fait la tournée de présentation, les plateaux de télévision en Espagne…», se souvient-il fièrement.

«Il m’en reste un souvenir inoubliable, quand nous avons entendu une de nos chansons diffusées pour la première fois à la radio espagnole. Nous étions en voiture sur la route vers Grenade. Nous nous sommes garés en entendant l’animateur nous présenter de manière inédite comme étant un nouveau groupe marocain qui joue du rock, puis nous avons écouté notre chanson "Colour of truth". C’était un moment magique. Nous nous regardions avec fascination, sans pouvoir nous parler.»

Après un premier album à succès en anglais, la maison de disque fait pression pour sortir un album en espagnol avec Anegay. «Pour nous, le rock était chanté naturellement en anglais, d’autant que des groupes mythiques de la même époque, en Allemagne ou en Suède, chantaient aussi dans cette langue. Nous étions dans cette lignée et nous commencions à envisager de déménager en Angleterre, donc nous avons choisi de rompre le contrat», nous confie l’artiste. Avec ses deux frères, ils s’installent dans le sud-est de Londres, où Lazywall voit le jour en 2003.

Une épopée contemporaine appelée Lazywall

Le nom de Lazywall a été inspiré d’une chanson d’Anegay, intitulée «The lazy wall of Kacem» et écrite par Monz. Il est aussi un clin d’œil à la ville natale de Tanger. «On voulait cette chanson-là dans un style grunge, à un moment où notre musique est devenue plus percussive, avec des riffs de guitare sur lesquels on chantait. C’est l’histoire de Kacem, qui s’installait aux pieds de Sour El Maagasine à Tanger pour regarder l’horizon, la mer et l’Espagne de l’autre côté. Il rêve et il se questionne sur ce que cette vue lui signifie comme projections dans l’avenir», explique Youssef. «En changeant notre style par rapport à Anegay, nous sommes entrés plus dans le metal qu’on aimait tous les trois», souligne-t-il.

Mais la même année, Youssef Anegay quitte le groupe pour se dédier à sa petite famille et à son nouveau-né. «Un guitariste anglais (John) m’a remplacé, mais mes frères m’ont toujours envoyé des maquettes et je leur ai donné mes remarques, donc je n’étais pas toujours extérieur au groupe», indique-t-il. La formation part ensuit enregistrer à Chicago avec Steve Albini, producteur de Nirvana et d’un disque de Robert Plant, qui a accepté de recevoir Lazywall dans son studio pour un EP. Des tournées ont suivi, aux Etats-Unis, en République Tchèque, en France, en Angleterre et dans d’autres pays.

«Le groupe a vraiment pris à l’international, puis en 2006, avec déjà un premier album sorti en 2004, nous nous sommes dit pourquoi ne pas nous produire au Maroc dans le cadre du festival L’Boulevard à Casablanca», se rappelle encore Youssef, qui en garde un souvenir mémorable.

«Au chant et à la basse, Nao est monté sur scène, s’est approché du micro pour saluer le public, qui s’attendait à voir un groupe étranger. On était présenté comme une formation anglaise. Mais en lançant un salam en darija, Nao a vu le public se déchaîner. C’était un tournant pour nous. Nous avons été conquis par un vrai sentiment d’amour et nous avons su qu’il était temps de rentrer à la maison.»

A partir de là, Lazywall introduit ses origines marocaines dans sa musique, d’où certaines chansons comme «Cold Enemy» et une collaboration avec le luthiste Younes Fakhar, pour mettre en scène une grande rencontre musicale et artistique entre les couleurs occidentales, orientales, marocaines d’Afrique du Nord, sans pour autant revendiquer une démarche de fusion, tombée parfois dans le tableau kitch au cours des années 2000. «On ne voulait pas de cela, car pour nous une chanson ne doit avoir que les rythmes et les sonorités dont elle a besoin, sans nous obliger à y ajouter un superflu pour forcer telle ou telle empreinte», nous déclare Youssef Anegay à ce propos.

«Le but est d’être dans la simplicité et de mettre en avant une chanson, mais non pas nos égos. Ce n’est ni oriental ni occidental, c’est une suite de mélodies qui ont besoin d’être en harmonie. Depuis 2020 d’ailleurs, nous utilisons cet instrument unique que nous avons façonné pour nos besoins artistiques qu’est le guitaroud.»

C’est dans ce même esprit que tout au long de son parcours musical à l’étranger, dans différents pays, Youssef Anegay n’a pas ressenti de plafond de verre dans le monde artistique. «C’est le talent qui a compté pour nous, plus que nos origines. C’est important de ne pas avoir de barrières et de ne pas se sentir différent. Lorsqu’on a commencé à jouer en Angleterre dans le cadre de Lazywall, on faisait notre musique en partant du principe qu’il s’agit de goûts et de couleurs, mais non pas avec l’idée que nous étions des étrangers qui font du rock dans un pays phare de ce style musical», affirme-t-il. «On peut sortir du lot parce que ce qu’on fait plaît et parce que le ciel est sans limites», tranche l’artiste.

Revenu en 2013 dans le groupe pour un deuxième L’Boulevard et un premier concert de retour avec Lazywall, qui a été pour lui une première scène au Maroc, Youssef Anegay travaille à distance avec ses frères depuis plusieurs années. «On a longtemps enregistré chacun une partie et répété par visioconférence, puis nous nous rencontrons une semaine avant nos concerts pour répéter tous ensemble», indique celui dont le groupe est à son cinquième album. Ce dernier est sorti début 2022, intitulé Zoochosis, mixé et produit par un producteur anglais.

«La crise sanitaire est omniprésente dans cet album, à commencer par son nom qui est celui d’un comportement observé chez les animaux de zoo, lorsqu’ils tournent en rond dans leurs cages et perdent la notion de la réalité. Concernant tout l’impact du confinement et de la pandémie sur nous, nous avons écrit des chansons dans le même esprit», souligne l’artiste.

Quant à la visibilité du rock dans toutes ses couleurs, Youssef estime que les groupes locaux au Maroc n’en bénéficient pas assez. «Il y a quinze ans, les groupes existants dans le pays n’étaient pas assez montrés dans les radios et les télévisions. Aujourd’hui, nous avons Internet mais avant cela, quelques programmes ont eu le mérite de créer une ouverture, comme Korsa sur 2M. Nous avons eu le grand honneur de participer à cette émission-là, qui a fait de nous le premier groupe de rock marocain à se produire en direct à la télévision nationale», se rappelle-t-il.

Au Maroc, le circuit de salles de concerts et de festivals ne permet pas une régularité dans l’organisation de tournées globales pour les groupes. «Faute de tourneur, ce sont les managers qui doivent s’occuper de faire les appels et de planifier les dates», constate Youssef. Malgré ce défi, le musicien et sa formation envisagent prochainement «de grands et d’importants projets» dans le pays.

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