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Grand Angle

Maroc : Le deux poids, deux mesures des politiques publiques destinées aux oasis

Bien qu’il y ait une «prise de conscience par les autorités des manifestations de dégradation» de la situation des oasis au Maroc, la volonté de transformer ces oasis en zones agricoles fortes menacerait l’écosystème, alors que l’eau se raréfie, indique une récente étude de MIPA.

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Photo d'illustration. / DR
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Environ deux millions de Marocains, soit 5% de la population, vivent dans des oasis qui couvrent 15% de la superficie totale du royaume. Alors que le gouvernement a lancé des projets de développement des oasis, au cours des dernières décennies, les oasis ont connu une détérioration remarquable, notamment la baisse du niveau des eaux souterraines à un rythme variant entre -15 et -20 mètres par an, et une diminution de 34% de la production de dattes.

Cette situation est due au deux poids, deux mesures des politiques publiques destinées aux oasis, indiquent les chercheurs Ismail Ait Bassou et Abdessamad Khadiri. Dans une étude publiée par l'Institut marocain d'analyse des politiques (MIPA), ils ont rappelé que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a tiré la sonnette d'alarme sur la menace qui pèse sur les oasis marocaines, en termes de droit à l'eau et de sécurité hydrique, du fait de l'exploitation excessive des ressources en eau. 

«Les oasis souffrent des conséquences du changement climatique, notamment l'aggravation de la désertification dans ses diverses manifestations, de l'ensablement, des essaims de criquets pèlerins et des incendies qui les menacent, et de la maladie du bayoud qui cible les palmiers, qui a conduit à une réduction de la superficie totale des oasis de 150 000 à environ 44 000 hectares», souligne l’étude. Celle-ci pointe également «la faiblesse des politiques publiques destinées à ces zones», évoquant «les conflits politiques entre les élites locales». Ces facteurs «ont contribué à la marginalisation et à l'exclusion dans les oasis, dont les racines historiques remontent à la période coloniale, dans le cadre de ce que l'on appelle le dualisme du Maroc utile (zones de rendement productif) et du Maroc non utile (zones à faible valeur économique)», regrette-t-on.

Des politiques sans impacts sur la situation des oasis

Les deux chercheurs reviennent sur la politique des oasis au Maroc, reconnaissant des efforts de l’Etat depuis l'indépendance du pays. L’occasion de mettre en avant la stratégie de développement des oasis et des zones arganières, lancée par le roi Mohammed VI en 2013, qui couvre 40% du territoire marocain (5 régions, 16 préfectures et 400 communes), et comprend 45 programmes d'actions concrètes, avec une enveloppe financière de près de 92 milliards de dirhams.

Cependant, malgré ces efforts, ces politiques n’ont pas eu d’impacts sur la situation des oasis, et leur capacité à faire face aux changements climatiques et à l'activité humaine, regrette-t-on. «Les politiques agricoles modernes ainsi que le tourisme, ont modifié nombre de constantes de l’écosystème et les activités de la population, qui sont menacées de disparition et d'extinction», notent-ils.

«Les investissements agricoles dont les oasis ont été témoins, à partir des années 2000, ont entraîné une menace pour l'écosystème oasien, à travers l'émergence d'importants investissements dans la culture du palmier Mejhoul, ainsi que la culture des pastèques rouges, qui nécessitent de grandes quantités de l'eau.»

Extrait de l’étude

A cela s’ajoute aussi «les pratiques des petits agriculteurs» qui, à leur tour, «menacent les oasis». L’étude indique à cet égard que les facilitations présentées à cette catégorie font que ces agriculteurs «acquièrent également des panneaux solaires, censés être respectueux de l'environnement, pour exploiter l'eau des puits».

Instaurer un cadre légal strict et renforcer l'arsenal juridique des coutumes locales

Pour Ismail Ait Bassou et Abdessamad Khadiri, «les politiques publiques et les stratégies nationales destinées aux oasis connaissent un double discours et pratique». La gestion des enjeux auxquels sont confrontées les populations locales dans ces espaces oscille entre deux réalités. D’une part, «la prise de conscience par les autorités des manifestations de dégradation dues à l'intervention humaine et aux changements climatiques». D’autre part, une «ouverture des investissements locaux et étrangers pour réaliser le développement local, faire des oasis des zones agricoles fortes, valoriser le patrimoine naturel et humain et l'employer dans le patrimoine touristique et son rôle dans l'amélioration du niveau de vie de la population, et la réduction des phénomènes de pauvreté, vulnérabilité et différences spatiales». «Ces buts et objectifs majeurs ne trouvent pas d'équilibre sur le terrain», résument-ils.

L’étude estime que la réhabilitation des oasis dépend d'une gestion efficace des ressources en eau et de l'accélération des projets en cours et à venir dans ce domaine, pour faire face à la forte demande et formuler des stratégies modernes en phase avec les changements climatiques, pour assurer une distribution de cette richesse aux différents groupes sociaux et terroirs comme moteur principal du développement économique et social. Les deux chercheurs suggèrent ainsi d’«instaurer un cadre légal strict pour l'octroi des autorisations d'investissement et la distribution rationnelle de l'eau dans le respect de l'équilibre écologique des oasis» et de «renforcer l'arsenal juridique des coutumes locales en matière de gestion de l'eau en renouant avec le rôle pivot du "Cheikh de l'Eau", qui s'emploie à contrôler l'exploitation des ressources en eau, et inflige des sanctions convenues à quiconque enfreint ces normes».

L’étude propose aussi d’«unifier les efforts des différents acteurs et parties prenantes de la politique oasienne au Maroc, renforcer la coordination institutionnelle entre eux pour développer les oasis et atteindre les objectifs de développement durable, valoriser le soutien financier et moral des agriculteurs face aux effets du changement climatique et créer une agriculture avancée qui ne nécessite pas un grand pourcentage d'eau souterraine».

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