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Grand Angle

Sahara : Les relations secrètes entre les renseignements espagnols et le Polisario

Alors que l'Espagne avait expulsé officiellement les représentants du Polisario à Madrid suite à un attentat contre un patrouilleur espagnol dans l'Océan atlantique en 1985, ses services de renseignement avaient maintenu des relations secrètes avec le Front, allant même jusqu’à doter ses nouveaux émissaires d’un bureau dans la capitale espagnole.

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Emilio Alonso Manglano, directeur du Centre supérieur d'information de la Défense (CESID). / DR
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Comme pour ses liens avec le Maroc, les relations entre l'Espagne et le Front Polisario ont connu de nombreuses vissicitudes depuis la création du mouvement séparatiste en 1973. Madrid avait maintenu ses contacts avec les séparatistes, au plus fort de ses crises avec le Front, notamment dans les années 1980, lorsque les milices du Polisario ont attaqué des navires de pêche espagnols dans l'Océan atlantique.

Parallèlement aux récents accords maroco-espagnols qui ont mis fin à la crise diplomatique entre Rabat et Madrid depuis près d'un an, le site espagnol El Confidencial Digital (ECD) a publié, ce vendredi, le contenu de documents secrets qu'il a obtenus, confirmant que le gouvernement espagnol annonçait publiquement le contraire de ce qu'il faisait en secret avec le Front Polisario, dans les années 1980.

A cette époque, Madrid maintenait encore des patrouilleurs de la Marine dans les eaux du Sahara, afin de protéger les bateaux de pêche espagnols des harcèlements répétés du Polisario. Mais en septembre 1985, l'un de ces patrouilleurs, le Tagomago P-22, naviguant le long de la côte de Cabo Blanco, au sud du Sahara, pour aider le bateau de pêche canarien Junquito, avant d’être visé par des projectiles tirés par les séparatistes. Un caporal espagnol, Castro Rodríguez, décède dans cette attaque, en plus d’un pêcheur, tandis que les autres sont retenus en otages.

Le Polisario expulsé d’Espagne mais convié à des négociations en Suisse

La société espagnole est alors furieuse et consternée. Toutefois, le gouvernement espagnol, alors dirigé par Felipe González (PSOE) n’agit pas avec fermeté. Il préfère négocier avec les séparatistes pour libérer les otages. Transférés à Tindouf, en Algérie, ils ne sont libérés que le 28 septembre suite à une «médiation algérienne».

Le gouvernement espagnol émet alors un décret pour expulser la représentation permanente du Polisario en Espagne, alors dirigée par Ahmed Boukhari. Officiellement, les relations venaient d'être rompues avec la «RASD» que l’Espagne n’a jamais reconnue. Mais le décret n’est appliqué que dans la nuit du 1 au 2 octobre 1985, après que la police se soit rendue dans un hôtel accueillant un diner en l’honneur du représentant du Polisario. Ahmed Boukhari est alors conduit à l’aéroport de Madrid-Barajas pour être expulsé.

Et bien que l'attaque du Polisario ait fait des victimes, la justice espagnole n’ordonne pas l'ouverture d'une enquête contre les milices du Front, contrairement à l'affaire de l'organisation basque «ETA», qui réclamait l'indépendance du Pays basque.

Selon les informations obtenues par ECD à partir de documents espagnols classifiés, les renseignements espagnols à l’époque avaient toutefois reçu des instructions de rétablir secrètement le contact avec le Front Polisario, malgré la récente rupture. Ainsi, deux agents du Centre supérieur d'information de la Défense (CESID), ancienne agence de renseignement de l’Espagne devenue le Centre national de renseignement (CNI), s’étaient rendus à Genève pour tenir une réunion secrète avec les représentants permanents du Polisario à Vienne.

La rencontre des agents d’Emilio Alonso Manglano, alors directeur du CESID, avec les Sahraouis accrédités en Autriche s'est tenue en Suisse «afin de tromper les services secrets marocains, qui surveillaient en Europe tous les mouvements de ce qui était, sans aucun doute, leur principal ennemi». Ainsi, «ni Berne ni Washington n'ont été informés de la sombre rencontre», tenue à l'hôtel D'Angleterre, au bord du lac Léman.

Une relation secrète

Comme prévu par la Moncloa, les émissaires du Polisario avaient exprimé aux agents leur intérêt à être à nouveau représentés en Espagne, même de manière officieuse et secrète, ce que le gouvernement de Madrid acceptera. Pour ce faire, les représentants du mouvement séparatiste devaient éviter tout contact avec des institutions. Ils auraient même été informés qu’en cas d’établissement de contact avec un média espagnol ou étranger, le gouvernement les expulserait à nouveau et de manière définitive d'Espagne alors que la Moncloa nierait avoir connaissance de leur mission diplomatique clandestine. 

Trois jours plus tard, le Polisario accepte la proposition espagnole et des «personnes qui déménageraient immédiatement de Tindouf à Madrid en tant qu'ambassadeurs fantômes ont été désignées».

Le CESID, conscient alors du manque de ressources financières du Polisario, a doté la nouvelle délégation d’un bureau secret à Madrid, en veillant à éliminer toute possibilité de savoir qui payait le loyer de la propriété, si jamais la mission est découverte. «La sécurité du bureau et son contrôle étaient également l'affaire des hommes de Manglano, bien que les locataires n'en aient pas été informés», ajoute la même source.

En 1986, une nouvelle période de relations secrètes et fructueuses commence alors entre Madrid et le Polisario, marquée par les demandes du Front. Selon des procès-verbaux des réunions secrètes de cette année-là, le Polisario avait exigé, entre autres, «un soutien à l'initiative des Nations Unies pour le référendum d'autodétermination, l'accès aux informations sur les projets militaires de Hassan II au Sahara et l'aide diplomatique de l'Espagne pour pouvoir renforcer les relations avec le reste des pays du Maghreb».

Le mouvement séparatiste avait demandé aussi «la possibilité ouverte d'envoyer des jeunes Sahraouis étudier en Espagne avec des bourses et des informations indiquant si le Maroc avait acheté ou allait acheter des armes ou des munitions à l'Espagne».

Les Etats-Unis s’en mêlent

Les émissaires du Front avaient également demandé à leurs interlocuteurs espagnols de faciliter un entretien avec le secrétaire américain à la Défense, John Tower, et avec l'avocat Chris Grainer. 

À partir de 1987, ces réunions, qui avaient lieu dans un domaine de chasse à Arroyomolinos, au sud-ouest de Madrid, ont été rejointes par deux agents de l'antenne de la CIA à Madrid, qui se contentaient «d'observer et de prendre des notes». Les documents indiquent que certaines de ces réunions avaient été marquées par la présence de Mohamed Abdelaziz, alors secrétaire général du Polisario.

Avec le changement de la situation, et l'achèvement par le Maroc de la construction du Mur des Sables au Sahara, un accord de cessez-le-feu est signé en 1991 entre le Maroc et le Front Polisario, parrainé par l'Espagne, les États-Unis et les Nations Unies. Selon la même source, les États-Unis avaient assuré à plusieurs reprises au gouvernement espagnol qu'ils «ne voulaient pas que le Sahara occidental, riche en phosphates, en fer et en zones de pêche, tombe entre les mains de l'axe soviétique».

Après de nombreuses années, le ministère espagnol de l'Intérieur, dirigé par le ministre Alfredo Perez Rubalcaba (2006-2011), avait reconnu 90 pêcheurs et mineurs espagnols comme victimes d'actes terroristes du Polisario. Mais 300 autres victimes espagnoles n'ont toujours pas été reconnues comme victimes du terrorisme, malgré les revendications de l'Association canarienne des victimes du Polisario, créée en 2006 à Las Palmas.

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