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Grand Angle

Diaspo #228 : Marouane Bahrar, promoteur d’un cinéma itinérant à retombées sociales pour le Maroc

De la photo sous-marine au Maroc, à photographe de guerre en Palestine, en passant par photographe officiel de Badr Hari. Depuis l'Italie où il s'est installé, Marouane Bahrar espère gérer les projets qui lui tiennent à cœur pour en faire bénéficier le Maroc, sur le plan culturel mais aussi touristique.

Publié
Marouane Bahrar / DR.
Temps de lecture: 5'

Son nom est largement connu dans le secteur professionnel de l’audiovisuel au Maroc. En effet, Marouane Bahrar a été le seul chef opérateur spécialiste des prises de vue sous-marines dans le pays, après avoir été diplômé en direction de la photographie. Natif du quartier Yaacoub El Mansour à Rabat en 1987, il a grandi avec sept autres frères et sœurs. Il a financé seul ses études cinématographiques, avant de devenir une référence dans le domaine de la photographie. Il a d’ailleurs été le photographe officiel du boxeur néerlando-marocain Badr Hari pendant deux ans. Il confie à Yabiladi qu’au départ, il a suivi un circuit «classique», avant de revenir à son premier engouement pour l’image.

«J’ai grandi dans un milieu très modeste, dans un quartier très populaire. On ne pouvait pas y rêver d’intégrer le cinéma, d’autant qu’il n’y avait pas encore d’écoles spécialisées au Maroc. Mes parents travaillaient dur pour subvenir aux besoins de leurs enfants et j’ai pris comme responsabilité de réussir mes études pour améliorer notre niveau de vie», se souvient-il. Après son baccalauréat, Marouane rejoint l’Université Mohammed V de Rabat en 2005, dans la filière d’économie et gestion des entreprises.

Initiation à la photographie aux côtés d’un grand-père autodidacte

Mais le jeune bachelier a précieusement conservé ses souvenirs d’enfance, surtout de son grand-père qui a influencé son amour pour la photographie.

«Mon grand-père a émigré à Gibraltar pendant des années, il est revenu avec un grand engouement pour la photo. Il a ramené avec lui beaucoup de tirages et plusieurs appareils de l’époque. Toutes ces pièces ont meublé son domicile que je visitais avec le même émerveillement à chaque fois. Aujourd’hui, je garde toujours avec moi un ancien boîtier soviétique qu’il m’a offert quand j’étais petit. C’est ma madeleine de Proust et mon porte-bonheur !»

Marouane Bahrar

En 2007, Marouane décide de s’inscrire à l’Institut supérieur du cinéma et de l’audiovisuel (ISCA), établissement de formation privé créé en 2002. Mais le décès de son père interrompt son parcours, le temps de trouver des ressources financières suffisantes pour continuer ses études. «C’est là que je suis parti à Tanger travailler pour la télévision espagnole, qui cherchait une personne basée au Maroc. Je devais sans cesse jongler entre Rabat et Tanger, mais l’ISCA a été très compréhensif quant à ma situation et mon salaire m’a permis de revenir au bout de quelques mois», se souvient-il.

Une fois diplômé, Marouane saisit une nouvelle chance qui se présente à lui pour approfondir ses études, grâce à une bourse de prise en charge à 100% à l’Ecole supérieure de l’audio-visuel (ESAV) de Marrakech. Diplômé en direction de photographie avec une spécialisation des prises de vue sous-marines, il travaille comme chef opérateur et sa réputation dépasse les frontières du Maroc. «Vers 2011 et dans le contexte des Printemps arabes, j’ai eu une proposition pour travailler en Jordanie sur les prises de vue de ma spécialité, mais aussi pour Reuters, à travers une société de production», se rappelle Marouane. De 2011 à 2012, il devient reporter de guerre pour l’agence de presse en Palestine. Il couvre la guerre dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, avant d’être envoyé sur le terrain du conflit armé en Libye et des manifestations en Tunisie.

Trois ans plus tard, Marouane décide de rentrer au pays pour monter sa propre société de production. «J’ai été approché par un réalisateur marocain, dont le film a bénéficié du soutien du Centre cinématographique marocain (CCM). Mais le projet a été abandonné alors que j’avais fait de grosses dépenses. Je n’ai pas été payé, ce qui a ruiné la boîte», se rappelle-t-il avec regret. Depuis, il s’est tourné vers le travail indépendant, pour participer à la conception de nombreux documentaires pour les télévisions marocaines et étrangères, des séries, des films et des publicités.

Un nouveau départ vers l’Italie

Distingué dans le domaine professionnel grâce à la qualité de son travail, Marouane Bahrar est appelé pour la conception des installations du Musée Yves-Saint Laurent de Marrakech. «Il y avait beaucoup de mapping à concevoir, des atmosphères de lumière qui nécessitaient un certain savoir-faire technique et artistique à la fois», indique-t-il. Marouane est principalement chargé du projet de l’auditorium Pierre Bergé, qu’il a entièrement mis sur pied pour être opérationnel en 2017.

«Après un chargement de management, j’ai préféré quitter la structure au cours de la même année malheureusement. C’est à ce moment-là que mon épouse, d’origine grecque et qui a grandi en Italie, m’a proposé d’installer mon activité permanente dans le pays.»

Marouane Bahrar multiplie les allers-retours entre le Maroc et l’Italie, de 2017 à 2019, avant de finaliser son installation dans le pays. Il y a travaillé sur des montages artistiques pour la Ville de Venise, en partenariat avec le consulat de Grèce. Mais ses projets multiples sont rattrapés par la crise sanitaire de la Covid-19, dont les conséquences ont été particulièrement lourdes en Italie. Face aux faillites dans certains secteurs, notamment dans le domaine culturel, il songe à racheter et à améliorer le matériel fourni par les sociétés audiovisuelles qui ont déposé leur bilan.

Cet investissement lui permet de décoller rapidement, en créant son entreprise qui a repris du poil de la bête, au fur et à mesure du retour des activités de tournage et de production. «Nous avons désormais beaucoup de clients en Italie, mais aussi en Autriche et en Allemagne», se félicite-t-il.

«Je vise également le Maroc. En Europe, le domaine audiovisuel reste encore difficile d’accès et l’objectif pour moi est de permettre une ouverture aux jeunes marocains talentueux, à travers mon entreprise. J’en ai rencontré beaucoup et les intégrer au secteur en Italie contribuera un tant soit peu à changer la perception des travailleurs marocains, dans un pays où ils sont souvent associés à l’ouvrier saisonnier.»

De l’audiovisuel au tourisme

Avec la crise sanitaire et en attendant une reprise de son activité principale, Marouane fait un crochet dans le secteur du tourisme. «En Italie, des établissements touristiques ont dû vendre leurs biens, parfois à des prix très bas. Mon épouse et moi avions un petit capital qui nous a permis de racheter un Bed & Breakfast dans la région de Vénétie, au milieu d’un parc naturel facile d’accès, en portant un projet de tourisme éco-responsable», nous confie-t-il.

«Ce petit investissement a eu assez de retombées aujourd’hui pour voir plus grand. Nous sommes maintenant à notre troisième rachat et nous équipons des structures d’hébergement avec le soutien de la Ville, qui encourage désormais de telles initiatives, surtout en préparation de l’accueil des visiteurs aux prochains JO d’hiver de 2026 à Cortina, non-loin de chez nous, et à Milan. Mais en dehors de cela, nous préparons ces infrastructures pour attirer les touristes marocains, avec des offres dédiées.»

Marouane souligne que «la crise sanitaire nous a appris à ne plus mettre tous nos œufs dans le même panier et à diversifier les investissements, surtout lorsqu’on évolue dans un secteur aussi fragile – la pandémie l’a démontré – comme celui de la production culturelle». D’ailleurs, il indique avoir développé son entreprise audiovisuelle «grâce aux recettes des hébergements», qui ont par ailleurs contribué à boucler le budget pour son initiative «La boîte à merveille», une salle de cinéma itinérante qui attend de lancer ses activités en Italie et dans les villages marocains.

«Le projet est en standby depuis la pandémie, mais nous prévoyons de revenir au Maroc pour le relancer et le présenter aux partenaires institutionnels, surtout avec le changement du gouvernement depuis nos dernières prises de contact. Nous n’avons bénéficié jusque-là que de l’appui financier du côté italien, donc nous souhaitons relancer la partie marocaine (CCM, ministère de la Culture, conseils régionaux…) car nous croyons en l’apport culturel et socio-économique de ce projet», insiste Marouane. «Notre requête principale sera d’obtenir le statut salle de cinéma itinérante, afin d’avoir un numéro d’exploitation et fluidifier l’ensemble du circuit administratif et légal de notre diffusion», indique-t-il.

Selon Marouane, l’importance de cette initiative est qu’elle revêt trois volets, capitalisant sur des résultats à court, moyen et long terme : l’éducation au cinéma, le social grâce à un espace de sa caravane pour la distribution des dons des associations aux habitants des régions enclavées, et la formation utile aux habitants locaux de chaque village où la salle sera momentanément installée.

«Comme j’ai fait des formations, je veux en faire bénéficier ceux à qui elles peuvent profiter. Dans chaque village visé par la programmation de cinéma, nous prendrons donc le temps nécessaire pour former les villageois à l’investissement en B&B et en écotourisme, de manière à ce que ces régions deviennent des petites coopératives qui proposent des offres low-cost aux touristes étrangers et nationaux, ce qui permettra aux habitant de créer des dynamiques économiques locales très intéressantes», confie Marouane.

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