Menu

Grand Angle

Élections reportées, groupe Wagner : Comment le Mali s'est retrouvé sous embargo de la CEDEAO

Les chefs d’Etat et de gouvernements de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ont pris la décision, dimanche, de fermer les frontières avec le Mali et de mettre le pays sous embargo, accusant la junte au pouvoir de prendre le pays en otage. Entre le report des élections à 2026 et le recours à la milice russe Wagner, le gouvernement Goïta, arrivé au pouvoir suite à un coup d'Etat, a précipité le pays dans la crise et l'isolement régional.

Publié
Le chef de la junte malienne, le colonel Assimi Goïta, lors d’une rencontre avec la Cédéao en 2020. / AFP
Temps de lecture: 4'

Suite à la réunion prise à huis clos à Accra au Ghana, les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont annoncé leur décision de placer le Mali sous embargo, reprochant à la junte arrivée au pouvoir en août 2020 sa décision de continuer à diriger le pays pendant encore 5 années. Pour rappel, le gouvernement de transition, qui faisait déjà l'objet de sanctions, s’était engagés à organiser des élections présidentielles et législatives le 27 février afin de permettre l'élection d'un gouvernement démocratique.

Concrètement, la CEDEAO a décidé de fermer les frontières terrestres et aériennes avec le Mali et de suspendre les échanges commerciaux autres que les produits alimentaires, pharmaceutiques et médicaux, pétroliers et de l’électricité. Aussi, les avoirs de la République du Mali dans les Banques centrales de la CEDEAO ont été gelés, tout comme les avoirs dans les banques commerciales des pays de la CEDEAO. «Toute assistance et transaction financières en faveur du Mali par les institutions de financement de la CEDEAO» ont également été suspendues.

Ces mesures, ajoute la CEDEAO, resteront en place tant que la junte au pouvoir ne fera pas de progrès «satisfaisant» dans la mise en œuvre du chronogramme des élections. Samedi, la junte malienne avait dépêché à Accra deux ministres afin de présenter son nouveau calendrier, prévoyant une période de transition de quatre ans.

Derrière la junte, le Groupe Wagner et la Russie

Si la CEDEAO motive principalement ses sanctions sur la tenue des élections, et le besoin de défendre ses principes fondamentaux de gouvernance, la crainte de la présence des milices de la société militaire privée russe Wagner n’est qu’à moitié cachée. En effet, l'organisation ouest-africaine a décidé samedi «d’activer immédiatement la Force en attente de la CEDEAO qui doit se tenir prête à toute éventualité». Chargée d’assurer le maintien de la paix, la force dispose cependant de peu de moyens.

Alors que le pays est en proie aux violences djihadistes et communautaires, le gouvernement de transition malien s’est rapproché de la Russie au lendemain de l’annonce de la fin de l’opération militaire Barkhane par le président de la République française. Seulement 10 jours après le cout d’État d’Assimi Goïta, la France avait également suspendu sa coopération militaire avec l'armée malienne.

Le gouvernement de transition nie la présence du groupe Wagner, lié au gouvernement russe qui l’utilise pour défendre ses intérêts à l’extérieur, et assure que la présence de soldats russes au Mali résultait d’une coopération de formation entre les deux pays. Néanmoins, plusieurs sources ont évoqué la présence de 300 à 400 mercenaires du groupe Wagner arrivés en toute discrétion au Mali, déployés récemment dans le centre du pays ou des accrochages avec des djihadistes ont été signalés. Fondé par un ancien membre des forces spéciales russes, Wagner emploi des vétérans de l'armée russes et est parfois accusé d'être une couverture pour des opérations contrôlées par le renseignement russe.

Évoquée comme facilitateur ou soutien financier à la présence de Wagner au Mali, l’Algérie nie toute implication, accusant les journalistes relayant l'information de faire de la propagande pour la France. Pour sa part, Paris, tout comme Washington, condamne fermement la présence de Wagner au Mali, assurant que le groupe «ne peut que détériorer davantage la situation sécuritaire en Afrique de l'Ouest, conduire à une aggravation de la situation des droits de l'Homme au Mali, menacer l'accord pour la paix et la réconciliation au Mali, et entraver les efforts de la communauté internationale pour assurer la protection des civils et apporter un soutien aux forces armées maliennes».

Le Mali isolé et étouffé par l’embargo

Face à cette menace qui pèse sur toute la région, la CEDEAO est intervenue en espérant faire suffisamment pression sur le Mali pour contraindre la junte militaire à renoncer à son recours au groupe Wagner et le rapprochement avec Moscou qu’il implique. Entouré de pays de la CEDEAO, le Mali se retrouve aujourd’hui avec uniquement deux options commerciales terrestres directes : l’Algérie et la Mauritanie.

Or, seulement 0,4% des importations maliennes viennent d’Algérie au 4e trimestre 2020, rapporte l’Institut national de la statistique du Mali, soit 4,4 millions d’euros, et 0,62% à la Mauritanie soit 6,8 millions d’euros. Pour l’Afrique de l’Ouest, la balance monte à 410 millions d’euros, soit 37,3% des importations.

De plus, les moyens de transports existants entre le Mali et les deux pays maghrébins sont peu développés, avec comme seule possibilité le recours au transport routier à travers des milliers de kilomètres de régions désertiques. Plusieurs camionneurs marocains ont d’ailleurs payé le prix de l’instabilité du nord du Mali. En septembre, deux d’entre eux ont perdu la vie dans l’attaque de leur convoi et deux autres ont été visés par des tirs en décembre.

La réaction des autorités maliennes face à la crise

En réponse à ces menaces pour l’économie malienne grandement dépendante de ses voisins d’Afrique de l’Ouest, la junte a publié un communiqué, lu en direct sur l’ORTM par le porte-parole du gouvernement, dénonçant des mesures «contrastant les efforts fournis par le gouvernement», jugeant les sanctions «illégales et illégitimes».

Alors que la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest est un organe indépendant, le Mali estime que les mesures de gel de ses avoirs est une violation des traités de la Banque et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Aussi, le gouvernement malien estime que la fermeture des frontières et la suspension des transactions commerciales «ne sont fondés sur aucun texte communautaire».

Conscient des conséquences de la présence de mercenaires russes sur son territoire, le gouvernement revendique également avoir «engrangé des résultats spectaculaires dans la lutte contre le terrorisme, ce qui n’était pas arrivé depuis plus d’une décennie», visant à demi-mot la France et son départ du pays. Paris n'a pas encore réagi à ces déclarations ni aux sanctions imposées par le CEDEAO.

La junte, qui accuse la CEDEAO d’être «manipulée par des puissances extra régionales aux desseins inavoués», annonce aussi «prendre toutes les mesures nécessaires en vue de riposter à ces sanctions malencontreuses». Quant à la mobilisation de la force de réserve, le gouvernement appelle l’armée malienne et la population à redoubler de vigilance «face à toute éventualité du déploiement des forces étrangères».

En outre, le Mali a annoncé avoir rappelé tous ses ambassadeurs dans les États membres de la CEDEAO, tout en appelant «à la solidarité et à l’accompagnement des pays et institutions amis» pour se sortir de cet isolement. Pour les soutiens maliens au gouvernement, ces sanctions auront sans aucun doute des conséquences «chaotiques pour le Mali». Pour beaucoup, comme avec chaque embargo, «c’est le peuple qui est sanctionné», rapporte RFI. La question est maintenant de savoir si ces sanctions ne risquent pas de précipiter définitivement le Mali dans son rapprochement avec la Russie.

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com