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Grand Angle  

Casablanca : Les langues se délient sur le harcèlement sexuel à l’Université Hassan II

Une semaine après les révélations d’affaires de harcèlement sexuel dans les universités à Oujda et Tanger, s’ajoutant au dossier devant la justice à Settat, au tour de l'Université de Casablanca de trembler au sujet d'«affaires étouffées depuis des années». L’ancienne présidente, actuellement ministre, aurait été informée mais sans donner suite.

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L'Ecole supérieure de technologie à Casablanca / DR.
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Le tribunal correctionnel de première instance à Casablanca tiendra, le 25 janvier, une audience reportée une première fois le 28 décembre 2021 à la demande des avocats de la défense, dans le cadre d’une affaire de harcèlement, de chantage sexuel, de tentative de viol et d’abus de pouvoir, mettant en cause un enseignant de l’Ecole supérieure de technologie (EST). Ancien chef du département de techniques de gestion au sein de l’établissement, l’homme fait l’objet d’une plainte collective de près de cent personnes, dont des professeurs. Une collègue raconte même avoir échappé à un viol de la part du prévenu.

Les faits remonteraient à 2019, lors d’un colloque tenu en Tunisie auquel un groupe d’enseignants de l’Université Hassan II de Casablanca ont participé. Selon la plaignante, l’enseignant lui aurait proposé de l’accompagner à sa chambre d’hôtel pour lui remettre un cadeau reçu dans le cadre de l’événement. La professeure s'est dite surprise de voir son collègue l’enfermer dans la pièce puis tenter de la violer, avant qu’elle ne se débatte et qu’elle réussisse à s’échapper. Elle aurait tout de suite rejoint ses collègues encore regroupés, pour leur faire part de ce qui s’est passé.

L’un des témoignages écrits aurait relaté les faits, tout en décrivant l’état de panique dans lequel l’enseignante se trouvait. Les révélations indiquent également que le directeur de l’EST, alerté dès 2019, n’aurait «pris aucune mesure». Sous son mandat de présidente de l’Université Hassan II, l’actuelle ministre de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, Aawatif Hayar, aurait été informée également, mais elle n’aurait pas réagi. Contactée par Yabiladi à ce sujet, ce lundi, elle n’a pas donné de suites à nos sollicitations téléphoniques.

Avec cette affaire, l'Université Hassan II devrait voir les langues se délier, notamment de la part d’étudiantes mais aussi d’enseignantes dans diverses facultés et écoles relevant de l’institution. Une semaine après que des étudiantes de l’Ecole nationale de commerce et de gestion (ENCG) à Oujda et de l’Ecole roi Fahd de la traduction à Tanger ont brisé le silence, des sources au sein de l’université de la capitale économique ont confirmé à Yabiladi que «plusieurs affaires sont tues depuis des années» et que «des plaintes écrites sont déposées».

Après les scandales sexuels dans les universités Mohammed Ier et Abdelmalek Essaâdi, ces dernières ont annoncé la mise en place de dispositifs pour recueillir de nouveaux témoignages et signalements, dans le respect de la discrétion des victimes, ou encore pour proposer un accompagnement psychique et juridique aux victimes. A Casablanca, la situation serait différente.

«Plusieurs affaires étouffées» à l’Université Hassan II

Dans le milieu universitaire casablancais, le cas de l’enseignant de l’EST ne serait pas inédit. Au sein des facultés, des sources ayant requis l’anonymat ont confirmé à Yabiladi que «le phénomène sévit depuis des années, des vice-doyens reçoivent des plaintes écrites, d’étudiantes et aussi d’enseignantes, mais les enquêtes ne sont pas menées jusqu’au bout, lorsque les affaires ne sont tout simplement pas étouffées». «Des professeurs ont déjà remarqué des éléments corroborant la présence de pratiques de harcèlement visant globalement des femmes, qu’elles soient étudiantes ou enseignantes», a affirmé notre source.

Dans ce contexte, le Syndicat national de l’enseignement supérieur a réagi, depuis le 20 décembre 2021, aux diverses révélations, mais en se rangeant du côté des enseignants soupçonnés de harcèlement et de chantage sexuels, tout en dénonçant «une campagne de diffamation». Considérant que l’organisation syndicale devrait plutôt rester en phase avec les valeurs universelles qu’elle dit défendre, des universitaires ont pour leur part soutenu les plaignantes.

Ainsi, les deux enseignants Latifa El Bouhsini et Adnane Jazouli à la Faculté des sciences de l’éducation (FSE) de Rabat ont récemment signé une tribune, soulignant que «les révélations à Settat ont ouvert la voie pour exhumer d’autres affaires, ce qui est symptomatique de l’ampleur que prend désormais le phénomène dans les universités». «Par le passé, des pratiques similaires ont été révélées puis étouffées aussitôt, afin de protéger le mis en cause et ses intérêts, au lieu de protéger les victimes, au vu des mécanismes qui minimisent la portée du harcèlement», ont écrit les deux professeurs, dans leur réponse consultée par Yabiladi.

Pour les deux signataires, le syndicat «aurait pu ne pas réagir, vu que les affaires [notamment en justice, ndlr] n’entrent pas dans son champ d’action». Et de souligner que «ces révélations mettent en cause des enseignants ayant agi seuls, à titre individuel et non pas le corps de métier dont ils font partie ; c’est donc à eux de se défendre et de fournir les preuves de leur innocence, maintenant que la justice s’en est saisie». Les auteurs de a tribune ont rappelé que le corps enseignant était plutôt dans le besoin d’une organisation syndicale qui défende «l’amélioration de la situation économique des collègues ainsi que de leurs conditions de travail, afin qu’ils remplissent pleinement leurs responsabilités dans la production du savoir pour éclairer la société».

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