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Grand Angle

Crise sanitaire et relance économique : Le Maghreb, un talon d’Achille de l’Europe

Pour le think tank indépendant, le plan européen de relance économique post-crise sanitaire doit inclure le Maroc, la Tunisie et l’Algérie, confrontés aux mêmes difficultés mais sans avoir les moyens et la crédibilité donnés par l’euro. Car une instabilité au Maghreb, due à la crise, pourrait avoir des conséquences préoccupantes pour l’Europe. 

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Photo d'illustration. / DR
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L’Europe doit déployer une coopération économique et financière renforcée avec le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, dont les économies ont été fragilisées par la crise sanitaire liée à la pandémie du nouveau coronavirus, a estimé cette semaine l’Institut Montaigne. Dans une analyse signée Hakim El Karoui et intitulée «La stabilité du Maghreb, un impératif pour l'Europe», le Think tank indépendant créé en 2000 revient ainsi sur la relance européenne post- crise sanitaire due à la pandémie du nouveau coronavirus, appelant à ce qu’elle se fasse sas oublier «l’étranger proche». Il y estime que «le destin de la France et de l’Europe est étroitement lié à celui des pays du Maghreb, du fait des importants flux d’hommes, d’idées, de marchandises, d’argent entre les deux rives de la Méditerranée». Une importance «largement sous-estimée», les Européens ne semblant pas avoir intégré le Maroc, l’Algérie et la Tunisie à leur réflexion stratégique globale.

La note met en garde contre la déstabilisation d’un de ces trois pays du fait de la crise, ce qui «entraînerait des réactions en chaîne connues et indésirables (risque islamiste, émigration, influence croissante d’autres puissances)». Rappelant le soutien de l’UE aux trois pays du Maghreb, l’analyse met la lumière sur le «recule progressif» de l’influence de l’Europe dans cette région qu’elle considère comme son «pré carré traditionnel» au profit de grands acteurs régionaux et mondiaux. «Le Maroc est au cœur des intérêts régionaux et internationaux, notamment parce qu’il est un carrefour pour les échanges vers l’Europe comme vers l’Afrique», poursuit Hakim Karaoui, qui souligne que «le Maroc intéresse de plus en plus la Chine».

«La Chine regarde de près les implantations logistiques, notamment à Tanger, et exporte beaucoup de biens manufacturés et de matériel au Maroc. Elle a aussi construit un partenariat avec le Maroc pendant la crise du Covid-19 (envois de masques, test avancé de vaccins, distribution massive de vaccins chinois, etc) et est en bonne position sur le plan des importations marocaines: elle représente 10% du total en 2019, tout de même derrière l’Espagne (15%) et la France (12%).»

Hakim Karaoui

Des économies fragilisées, face à des défis communs

De leurs côtés, la Tunisie est courtisée par la Turquie et le Qatar, tandis que la Chine et la Russie s’intéressent de plus en plus à l’Algérie, poursuit la note, qui constate que les économies des trois pays restent «marquées par des fragilités structurelles, accentuées par la crise».

En effet, l’analyse met en avant la situation économique fragile de la Tunisie dont «le plan de relance demeure modeste par rapport à la moyenne mondiale et des pays émergents». A l’inverse de la Tunisie, la stabilité politique du Maroc lui a permis de refinancer sa dette sur les marchés et de contenir l’inflation, reconnait Hakim Karaoui, qui pointe toutefois du doigt «les inégalités et le taux de chômage, notamment chez les jeunes», qui «demeurent importants et sont aujourd’hui accentués par la crise du Covid-19». Pour le chercheur, «l’accroissement rapide du ratio d’endettement et le creusement des déficits courants – de deux à trois points de PIB selon le FMI – menacent la soutenabilité des finances du Royaume, dont la notation souveraine pourrait être dégradée».

Ainsi, «la crise sanitaire a contribué à accroître l’instabilité des trois pays du Maghreb, dont la situation sociale était déjà préoccupante», poursuit l’analyse qui reconnaît que le chômage progresse, chez les jeunes diplômés, chez les femmes dont le taux d’activité est déjà bas, mais également chez les hommes dans la force de l’âge, notamment ceux travaillant dans les secteurs du tourisme et des transports.

Le senior fellow de l’Institut Montaigne ajoute qu’une situation fragile au Maghreb «pourrait avoir des conséquences préoccupantes pour l’Europe (immigration, problèmes de sécurité, implantation de puissances hostiles)». Dans ce sens, «tout en respectant leur souveraineté, l’Europe devrait se donner les moyens de soutenir les économies de ces pays, gages de stabilité sociale et donc politique», enchaîne-t-il.

Une prise de conscience européenne et un soutien financier nécessaires

La note estime ainsi que la crise actuelle «pourrait constituer une opportunité pour ces pays de se relancer durablement, s’ils peuvent accéder à des liquidités qui leur permettraient d’accélérer la transformation de leurs modèles de développement». De ce fait, et compte tenu des «imbrications humaines, politiques, économiques et sociales entre le sud de l’Europe et le nord de l’Afrique», il s’agit d’un «enjeu majeur pour l’UE», poursuit-on.

Rappelant que le plan européen de 750 milliards d’euro n’inclut pas cet «étranger proche, confronté aux mêmes difficultés sans avoir les moyens et la crédibilité donnés par l’euro», le chercheur met en garde contre les conséquences, notamment en matière d’émigration incontrôlée et de consolidation de l’implantation turque ou chinoise aux portes de l’Europe, si un des trois pays du Maghreb devait entrer dans une crise sociale et donc politique longue.

«Pour l’Europe, et notamment l’Italie, l’Espagne et la France, aider les trois pays du Maghreb à franchir la crise est socialement juste, moralement nécessaire et politiquement utile.»

Hakim Karaoui

Pour sortir de la crise actuelle, l’un des soutiens apportés aux économies des pays du Maghreb pourrait consister en «une allocation générale de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI», recommande le senior fellow de l’Institut Montaigne. «Une allocation de DTS serait un moyen d’accroitre les réserves internationales des économies. Une allocation générale de DTS de l’ordre de 500 milliards de dollars permettrait un apport de 420 millions de dollars pour la Tunisie, 690 millions de dollars pour le Maroc et 1 500 millions de dollars pour l’Algérie», suggère-t-il.

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