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Tribune

Pour en finir avec « LA » lecture

«Les jeunes ne lisent plus.» «Il faut qu’ils lisent.» «Que faire pour qu’ils lisent ?»

Que d’angoisse ! Eh bien ne faites rien contentez vous d’observer ce qui se passe vraiment. Ecoutez le souffle nouveau chez les jeunes qui vivent une révolution dans les modes d’expression de l’humanité et souvenez-vous des années 70 quand vous étiez jeunes et libres et que vous chantiez avec Nass Al Ghiwane  «A Souhan Allah çifna oulla chatwa ou rja3 façl errbi3 fel bouldane khrif» ou avec Bob Dylan 

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Temps de lecture: 4'

Rassurez-vous : tout change et tout continue à la fois. En avril 1994, j’avais fait une intervention intitulée «Du verbe à l’industrie pour un Colloque commun (HEM, Fac de lettres de Aïn Chock et la Fac de droit) dans laquelle j’avais parlé entre autres de tous les supports de communication depuis la simple voix et les gestes ou les signaux de fumée en passant par la pierre, les tablettes d’argile, le papier, l’imprimerie, pour arriver à l’ère numérique que nous vivons et qui virtuellement résume tous les supports.

Mais pour quelque spectaculaire qu’elle soit, cette ère numérique reste un simple support pour la communication. Ce qui le rend effrayant, c’est  sa virtualité, sa rapidité, son ouverture immédiate sur le monde qui ne permet plus de cachotteries politiques ou financières, ses moteurs de recherche et ses millions de sites sur tous les sujets, ses média libres en ligne qui ne permettent plus de rétention de l’information et donnent droit à la contestation directe affichée en temps réel. Toutefois, la toile n’est rien d’autre, qu’un immense livre ouvert sur l’humanité dont elle reflète les défauts, les qualités, les diversités culturelles, les dangers aussi. Comme chaque époque, la toile a ses glissements, ses dangers : vols, arnaque, piratage et ses lieux de dépravation. Une jungle ? Mais le monde à petite ou grande échelle n’a pas toujours été une jungle, une lutte constante pour la survie ?

Survivre

«Survivre», voilà un vrai mot, lourd de sens et pour survire ne faut-il pas lire ? Je dis bien «LIRE» et non pas «lire un livre». Une petite recherche du côté du Coran sur le mot «Livre» m’a donné les notions suivantes :

Livre et foi ; livre et sagesse ; livre et discernement ; livre et comportement ; livre et connaissance complète ; livre adressé à ceux qui réfléchissent et qui analysent ; livre englobant le visible et le caché  de l'univers ; livre qui fait sortir des ténèbres ; livre registre de nos bonnes ou de mauvaises actions ; livre explicite et clair où tout est écrit ; livre où sont inscrites les destinées humaines. Livre lumineux.

Lire veut donc dire lecture plurielle, diverse dans le vaste livre de l’univers entre l’Un et le multiple. S’il y a clivage aujourd’hui entre jeunes et vieux, c’est parce que les jeunes, comme toujours d’ailleurs, ne sont pas accrochés à un passé glorieux ou non et ont très vite appris à aborder le monde à travers les nouvelles technologies. Si nous voulons leur transmettre notre expérience, il nous faut apprendre leur langage et les supports qu’ils utilisent pour s’exprimer.

On répète souvent «Nous sommes le peuple de «Iqra’» (Un Milliard et demi de Musulmans quand même !) et nous ne lisons pas». Mais dans cette fameuse sourâ adressée au prophète il s’agit de «Iqra’ bismi rabika aladhi khalaq» Lecture et création sont directement liée. D’ailleurs le prophète répond qu’il n’est pas lettré et Dieu insiste en ajoutant aux deux premiers ordres de lecture, un ordre de lire au nom du Dieu de la création. Donc une lecture plurielle, qui transcende  la seule lecture de  la lettre. Et si le support, le qalam est mentionné plus loin dans la sourâ, il n’en reste pas moins que la lecture de la création vient en premier. La lecture ici est un acte dynamique et non un rapport avec un livre statique. A signaler à ce propos, un livre magnifique écrit par le philosophe marocain Ibn Tofaïl (1100-1181) sur la lecture de la création divine par un enfant qui échoue sur une île où il est le seul être humain.

Que font donc les êtres vivants pour survivre ? Ils lisent avec tous leurs sens. Ils développent des habitudes et des instincts à partir de leurs expériences de l’univers, expériences heureuses ou douloureuses.  Tout le long de leur évolution, les êtres humains, pour ne parler que d’eux, ont accumulé des connaissances, de l’art, des techniques. Ils ont depuis le début de l’humanité cherché à en laisser des traces depuis les gravures rupestres jusqu’aux nouvelles technologies aujourd’hui où lettres, images et sons nous parviennent à la vitesse lumière. Ces nouvelles technologies qui non seulement abordent globalement le présent de la planète mais permettent aussi de reconstituer la vie des Dinosaures et de leur cadre de vie disparu.

Un paysan a-t-il besoin d’avoir lu Ibn Rochd ou Spinoza pour lire les nuages et savoir lesquels sont de passage et lesquels arroseront  son champ. Nos grand-mères avaient-elles besoin de livres pour nous transporter à bord de contes fabuleux. Les nomades du désert ne lisent-ils pas leur chemin dans les étoiles. Va-t-on chercher dans un dictionnaire quelconque pour lire la tristesse ou la joie sur un visage ? Ne sait-on pas déceler un amour profond derrière un regard timide ou  l’hypocrisie derrière un sourire fourbe?

Lire avec ses sens

La lecture est donc un acte constant de vie et de survie. Nous lisons tout le temps avec nos cinq sens. Nous voyons, nous sentons, nous entendons, nous goûtons et touchons la vie. De même que nous donnons à lire aux autres avec nos sens : Le Tagine de nos mères avec tout ce qu’elles y mettent d’art ancestral et d’amour ici et maintenant, n’est-il pas une merveilleuse lecture - écriture l’histoire gastronomique du Maroc ?

Arrêtons donc de parler de gens analphabètes, il y a tant d’alphabet dans ce monde ! Tant d’êtres humains toutes cultures confondues, n’en n’ont pas moins développé et transmis oralement et par l’exemple des cultures magnifiques et de belles philosophies de vie.

Est-ce à dire qu’il faut bannir le livre ? Bien sûr que non ! Il ne faut rien bannir de notre famille humaine. Tout nous appartient, tout nous enrichi. Continuons donc à lire l’univers, la vie sous toutes ses formes, lisons notre si belle planète bleue et comment chaque peuple s’y est inscrit avec sa vision de vie et ses moyens de l’heure et ce, avec tous les moyens qui nous ont été donné ou que nous avons créés. Cherchons en nous et hors de nous tous les livres écrits sur tous les supports dans notre douloureuse mais si merveilleuse aventure humaine.

Tribune

Hafsa Bekri Lamrani
Professeur de Littérature Anglaise Diplômé
Tous les livres sont bons à lire...
Auteur : ريم
Date : le 08 mai 2012 à 11h09
Salam aleikûm,

Merci à Madame BEKRI LAMRANI pour cet article, j'espère que ce n'est que le premier et qu'on lui en lira d'autres car j'aime bien ce style et cette manière de traiter les sujets avec à la fois une certaine légèreté et des bases solides.

Les nouvelles générations lisent mais pas les mêmes livres que nous avions lus. Il ne faut pas s'inquiéter non, en Été de mes 14ans, je me souviens avoir passé les vacances à lire "Alâyaame " de TAHA HOUSSAYENE, aujourd'hui, ma petite nièce, au même âge lit "Harry Potter" devrais-je lui dire que ce n'est pas un bon choix, eh bien je pense que non car j'avoue n'avoir jamais lu ce livre et je n'ai aucunement l'intention de le faire. Donc comment pourrais-je déconseiller ce que je ne connais pas et puis, je pars d'un principe qui dit qu'il n'y a pas de mauvais livre. Il y a toujours quelque chose à apprendre dans un livre. Il faut cependant, apprendre aux jeunes de lire avec des outils. Par outils, j'entends ce bagage linguistique, culturel,...qui lui permettra de lire avec un certain recul. En d'autres termes : n'apprenez pas à vos enfants de choisir un livre, apprenez-leur à en rendre compte à l'écrit ou à l'oral, le présenter, présenter son auteur en quelques mots, donner un bref résumé et surtout formuler leur avis et le ressenti que cette lecture leur a laissé : ce qu'il ont aimé, moins aimé...

On reproche également aux jeunes, de préférer les histoires racontées à travers des images entièrement ou principalement ( B.D, mangas, ...) là aussi, il suffit d'intervenir en leur fournissant les clés de la lecture d'image et les habituer à reformuler l'histoire en composant des phrases correctes et complètes, oralement dans un premier temps puis les inviter à rédiger ce qu'ils viennent de dire, je vous l'assure, vous serez agréablement surpris de ce que ces petits lecteurs seraient capables de réaliser.

Je vous cite : "Un paysan a-t-il besoin d’avoir lu Ibn Rochd ou Spinoza pour lire les nuages et savoir lesquels sont de passage et lesquels arroseront son champ. Nos grand-mères avaient-elles besoin de livres pour nous transporter à bord de contes fabuleux. Les nomades du désert ne lisent-ils pas leur chemin dans les étoiles. Va-t-on chercher dans un dictionnaire quelconque pour lire la tristesse ou la joie sur un visage ? Ne sait-on pas déceler un amour profond derrière un regard timide ou l’hypocrisie derrière un sourire fourbe?"
Pour répondre à cette question, on serait tenté de dire à l'instar d'un certain ancien Président de la République ( tout juste sortant ) que non, exactement comme on n'a pas besoin de lire La Princesse de Clèves pour devenir fonctionnaire ! Mais les situations ne sont pas les mêmes partout et à toutes les époques. Si un paysan perd ses poireaux car il s'est trompé de date pour les planter, personne ne le sanctionnera ( hormis sa femme peut-être mais il n'y aura pas mort d'homme :-) ) alors que par exemple, un médecin qui commet une erreur car il n'a pas lu le bon article concernant son opération, je pense que la société ne lui pardonnera pas. La lecture n'est pas toujours une passion, elle est aussi un devoir.





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