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Histoire : Ouichane, le site qui a mis le Maroc au 4e rang mondial de l’industrie minière

Connue pour ses gisements de fer, d’hématite et de baryte, la province de Nador a fait l’âge d’or de l’activité minière marocaine, durant le XXe siècle. Aujourd’hui, beaucoup de ses unités industrielles datée de ces années-là ont laissé place à des cités fantômes, à l’image de Ouichane.

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Vue sur les exploitations désaffectées de Jbel Ouichane / Ph. Bilal Ahfid
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Pendant près d’un siècle, l’extraction minière et la transformation de métaux ont fait la notoriété internationale du nord-est du Maroc. Ce sont particulièrement la province de Nador et son mont Ouichane, dit également Ouixane, près de Melilla, qui ont fait cette célébrité. A 700 mètres d’altitude, le Jbel s’est fait connaître dès le début du XXe siècle pour ses gisements de métaux et de minéraux, constituant la plus grande mine naturelle du pays.

Les premières descriptions indiquent une zone caractérisée par une variété de pierres lourdes et sombres, que la population a considéré inutiles, mais dont la valeur s’avère importante. En effet, ces roches renferment de grandes quantités d’hématite, ce qui a suscité les convoitises ibériques. En 1905, le roi Alfonse XIII d’Espagne (1886 – 1931) a eu écho du potentiel économique du massif des Beni Bou Ifrour, entre fer, phosphore, plomb, hématite et silicium.

Des centaines de milliers de tonnes de métaux pour l’Europe

Peu de récits documentent la genèse des extractions par les investisseurs espagnols à Nador. Pour autant, les versions s’accordent sur l’intérêt grandissant des expansionnistes ibériques, qui ont lorgné ces ressources naturelles à travers le prisme du long terme. Le roi d’Espagne effectue alors des visites dans la région, où il inaugure une ligne ferroviaire qui passe par Melilla. Les Rifains se sont révoltés, après avoir pris connaissance du plan de l’occupation ibérique. Mais dans la foulée, les Espagnols scellent un accord avec Rougui Bouhmara, obtenant ainsi l’exploitation des mines pour une durée de 97 ans.

Crédit photo : @Molam_ / TwitterCrédit photo : @Molam_ / Twitter

Vent debout contre la mainmise espagnole sur les gisements naturels de la région, le résistant Mohamed Améziane (1859 - 1912) et qadi des Béni Bou Ifrour s’oppose fermement à tout projet ibérique. Mais deux ans après son décès, les activités commencent en 1914, employant des ouvriers qui s’y sont attelés manuellement.

Jusqu’à l’indépendance, 7 500 ouvriers (dont 7% ibériques) auront été mobilisés, pour un salaire journalier ne dépassant pas les 40 centimes. Ils auront permis d’acheminer 48 000 000 de tonnes vers le royaume espagnol. Des dizaines de milliers de tonnes ont été exportées aussi vers la Grande-Bretagne. Rien qu’en 1915, l’Espagne aura vendu près de 47 000 tonnes de métaux aux Britanniques. L’année d’après, la livraison a augmenté de manière exponentielle, pour atteindre 270 000 tonnes à destinations de l’Europe.

Crédit photo : @Molam_ / TwitterCrédit photo : @Molam_ / Twitter

Le passage du procédé artisanal à l’industrialisation mécanique a encouragé l’Espagne à élargir l’activité et à mettre en place une cité minière. Des habitations pour les ouvriers et leurs familles ont ainsi vu le jour près des mines. Des maisons ont été construites pour les techniciens, ainsi que des villas pour les ingénieurs.

Par ailleurs, de grandes unités de cassage, de tri et de finition du produit sont mises en place, de même que des moulins à grande capacité pour réduire les métaux en poudre. Ces installations constituent le plus grand chantier industriel qu’aura connu le Maroc, dans la première moitié du XXe siècle.

Crédit photo : @Molam_ / TwitterCrédit photo : @Molam_ / Twitter

Les prémices d’un essoufflement dans les années 1970

Au lendemain de l’Indépendance, l’exploitation minière a été transférée à SEFRIF, la Société d’exploitation du Fer du Rif à Ouichane et Iberkanene. Pour reconstruire le pays après 1956, le Maroc a en effet opté pour le renforcement des unités de transformation des métaux dans plusieurs provinces, particulièrement dans l’Oriental. SEFRIF aura mobilisé 30 000 ouvriers, pour une production d’un million de tonnes par an.

Cette capacité a classé le site d’exploitation premier en Afrique et quatrième mondial, concurrençant des géants du marché international comme les Etats-Unis, le Canada et la Suède. Mais rapidement, «la SEFRIF a dû faire face à l’épuisement du minerai superficiel à forte teneur exploitable par carrière, exploiter des niveaux plus profonds à 55% de teneur, organiser l’exploitation de nouveaux sites à Imnassen et Axara», écrit l’universitaire Christian Verlaque dans «Annuaire de l’Afrique du Nord - Les ressources minérales de l’Afrique du nord-ouest» (CNRS, 1974). Pourtant, «elle continue d’exporter le minerai par Melilla, du fait de l’ajournement du projet d’usine sidérurgique (180 000 tian) et du port de Nador».

Au début des années 1970, une nouvelle mine est découverte. L’entreprise met en service «une unité de pelletisation qui doit permettre d’exporter 840 000 tian de pellets à 60% de fer et redresser ainsi la position du fer marocain sur les marchés extérieurs», rappelle le spécialiste de géographie économique, né à Boulemane. Mais au fil des années, les choses ne se déroulent par comme prévu. La production baisse et la situation des ouvriers se dégrade. Couvrir le déficit devient de plus en plus difficile, précipitant la fin des activités minières.

Cette hémorragie aura duré une trentaine d’années, jusqu’à la fin des années 1990 qui auront marqué la faillite des usines. Fleuron de l’économie d’un Maroc nouvellement indépendant, le site naturel à perte de vue surplombant Jbel Ouichane aura tristement laissé place à une infrastructure abandonnée.

Une population abandonnée à son sort

Ayant fait la richesse des exploitants espagnols, des importateurs britanniques, puis du pays au lendemain de son indépendance, Ouichane est abandonnée à son sort depuis l’arrêt des exploitations de SEFRIF. Le chômage monte en flèche, sans alternatives économiques à l’horizon.

Crédit photo : @Molam_ / TwitterCrédit photo : @Molam_ / Twitter

Lorsque cette industrie a été officiellement abandonnée, la quasi-totalité de l’infrastructure en béton a été détruite. La machinerie, les appareillages et même les wagons de trains de marchandise ont été revendus dans des circonstances opaques. Plus tard, certains engins ont été retrouvés à l’étranger, notamment dans des pays d’Amérique Latine.

A leurs risques et périls, les riverains n’ont pas eu d’autre choix que de réinvestir les lieux désaffectés. Dans des mines enfouies, ils découvrent de la baryte bleue, qu’ils extraient de manière artisanale et informelle. L’image rappelle ce qui est advenu de l’exploitation des puits de charbon à Jerada, également dans l’Oriental, avec l’arrêt des exploitations de Charbonnages du Maroc à la fin des années 1990.

La baryte bleue / DR.La baryte bleue / DR.

La baryte bleue étant une composante de luxe très prisée sur le marché international, tout un circuit de précarité des ouvriers et de prospérité de la contrebande s’est organisé autour de l’extraction informelle, pour la vente et l’exportation du produit. En plus de courir un danger de mort, en cas d’effondrement de l’une des mines, les travailleurs mettent leur santé en peril, à l’image de leurs aïeux qui ont fait l’âge d’or de l’activité minière dans la province.

Dans cette tragédie collective, les interrogations des habitants et du tissu associatif local sur le retard des actions pour formaliser les activités dans la région ont peu été entendues.

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