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Germain Moüette ou le récit d’un captif français à l’époque des premiers sultans alaouites

Réduit en esclave en 1670 par des pirates de Salé, Germain Moüette passera des années infernales dans la capitale des corsaires avant de partir à Fès puis à Meknès. Ses onze ans passés en captivité, il les a documentés grâce à la contribution de son maître «talbe Bougiman» à qui il doit de précieux renseignements sur le royaume chérifien à l’époque.

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Photo d'illustration. / DR
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Le 16 octobre 1670, alors qu’il se rendait à bord de la frégate française La Royale aux Antilles, Germain Moüette, né en France en 1651, est capturé tout comme l’équipage du bateau par des corsaires de Salé. Sa vie changera alors radicalement, devenant un captif chrétien au service du sultan du royaume chérifien.

Connu sous le nom de Sieur Moüette, il sera conduit comme d’autres captifs étrangers, à Salé, décrite par Gillian Weiss comme «la capitale des pirates du Maroc». Dans son livre «Captives and Corsairs : France and Slavery in the Early Modern Mediterranean», (Editions Stanford University Press, 2011), l'historienne qualifie Moüette d'«un des rares chroniqueurs de la captivité marocaine».

En effet, au cours de ses 11 ans passés au Maroc, Moüette s'est assuré d’inscrire, d’écrire et de se souvenir de tout ce dont il avait été témoin. Après avoir été vendu en tant qu’esclave à Salé, où il travaillait parmi les esclaves qui rénovaient les murs de la ville, il fut envoyé à Fès. D’ailleurs, Leïla Maziane, auteure de «Salé et ses corsaires, 1666-1727» (Editions Univ Rouen Havre, 2008) affirme que «Germain Moüette, qui séjourna au Maroc de 1670 à 1681, fut lui-même employé pendant plus de deux mois comme manœuvre à la réparation de plusieurs murs d’enceinte de Salé». Des «travaux durant lesquels les maçons musulmans ne cessèrent de le frapper à grands coups de truelle», rapporte-t-elle.

Les souffrances qu’il a endurées en captivité et les voyages qu’il a faits avec ses «maîtres, lui ont permis de donner un bon récit des royaumes de Fès et du Maroc», comme il l’écrit dans son propre récit intitulé «Relation de la captivité du Sieur Moüette dans les royaumes de Fez et de Maroc».

Moüette et Bougiman, une «amitié intellectuelle»

Dans la plupart de ses autres récits qui donnaient des détails sur les premiers sultans de la dynastie alaouite, la situation politique du royaume au XVIIe siècle et les coutumes et traditions des Marocains, Moüette témoigne d'un grand respect et d'une grande reconnaissance pour le gouvernement avec lequel il travaillait.

«On peut néanmoins objecter qu'étant captif ou esclave, il n'avait pas le loisir de se voir et de se renseigner comme le font les voyageurs : mais un homme qui a quelque chose de curieux, même au fond de la misère, ne manque jamais d'observer ce qui est remarquable», a-t-il commenté, avant de présenter «Bougiman» à ses lecteurs.

Ce dernier était un «talbe» ou un «docteur en droit mohomatan», comme l'appelle Moüette. Pour le captif français, Bougiman était l'homme qui «l'informait» de nombreux détails qu’il ne pouvait pas connaître. Le captif français se souvient que Bougiman était secrétaire d’un Caïd appelé Cidan, l’un des grands favoris de Moulay Rachid. «Lorsque Cidan a été assassiné par les grands du royaume, les biens de Bougiman au vieux Fès ont été pillés et il a été expulsé par les habitants», raconte-t-il. Un sort qui obligera son «informateur» de reprendre son travail de plâtrier, poursuit-il.

C'est durant cette période difficile que Moüette rencontra Bougiman, qui devint son maître. Après avoir passé environ deux ans à Fès, les deux hommes sont partis pour Meknès, où Bougiman sera embauché par le sultan.

La carte du Maroc par Moüette. / DRLa carte du Maroc par Moüette. / DR

L’ouvrage «Vivre avec l'ennemi : la cohabitation de communautés hétérogènes du XVIe au XIXe siècle» (Editions Presses Univ Blaise Pascal, 2008) évoque d’ailleurs une «longue collaboration que mettent en œuvre Germain Moüette (…) et ce talbe Bougiman au service duquel il est employé à gâcher du plâtre et broyer des couleurs». «A ses côtés, il est formé à l’art du stuc mais surtout, écrit-il, ce talbe, nommé Bougiman, m’apprit plusieurs choses de meurs et de la religion du pays que j’ai décrites ailleurs», poursuit l’ouvrage.

«Avec ce lettré (…), Germain Moüette noue une relation d’amitié qui n’est pas en soi si exceptionnelle mais qui se traduit, de manière plus rarement attestée, par une véritable relation intellectuelle. Loin d’avoir été un simple ''informateur indigène'' Bougiman initie Moüette à un savoir sur le Maroc, peut-être sous forme immédiatement scripturaire, qui paraît presque relever de la dictée.»

Extrait de «Vivre avec l'ennemi : la cohabitation de communautés hétérogènes du XVIe au XIXe siècle»

Une mine d’or et un plaidoyer pour la France et le royaume

Germain Moüette sera reconnaissant à son maître pour les connaissances qu’il lui transmettra, mais aussi pour l’une des cartes du Maroc qu’il publie dans son livre, des années plus tard. Il l’intitule «Carte générale des Etats du Roi de Fez qui règne aujourd’hui, composée par Talbe-Bougiman docteur de l’Alcoran» pour la différencier d’une autre «dessinée sur les lieux par le sieur G. Moüette». Ce dernier reconnait aussi, dans ses écrits : «Il m'a pleinement informé de la manière dont le gouvernement était dirigé et de la politique des rois de Fès et du Maroc», a-t-il rappelé. Mais ce n’était pas la seule chose qui l’intéressait, car Bougiman avait beaucoup de connaissances à offrir. En fait, Mouette était capable de posséder une carte détaillée des provinces du nord du Maroc.

La carte de la partie Nord du Maroc dessinée par Bougiman. / DRLa carte de la partie Nord du Maroc dessinée par Bougiman. / DR

Des cartes qui détaillent clairement des provinces, des villes et des rivières, décrit le captif français. Selon les historiens Gerald MacLean et Nabil Matar, Germain Moüette appellera aussi, à travers ses écrits, à «l’établissement de relations diplomatiques et commerciales avec ses anciens ravisseurs».

Dans leur livre «Britain and the Islamic World, 1558-1713», (Editions OUP Oxford, 2011), Maclean et Matar rappellent que durant ses onze ans de captivité, le Français a toutefois été «plus libre» pour écrire et découvrir. Les deux historiens ont conclu que «tout comme les récits de captivité anglais cherchaient à informer», ceux de Moüette évoquaient «les possibilités de traités de commerces (entre le royaume et la France) et un glossaire de termes arabes et de géographie régionale, qui pourraient s'avérer utiles aux marchands et aux ambassadeurs».

Après ses «longues» années de captivité, Moüette avait finalement été libéré après avoir été acheté par l’Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci, un groupe créé par l’Eglise pour la rédemption de captifs chrétiens réduits en esclaves par des pirates marocains.

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