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Grand Angle

Comme les adolescents du monde entier, ceux du Maroc boudent le sport

Selon une étude publiée récemment dans la revue médicale The Lancet Child & Adolescent Health, plus de 80% des jeunes dans le monde ne suivent pas la recommandation officielle de pratiquer une heure d’exercice par jour.

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Photo d'illustration. / DR
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Les adolescents sont-ils fâchés avec le sport ? Oui, à en croire une étude publiée vendredi 22 novembre dans la revue médicale The Lancet Child & Adolescent Health, selon laquelle plus de 80% des jeunes dans le monde entier ne pratiquent pas une heure d’exercice par jour, conformément à la recommandation officielle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cette estimation s’appuie sur des données compilées par des chercheurs, recueillies dans le cadre scolaire auprès de 1,6 million d’adolescents âgés de 11 à 17 ans et résidant dans 146 pays, indique Le Monde. «Ces jeunes ont répondu à des questionnaires sur leurs dépenses physiques au sens large, comprenant le sport mais aussi les déplacements actifs comme la marche ou les tâches domestiques», explique Regina Guthold, de l’OMS, auteure principale de l’étude.

Pratiquer une activité physique durant l’adolescence améliore «la santé cardiorespiratoire, musculaire et osseuse», rappelle le document, ajoutant qu’une activité physique favorise «le développement cognitif et les comportements prosociaux». A contrario, surpoids, diabète et douleurs de dos peuvent apparaître en cas d’insuffisance, voire d’absence d’activité physique.

Un environnement «obésogène»

Au Maroc, les résultats s’inscrivent dans cette tendance à l’inactivité physique et viennent conforter un constat formulé par les chercheurs : l’insuffisance d’activités sportives concerne plus les filles que les garçons. Ainsi, la prévalence d’activité physique insuffisante chez les garçons marocains en 2016 était de 84,6%, contre 90,1% pour les filles. De plus, la prévalence globale d’activité physique insuffisante chez les adolescents marocains, filles et garçons confondus, était de 87,3% en 2016.

«On observe de plus en plus chez les jeunes marocains des maladies chroniques qu’on recense habituellement chez des personnes de 40 ans et plus, comme le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie et l’obésité androïde (lorsque les dépôts de graisses sont principalement au niveau du ventre, ndlr), elle-même à l’origine d’un ensemble de pathologies. Tout cela provoque ce qu’on appelle le syndrome métabolique», nous explique le professeur Abdellatif Bour, président de la Société marocaine de nutrition (SMN). Le syndrome métabolique n’est pas une maladie en soi, mais renvoie à la coexistence de plusieurs troubles de santé d’origine lipidique, glucidique ou vasculaire associés à un excès de poids, chez un même individu.

Pour Abdellatif Bour, l’environnement dans lequel nous vivons est «obésogène». «Tout est fait pour que nous ayons le moins d’efforts physiques à faire, aussi bien dans l’espace public qu’à l’école ou au travail : c’est la loi du moindre effort. Couplé à l’inactivité physique, cet environnement obésogène provoque une balance énergétique positive, entraînant elle-même la formation de réserves de graisse chez l’enfant et l’adolescent», ajoute le professeur.

Le sport, «un potentiel éducatif indéniable»

Les résultats de cette étude diffèrent peu de ceux obtenus dans l’enquête nationale à indicateurs multiples et santé des jeunes (ENIMSJ), qui avait été menée entre 2006 et 2007. Les données collectées montraient que moins de 50% des jeunes (âgés de 15 à 24 ans) pratiquaient un sport. L’écart entre filles et garçons était particulièrement important : 73% des jeunes de sexe masculin déclaraient pratiquer un sport, contre seulement 17% des filles.

La pratique d’un sport dépend par ailleurs du milieu de résidence et du niveau d’instruction. Ainsi, dans la même enquête, les proportions de jeunes exerçant un sport étaient de 53% et 37% respectivement en milieu urbain et rural. De plus, les jeunes ayant le niveau secondaire étaient les plus nombreux à faire du sport, suivis des jeunes de niveau supérieur. Une plus faible proportion était enregistrée chez les jeunes n’ayant aucun niveau d’instruction.

L’ENIMSJ soulignait par ailleurs que 51% des jeunes s’adonnant au sport le faisaient dans la rue ; 20% dans un club privé et 13% dans des centres de jeunes. Les jeunes du milieu urbain (45%) avaient également plus de chance de pratiquer leurs sports dans un club privé ou dans un centre de jeunes que ceux du milieu rural (10%). «Les causes derrières la non pratique du sport sont nombreuses et varient selon le profil des jeunes. Mais, d’une manière générale, les jeunes l’attribuent au manque d’infrastructure ou de temps», soulignait l’enquête.

Une observation que confirme auprès de Yabiladi le sociologue Abderrahim Bourkia : «On peut s’adonner à une activité sportive avec des éléments basiques : footing, football, exercices physiques sur la plage ou à la maison, en faisant des pompes ou en accrochant une barre fixe… Cependant, il faut avouer qu’il y a un manque et parfois une absence de conditions ou de lieux pour faire du sport au Maroc.»

Egalement responsable de la filière sciences politiques et gouvernance à l’université Mundiapolis, notre interlocuteur explique que les pratiques sportives ont «un potentiel éducatif indéniable ; déjà en ce qui concerne le drainage des énergies négatives, puis par rapport à la notion de discipline, de performances et d’esprit de compétition, avec cette idée de se surpasser».

«Être en compétition ou s’adonner tout simplement à une activité sportive éloigne les jeunes de l’oisiveté et de l’emprise de la drogue, car ils auront la chance de se valoriser par d’autres moyens et de goûter à une autre manière de s’imposer, loin de l’image du caïd du quartier, avec un moyen pacifique et utile qui pourrait être rentable pour les sortir des sentiers d’une vie précaire.»

Abderrahim Bourkia 

Le sociologue préconise ainsi de «mettre en place des centres culturels et sportifs à la portée de tout le monde, des espaces où les jeunes peuvent jouer au foot, au basket ou tout autre sport qui a la côte au Maroc, à l’image de ce qui existe en Europe, où il y a un terrain dans chaque quartier». Il souligne également l’importance de renouer avec la pratique de sports collectifs dans les établissements scolaires, «et de créer dans chaque quartier des espaces pour l’enfance et les jeunes, financés par les contribuables avec une gestion communale».

Abderrahim Bourkia de conclure : «Le sport et la culture sont deux éléments majeurs pour pacifier les échanges sociaux et les interactions des uns et des autres.»

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