Officiellement, le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec Israël depuis 2000. Mais officieusement, les échanges économiques et technologiques ont continué malgré les coups de menton de certains ministres. L’achat de l’armement ou encore la coopération dans les secteurs clés de l’investissement sont connus, mais les conséquences sur le plan agricole sont moins évoquées.
En effet, certaines grandes entreprises spécialisées dans l’agriculture et les technologies agricoles, telle que Netafim (racheté en 2017 par Mexichem), ont récemment lancé une campagne publicitaire pour la promotion de leurs produits et leurs services. La filiale marocaine de l’entreprise est ainsi partie à la rencontre d’agriculteurs qui ont bénéficié de ses services et qui témoignent, face caméra, de «la performance du rendement».
Mais le revers de la médaille de cet apport technologique, scientifique et agricole est l’aspect de dépendance alimentaire que revêt cette coopération. C’est ce que nous explique notamment Fayçal Ouchen, secrétaire général du Syndicat national des paysans (SNP), membre de la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA). «Le Maroc compte beaucoup sur l’entité sioniste dans l’importation de semences, surtout les tomates et une large variété de légumes cultivés», nous explique-t-il.
Une dépendance économique et agricole ancrée dans les usages
Lui-même paysan, il dénonce que ces produits soient utilisés par les paysans et agriculteurs marocains. «Cela pose un réel problème dans la mesures où la majorité de ces graines importées d’Israël ne permettent d’obtenir qu’une seule récolte. Par conséquent, il faut en acheter de nouvelles, la saison d’après, ce qui donne lieu à une forme de dépendance alimentaire permanente».
Fayçal Ouchen rappelle aussi l’importation de tomates israéliennes, estampillées en France comme étant cueillies dans le terroir, afin d’être coulées dans l'Hexagone. L’affaire a été révélée début 2019, lorsqu’un grossiste français a été épinglé par la justice, mais ces usages ne sont pas aussi récents. En 2016, le mouvement BDS Maroc (Boycott, désinvestissement, sanction) a déjà pointé du doigt les importations de semences des tomates israéliennes par le Maroc.
Dans le temps, ce mouvement anti-normalisation, dont la FNSA et le SNP sont membres, a ainsi lancé une campagne contre les intrants agricoles, les semences, les pesticides, les engrais, les antifongiques et les produits utilisés dans l’agriculture marocaine, en provenance d’Israël. Déterminé à saisir le ministère de tutelle sur la question, il n’a cependant pas obtenu d’engagements pour mettre fin à ces importations.
«La provenance de ces produits et matériaux peut être connue, mais elle est souvent camouflée à travers des filiales installées dans d’autres pays, par exemple aux Pays-Bas ou en France», confirme Fayçal Ouchen à Yabiladi. «Dans les deux cas, ces cargaisons ne sont pas bloquées au niveau de la douane marocaine pour des raisons politiques, du moment qu’elles obéissent aux normes techniques et administratives et que leur contrôle ne montre pas de failles», déplore-t-il.
Une dépendance qui en engendre une autre
«Lorsque le Maroc a commencé à importer des semences de tomates en provenance de l’entité sioniste, les agriculteurs se sont confrontés à deux problèmes : il s’est avéré que la récolte n’a pas pu être utilisée pour une nouvelle semence et ils se sont confrontés à la maladie de la 'mouche blanche', qui attaque les tomates et que l’on connaît en Israël», nous explique Fayçal Ouchen.
«Certains ont fait le rapprochement entre ces deux événements, où en tout cas il a fallu là encore recourir à des produits israéliens pour limiter l’ampleur des dégâts de la mouche blanche, ce qui nous ramène encore à la dimension de dépendance économique.»
Le syndicaliste nous explique, par ailleurs, que la sensibilisation des agriculteurs à ces questions constitue un défi. «La FNSA, en tant que membre de BDS, fait ce travail avec les paysans en informant sur la qualité des graines en provenance d’Israël ainsi que les dangers qu’elles peuvent constituer», souligne-t-il.
De même, le coût du matériel proposé par les firmes israéliennes «semble jouer sur le rapport qualité prix afin d’attirer les professionnels du secteur à y recourir», nous explique encore Fayçal Ouchen. «Mais le fait est que les investisseurs, distributeurs et commerçants de ces gammes recourent à des usages frauduleux, puisque nombre de personne optent pour leurs marques sans en connaître spécialement la provenance», affirme-t-il.
Pour Fayçal Ouchen, «il faut savoir que les pièces de rechange du matériel que ces sociétés proposent ne se vendent pas séparément dans un marché élargi, ce qui oblige les agriculteurs à acheter tout l’appareil». De ce fait, «ces entreprises augmentent leurs bénéfices de cette manière, sans évoquer la promotion faite à leurs installations de goutte-à-goutte et de la majeure partie des moyens d’irrigation», estime le militant.
Contactée par Yabiladi pour revenir sur la distribution de ses produits et services au Maroc, les filiales de Netafim au Maroc, en France et à Tel Aviv n’ont pas donné suite à nos sollicitations. «Netafim ne communique jamais. Tout sont travail se fait en interne et rien ne sort si elle ne choisit pas de le faire elle-même», nous affirme une autre source syndicale marocaine, qui estime que le fonctionnement de l’entreprise «se fait à la James Bond».