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Grand Angle

Maroc : Les idées reçues continuent d’alimenter les discriminations raciales

Pour Khadija Riadi, ancienne présidente de l’AMDH, la problématique est sous-estimée car considérée comme appartenant à des temps anciens et révolus. Les populations subsahariennes sont pourtant les premières victimes du racisme au Maroc.

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Une manifestation contre le racisme, le 11 septembre 2014 à Rabat. / Ph. Reuters
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En décembre dernier, une rapporteuse spéciale des Nations unies alertait sur un racisme tenace, très ancré dans la société marocaine. Six mois plus tard, faut-il croire que le Maroc a entendu les recommandations qu’elle avait formulées ? Le ministère d’Etat chargé des droits de l’homme a organisé, ce mardi 2 juillet, une réunion de concertation avec la Commission de justice, de législation et des droits de l’homme à la Chambre des représentants, axée sur le rapport national relatif à l’application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, d’après l’agence MAP, qui cite un communiqué du ministère.

Lors de cette réunion, le ministre d’Etat chargé des droits de l’homme, Mustapha Ramid a présenté le projet du rapport national, valant 19e, 20e et 21e rapports, relatif à la mise en œuvre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il faut dire que dans la pratique, les pouvoirs publics et les autorités semblent faire peu cas de cette Convention, que le Maroc a ratifiée le 18 décembre 1970, tant les discriminations raciales sont encore palpables.

«Les textes législatifs, notamment la Constitution, ne sont pas suffisamment appliqués», confirme à notre rédaction Kébir Miloudi, membre du bureau central de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), spécialisé dans les droits économiques, sociaux et culturels. «Des efforts ont certes été réalisés mais ils restent encore très insuffisants par rapport à ce que le Maroc doit faire en matière de lutte contre les discriminations raciales. Il ne suffit pas de signer des conventions internationales : le Maroc doit aussi les mettre en œuvre», préconise-t-il.

Dans son préambule, la Constitution de 2011 consacre l’engagement du Maroc «à bannir et à combattre» toute discrimination à l’encontre de quiconque, liée au sexe, à la couleur, aux croyances, à la culture, à l’origine sociale ou régionale, à la langue et au handicap.

Élaborer un plan national de lutte contre les discriminations

C’est surtout à l’égard des populations subsahariennes que le racisme se ressent. «Le racisme anti-Noirs continue aujourd’hui au Maghreb. La couleur de peau est toujours associée à un statut inférieur. Des tribus pratiquaient l’esclavagisme dans tout le Maghreb et c’est resté dans l’imaginaire collectif», soulignait en 2017 le sociologue Mehdi Alioua, ancien président du Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM), auprès du journal Le Monde. Une lecture que ne partage pas Boubker Largo, président de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), joint par notre rédaction, pour qui les discriminations raciales au Maroc «ne sont pas un phénomène» mais relèvent plutôt de «cas particuliers», arguant que la société marocaine est forte de son «cosmopolitisme».

Surprenante recommandation pour ce qui ne serait confiné qu’à quelques «cas particuliers», Boubker Largo préconise l’élaboration d’un plan national de lutte contre les discriminations, qui doit selon lui être le fer de lance de la lutte contre les discriminations raciales au Maroc. «Il y a deux ans, le Conseil national des droits de l’homme avait formulé une demande sur les plans d’action contre les discriminations dans les pays africains ; nous voulons que le Maroc s’inscrive dans ce contexte», nous dit-il.

Sensibiliser «les canaux de diffusion des valeurs»

Pour Khadija Riadi, ancienne présidente de l’AMDH, la problématique est en effet sous-estimée car considérée comme appartenant à des temps anciens et révolus. «On a l’impression que la question des discriminations raciales, c’est-à-dire basées sur la couleur de peau, appartient à l’histoire, que c’est du passé… Or je crois qu’il y a encore énormément d’idées reçues dans notre société» qui alimentent justement ces discriminations. Jusque dans les rangs des administrations, de la police ou encore des instances officielles, auprès desquelles les personnes de couleur peinent à être entendues, estime également Khadija Riadi, qui juge ces structures «beaucoup plus violentes et discriminatoires à l’égard des Subsahariens que d’autres populations migrantes, comme celles qui viennent du Moyen-Orient et d’Asie».

«Les comportements racistes recensés auprès des administrations ou de la police, entre autres, légitiment et encouragent d’une certaine manière les mêmes comportements racistes que l’on observe chez certains citoyens. Comme si c’était tout à fait normal de se comporter comme ça avec ces populations.»

Khadija Riadi

L’ancienne présidente de l’AMDH préconise ainsi de «mettre en place une justice indépendante, sensibilisée à ces questions pour qu’elle puisse jouer son rôle de protection des personnes discriminées, heurtées dans leur intégrité physique et moral». Elle suggère également de sensibiliser «les canaux de diffusion des valeurs que sont notamment les mosquées et les écoles».

Signe toutefois que la société marocaine prend conscience du phénomène : en mars dernier, le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle (CSCA) avait adressé un avertissement à la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT) après la diffusion, le 2 février sur la chaîne Al Oula (éditée par la SNRT), du sketch de l’humoriste Kahlouch, considéré comme offensant et dégradant vis-à-vis de la population subsaharienne installée au Maroc.

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