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Grand Angle

A Agadir, l’abattage des chiens errants reprend, mais la rage est toujours là

Pour le docteur vétérinaire Yassine Jamali, l’abattage des chiens errants contribue au contraire à augmenter les risques de transmission de la rage au sein de la population canine. Il préconise plutôt les appâts vaccinaux.

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Des chiens errants sur le port d'Essaouira au Maroc. / Ph. ULLSTEIN BILD DTL. VIA G.I.
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A Agadir, les militants de la protection animale s’inquiètent de la reprise de l’abattage des chiens errants dans le but, dit-on, de diminuer les cas de rage. L’association «Le Cœur sur la patte» a en effet publié, mercredi 19 juin sur sa page Facebook, des photos d’une chienne abattue par balles. «Les abattages se font toujours pendant l’été, dans le but de vider les rues des chiens errants pour les touristes, ou avant de grands évènements publics», nous dit l’association basée à Agadir, en référence au passage, en avril 2018, de la mission de la FIFA dans le cadre de la candidature du Maroc à la Coupe du monde de football 2026. Quelques jours auparavant, plusieurs chiens avaient été abattus.

Dans le long texte qui accompagne les photos publiées mercredi, il est cette fois-ci question de la rage et de la volonté des autorités locales de l’éradiquer – du moins, d’en diminuer le nombre de cas. «Certains chiens sont capturés et mis en fourrière et d’autres sont tués dans le but de lutter contre la rage et de protéger la population humaine», reconnaît auprès de notre rédaction une source de la commune urbaine d’Agadir.  

D’après les statistiques officielles, une moyenne annuelle de 391 cas de rage animale, toutes espèces confondues, est recensée chaque année au Maroc, la maladie étant prévalente en milieu rural avec 81% des déclarations moyennes de cas de rage entre 2004 et 2010. Des chiffres largement sous-estimés, estime Yassine Jamali, agriculteur et docteur vétérinaire. «Dans les endroits reculés, si les gens voient un chien enragé, ils n’ont aucun intérêt à le déclarer. Car une fois qu’un animal est déclaré enragé, il faut lui couper la tête, envoyer le cerveau à l’Institut Pasteur… Donc on le tue et on passe à autre chose. Je pense que l’immense majorité des chiens enragés sont tués sans être déclarés», nous dit-il. «Et puis, il faut dire que les autorités sont peu enclines à signaler le nombre de chiens errants et enragés car c’est un peu notre honte à nous, au Maroc, de ne pas être capables de se débarrasser de cette maladie. C’est mauvais pour l’image du pays», ajoute-t-il.

Une méthode dont l’efficacité n’a pas été prouvée scientifiquement

Il faut dire également que la technique de l’abattage est loin de faire l’unanimité, y compris auprès des spécialistes de la santé animale. En 2011, lors de la Conférence mondiale sur la lutte contre la rage, qui s’était tenue à Séoul, en Corée du Sud, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) avait déclaré que «l’abattage massif des populations de chiens ou d’animaux sauvages, s’il est utilisé en tant que mesure de contrôle unique appliquée de façon provisoire ou en urgence, ne constitue pas une méthode durable et son efficacité pour contrôler ou éliminer la rage canine n’a pas été prouvée scientifiquement». Yassine Jamali abonde dans ce sens :

«Paradoxalement, l’abattage des chiens enragés contribue au contraire à augmenter les cas de rage. Lorsque vous éliminez des chiens qui occupent un territoire, ce dernier se vide. D’autres meutes vont alors venir le remplir. Pour que l’équilibre d’un système qui a été déstabilisé puisse se recréer, des hiérarchies entre chiens se mettent en place à coups de bagarres et donc de morsures. Le risque de transmission de la rage est par conséquent renforcé. C’est comme vouloir éteindre le feu en soufflant dessus.»

Notre source de la commune urbaine d’Agadir reconnaît en effet que l’abattage n’est pas la meilleure technique pour lutter contre la transmission de la rage. «La vaccination n’est pas du ressort de la commune urbaine, mais de l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA)», lâche-t-elle sobrement. Contacté à plusieurs reprises par notre rédaction, l’ONSSA n’a pas donné suite à nos sollicitations.

La castration et la stérilisation comme moyens de lutte contre la rage

Pour Yassine Jamali, le Maroc n’est pas dans l’optique de trouver une solution à l’éradication de cette maladie. «On ne fait que chercher un coupable, et le coupable, en l’occurrence, c’est le chien. Les autorités partent du principe que le seul moyen de contrôler une population sauvage vectrice de maladies comme la rage, c’est l’abattage. Seulement, c’est totalement inutile de vouloir régler ce problème de cette manière. Les pays qui ont éradiqué la rage l’ont fait via des appâts vaccinaux», argue-t-il. D’après les chiffres avancés par le vétérinaire, 150 000 chiens en moyenne sont abattus chaque année au Maroc, sur une population canine errante d’environ trois millions de chiens.

En août 2016, l’association «Le Cœur sur la patte» avait signé une convention d’un budget de 400 000 dirhams avec la commune urbaine d’Agadir et la wilaya de la région Souss-Massa, et avait reçu le soutien financier de la Fondation suisse Stiftung Tierbotschafter. L’objectif était de réduire la reproduction des chiens errants par la castration et la stérilisation puis de les relâcher, selon le principe du programme TNVR («Piéger, stériliser, vacciner, retourner»), et, par corollaire, de diminuer le nombre de cas de rage canine.

En décembre 2018, l’association s’est cependant retirée de la convention au motif que «les autorités n’en ont pas respecté les termes», d’après Michèle Augsburger, fondatrice de l’association. «La relâche des chiens était comprise dans les termes de la convention. Or les autorités locales n’ont plus toléré les chiens dans les rues», précise-t-elle à notre rédaction. Sur ce point, notre source de la commune urbaine d’Agadir indique avoir reçu des plaintes des habitants du chef-lieu de la région Souss-Massa, mécontents de la présence des canidés dans les rues. «On a donc renoncé à cette initiative et on a relancé la capture et l’euthanasie.» Environ 1 100 chiens ont toutefois pu être castrés et stérilisés et sont désormais reconnaissables par une boucle d’oreille en plastique.

De son côté, le ministère de la Santé, qui chapeaute la Stratégie nationale de lutte contre la rage, juge possible l’élimination de la rage au Maroc d’ici 2030. A court terme, il vise la réduction de l’incidence de la maladie de 50 % d’ici 2021.

La rage en quelques mots

La rage est une maladie infectieuse d’origine virale qui est presque toujours mortelle une fois que les symptômes cliniques sont apparus, explique l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le virus est transmis à l’homme en général par la salive des animaux infectés lors d’une morsure ou d’une égratignure. Elle est transmise à 99% par des chiens domestiques et est présente sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique, même si plus de 95% des cas humains mortels sont recensés en Asie et en Afrique.

Les animaux infectés par le virus de la rage peuvent présenter une diminution de l’appétit, des changements de comportement, notamment l’agressivité, une tendance à mordre sans raison et une désorientation, ainsi qu'une paralysie avec une production excessive de salive.

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