Nous sommes le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, région agricole du centre de la Tunisie de Ben Ali. Un marchand de fruits et légumes de 26 ans, décide de s’immoler par le feu, après avoir désespérément tenté de récupérer sa charrette et sa balance confisquées par les agents municipaux. Le geste de Mohamed Bouazizi (de son vrai nom Tarek Bouazizi) provoque la colère des habitants de cette région pauvre qui descendent dans la rue, et met le feu aux poudres dans tout le pays. Deux semaines plus tard, Mohamed décède, sans savoir que sa mort allait emporter bien des régimes et ouvrir une nouvelle ère dans le monde arabe.
Un geste révolutionnaire
Le 14 janvier, le président Ben Ali, après 23 ans aux commandes, est le premier à céder. Face au soulèvement populaire qui a gagné tous les régions du pays, le chef de l’Etat tunisien est obligé de battre en retraite et d’aller trouver refuge en Arabie Saoudite. C’est la «révolution du Jasmin». Une expérience que les Egyptiens allaient tenter et rythmer à leur manière. Aux pays des Pharaons, c’est l’emblématique place Tahrir qui symbolise la force de la mobilisation populaire. Le régime de Hosni Moubarak aura à peine tenu plus de deux semaines après le début des grandes manifestations au Caire et dans les grandes villes du pays. Le 11 février, le vieux raïs cède à son tour face à la pression de son peuple, avant que les Libyens ne se rendent compte eux aussi que le règne du «Guide» Kadhafi n’est pas éternel.
De la révolution à la tragédie
La contestation se radicalise à partir du 15 février. Depuis Benghazi, les manifestations se multiplient, malgré la répression sans merci des troupes du régime. Les pays occidentaux profitent de cette occasion en or pour enfin arriver à bout de celui qui leur a tenu tête depuis 1969. Sous mandat onusien, les forces de l’OTAN, soutenues par le Qatar, commencent à déverser leurs bombes sur la Libye dès le 20 mars. La révolution tourne à la tragédie. Le pouvoir de Kadhafi s’effrite. Le colonel en fuite est vaincu, puis capturé, torturé et sauvagement tué le 20 octobre. Il est le troisième dirigeant arabe dont «le printemps arabe» a sifflé la fin de règne.
D’autres par contre s’accrochent, contre vents et marrées. C’est le cas du yéménite Ali Abdallah Saleh (plus de 30 ans au pouvoir), ou encore de Bachar El Assad de la Syrie. Le sang continue de couler dans ces pays, théâtres de répressions sanguinaires. Si au Bahreïn, la solidarité des monarchies du Golfe a fait capoter la «révolution», deux royaumes ont par contre essayé de répondre positivement aux revendications populaires ou ont plus ou moins su les anticiper. C’est le cas de la Jordanie mais surtout du Maroc.
Evolution à la marocaine
La vague contestataire a balayé le Maroc dès le 20 février. Poussant la monarchie à réagir très vite pour endiguer la colère de la rue. Le 9 mars, un discours royal annonçait une réforme constitutionnelle pour répondre aux demandes du Mouvement du 20 février qui réclame la limitation des pouvoirs du roi par l’instauration d’une monarchie parlementaire. Une Commission consultative de révision de la constitution se chargera pendant trois mois d’accoucher d’une nouvelle loi fondamentale, sur la base des propositions des acteurs de la vie politique et de la société civile. Celle-ci est adoptée le 1er juillet, par 98% des votants.
Les législatives anticipées remportées par le PJD et dont le secrétaire général Abdelilah Benkirane se bat pour former le nouveau gouvernement est le dernier épisode de ce feuilleton intitulé «l’exception marocaine».Une «exception» qui s’est traduite par le caractère globalement pacifique des réformes, contrairement à plusieurs pays du monde arabe. Dans le royaume, il s’agit encore d’une «évolution» et non d’une «révolution». Dans cette phase critique que traverse le monde arabe, nul ne peut prédire l’avenir. Tout peut changer d’un jour à l’autre, comme ce fut le cas durant cette année 2011 qui s’en va. «L’exception marocaine» dépendra cette fois-ci de la réussite ou non des islamistes dans l’exercice du pouvoir.