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Grand Angle  

«Kounna w ma zelna», un projet de Tarek Bakri pour documenter l’histoire de la Palestine

Depuis sept ans, le chercheur et documentaliste palestinien Tarek Bakri sillonne son pays en prenant des photos qui permettent de tirer de l'oubli l’histoire de la Palestine. Adressé essentiellement aux exilés de la Nakba et à ceux qui vivent actuellement dans le pays, son projet «Kounna w ma zelna» est un véritable travail de mémoire qui déconstruit les récits israéliens.

Publié
Tarek Bakri, documentaliste et chercheur palestinien / Ph. Mohamed El Majdouby (Yabiladi)
Temps de lecture: 4'

Dans le cadre de la Semaine de résistance au colonialisme et à l’Apartheid (IAW) qui se tient du 2 au 7 avril, à l’initiative du Mouvement BDS Maroc (Boycott, désinvestissement et sanction), le chercheur et documentaliste palestinien Tarek Bakri a donné une série de conférences pour faire connaître son projet «Kounna w ma zelna» à Casablanca, Rabat et Marrakech. Ce dernier se base sur des photographies d’avant 1948 pour documenter ce qui est advenu de villages, régions et maisons en Palestine, de la Nakba à aujourd’hui.

En effet, l’idée de Tarek Bakri part d’un combat pour la mémoire et contre l’occupation, à travers lequel il réfute et déconstruit les versions historiques promues par Israël. Une démarche qui s’inscrit pleinement dans l’esprit de cette Semaine de lutte contre l’Apartheid israélien, voulue par ses organisateurs comme un moyen de «sensibiliser l’opinion publique au projet colonialiste et expansionniste en cours dans la Palestine occupée et à éclairer sur la politique d’Apartheid contre le peuple palestinien partout où il se trouve».

Proposer des supports historiques tout public

Ingénieur en informatique né à Al-Qods, Tarek Bakri travaille sur le projet «Kounna w ma zelna» depuis 7 ans. «J’en ai eu l’idée après avoir côtoyé des concitoyens qui ont été déportés en dehors du pays. Vivant toujours sur place, je me suis dit que je serai leurs yeux ici, en employant des techniques de documentation qui ne sont pas classiques», nous explique le chercheur.

«Beaucoup d’historiens palestiniens ont écrit sur nos villages disparus et sur l’histoire moderne du pays. Les livres restent une référence importante, mais j’ai voulu employer de nouveaux procédés pour faire parvenir ces récits historiques même aux nouvelles générations, dont une partie lit malheureusement peu, mais est très connectée.»

Tarek Bakri, documentaliste et chercheur

Tarek Bakri se base sur des histoires humaines et personnelles pour attirer l’attention d’un large public, à qui il montre ces anciennes photos et des images récentes. «C’est comme cela que de plus en plus de personnes parmi les exilés ont commencé à m’envoyer des photos en noir et blanc de leurs maisons avant la Nakba. Je me charge de partir à la recherche des lieux pour voir ce qu’il en est advenu et écrire leurs histoires», indique Tarek.

Ce dernier souligne en effet qu’«il est question de millions de réfugiés et de déportés dont beaucoup sont en Jordanie et qui ne peuvent revoir leurs maisons, ni même se rendre en Palestine». «Des familles palestiniennes ayant obtenu des passeports étrangers ont réussi à venir jusqu’en Palestine revoir leurs villages ou maisons, mais d’autres restent interdits d’entrée par l’occupation, même avec ce document», nous décrit le chercheur.

Plus qu’une documentation de ces endroits proprement dits, «c’est un projet qui montre à quel point le peuple palestinien a eu une longue histoire et une civilisation avant la Nakba», explique encore Tarek.

«Le récit sioniste prétend que la Palestine serait "une terre sans peuple pour un peuple sans terre", alors que c’est faux. La Palestine d’avant 1948 est un pays qui a été peuplé par des gens cultivés, avec leurs coutumes, leur art, leur industrie, leur économie, leur agriculture…»

Tarek Bakri, documentaliste et chercheur

Une documentation collaborative de l’histoire

Dans le cadre du projet «Kounna w ma zelna», Tarek Bakri a pu entrer en contact avec nombre de familles palestiniennes à partir d’une photo, d’une carte ou d’éléments de témoignages qu’il réussit à rassembler. D’autres sont venus vers lui en entendant parler de son travail, pour lui envoyer des photos familiales. Une démarche à travers laquelle il fait ainsi participer d’autres citoyens palestiniens, ce qui donne lieu à des rencontres marquantes.

Cependant, le projet se heurte à certaines contraintes par la présence de postes militaires israéliens près de certains villages, empêchant ainsi Tarek de s’y rendre, ou encore lorsque des villages sont entièrement rasés et remplacés par des colonies, ce qui rend difficile la possibilité de retracer leur existence. «Nous parlons de plus 530 villages qui ont été visés en 1948 par une épuration ethnique et dont les populations ont été déplacées de force», souligne celui qui tente aujourd’hui de documenter ce qui reste de ces régions.

Ce projet, Tarek Bakri en assure la continuité par ses propres moyens, refusant toute offre de financement et préférant garder une totale indépendance.

«Lorsqu’on est convaincu de quelque chose, on atteint son objectif quelles que soient les situations. Je préfère que mon initiative reste indépendante et pleinement bénévole, car ce n’est pas pour des raisons financières que je la porte ; je la conçois comme un devoir humain pour préserver l’histoire récente de la Palestine, qui est mon pays.»

Tarek Bakri, documentaliste et chercheur

C’est dans ce sens que Tarek constitue actuellement une équipe d’étudiants à Al-Qods, qu’il forme lui-même sur les techniques de recherche et de documentation afin de les intégrer au projet «Kounna w ma zelna» et multiplier les efforts pour maintenir l’autonomie de l’initiative.

Celle-ci bénéficie désormais d’un écho international, puisque depuis son lancement, des dizaines de rencontres, de conférences et d’expositions dans des pays arabes comme en Europe (Italie, Pays-Bas, Allemagne…) se sont tenues. «La semaine dernière, j’étais en tournée au Koweït et en Jordanie. Aujourd’hui, je suis au Maroc et je tiens autant que possible à ce que ces activités soient prévues dans un cadre universitaire, qui rapproche toujours ce projet des jeunes étudiants», se félicite le documentaliste.

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