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Grand Angle

Les Marocains champions d’Europe des naturalisations

Les Marocains sont les premiers à obtenir la nationalité des pays d’Europe en 2007, selon Eurostat. Un ensemble de facteurs politiques, historiques, sociaux et démographiques concourent à ce résultat.

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En 2007, les Marocains étaient les premiers à acquérir la nationalité d’un pays de l’Union européenne, devant tous les autres étrangers hors Union Européenne. La première cause de cette situation vient objectivement d’un effet de nombre. Si les Marocains sont les  remiers à se faire naturaliser en Europe c’est d’abord parce qu’ils sont également les plus nombreux à venir vivre en Europe.

En 2006, ils ont été les premiers, hors UE, avec 140 000 personnes, à émigrer dans un pays de l’Union, devant les ressortissants chinois, selon Eurostat. Avec la fermeture des frontières de l’Europe, la fin des ententes entre le Maroc et la France sur une migration légale, et avec le développement et la démocratisation progressive du royaume, le flux d’émigrants marocains aurait pu se tarir. Il n’en est rien.

Développement du Maroc

«La migration, se fait, aujourd’hui, plus par un effet attractif, qu’un effet répulsif», indique Ali Bensaad,  enseignant chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam). «L’histoire nous informe que plus un pays se trouve dans une phase de transition, dans une phase  l'enrichissement, plus ses habitants émigrent», explique Mehdi Alioua.

La transition que connaît le Maroc, aujourd’hui, entraîne une déstructuration du système social qui isole les individus voire «dépersonnalise les relations humaines», selon l’expression de Mehdi Alioua.Autrement dit, les Marocains ont moins d’attaches que par le passé au Maroc et cela rend plus aisé un départ pour l’étranger. Parallèlement, ce développement crée des besoins auxquels il n’est pas encore possible de répondre. Les deux éléments combinés déterminent en partie l’émigration marocaine contemporaine.

Europe toujours

La transition sociale et économique explique la volonté de partir des Marocains, mais elle ne détermine pas le choix du pays où s’établissent les émigrés. Par l’histoire coloniale, par l’écart de richesses, par la proximité  géographique, la destination France est une évidence. «Cependant, les Marocains ont cette spécificité, lorsqu’une toute migratoire est bouchée, de changer de direction, de s’établir dans un autre pays», estime Mehdi Alioua. Selon lui, cette particularité a fait que les Marocains n’émigrent plus simplement en France - la politique  migratoire étant de plus en plus restrictive,- mais également vers d’autres pays d’Europe.

L’existence d’une vieille immigration marocaine en Europe crée également un effet d’entrainement vis-à-vis de la  nouvelle vague de migrants. «Une voie assez importante des naturalisations [au sens large d’acquisition de la  nationalité] est les intermariages», explique Philippes Fargues, démographe et chercheur à l’Institut universitaire de Florence. Il s’agit des cas de mariage d’un Franco-marocain, Français par la naissance, qui transmet cette nationalité française à son conjoint, lui-même Marocain du Maroc. Plus largement l’existence d’une forte  communauté marocaine en Europe par le regroupement familial entraîne les nouveaux migrants à s’installer auprès d’elle.

Naturalisation, un outil

Non seulement s’installer, mais aussi obtenir la nationalité. Alors que les frontières de l’Europe semblent ne  jamais cesser de se refermer, la naturalisation apparaît comme le moyen le plus sûr de gagner le droit d’y rester sans avoir à se justifier sans cesse. Paradoxalement, «pour certaines personnes, c’est une fois qu’elles sont naturalisées qu’elles se donnent une nouvelle résidence. Ce peut être le moment d’un nouveau départ», a remarqué Zoubir Chattou, auteur de «La double nationalité en question : enjeux et motivations de la double appartenance», en 2002.

La naturalisation élargit encore la mobilité. Aujourd’hui, les émigrants marocains appartiennent également à une nouvelle génération. Le retour au pays n’est plus d’actualité. «Dans les années 60, ceux qui émigraient  l’imposaient à euxmêmes de garder des liens avec le Maroc», explique Abderrahmane Zahi, secrétaire générale de la Fondation Hassan II.«Un vieil immigré marocain n’a jamais dit à sa famille qu’il était Français naturalisé. Il en avait honte. C’est seulement le jour où son fils a été menacé d’expulsion qu’il a dit qu’il était Français, pour pouvoir l’aider», se souvient Zoubir Chattou.

Aujourd’hui, au contraire, «domine un discours instrumental sur la nationalité. La question est à présent «à quoi  va-t-elle me servir ?», estime Zoubir Chattou. Toute charge symbolique est niée de sorte que la naturalisation n’est plus un problème. Les Marocains sont passés, comme d’autres, d’une nationalité chargée symboliquement à en simple outil de résidence.

Marocain, c’est pratique

Enfin, la nationalité marocaine a la particularité d’être inaliénable. Contrairement à un Japonais, par exemple, un Marocain peut prendre une nationalité nouvelle sans perdre aussitôt celle du royaume. Il n’est pas contraint de  faire un choix, éventuellement douloureux; il n’a pas le sentiment de perdre quoique ce soit. Devant cet état de fait, les Etats qui exigent que la personne qui prend leur nationalité perde la précédente s’adaptent voire  renoncent à cette condition.

L’histoire coloniale de la France avec le Maroc n’est pas aussi conflictuelle qu’avec l’Algérie. Les Algériens ont la  particularité de pouvoir être réintégrés, c’est à dire récupérer la nationalité française, lorsque leurs parents  étaient Français avant l’indépendance. «En 2005, un petit scandale a éclaté en Algérie parce que le consul français a déclaré que des milliers de demandes de réintégration avaient été déposées auprès du consulats par des Algériens. Abdelaziz Bouteflika, le président algérien, avait réagi très violemment en assenant que ces personnes seraient considéres comme étrangères en Algérie si elles allaient au bout de la procédure», raconte Delphine Perrin, juriste et chercheur à l’Institut universitaire européen de Florence.

Les Marocains bénéficient également d’une identité compatible avec la bi-nationalité. «La marocanité est faite d’appartenances multiples et concentriques : le douar, la tribu, un ensemble de tribus ...», souligne Zoubir  Chattou. Pour le chercheur, une nouvelle nationalité vient se surajouter aux précédentes identités. Elle ne perturbe pas le jeu identitaire des Marocains.

Pour toutes ces raisons, les Marocains sont les premiers à obtenir la nationalité d’un pays de l’Union européenne en 2007. Ils représentent 8,5% des acquisitions de nationalités européennes, devant les Turcs avec 7,9%. Ces  derniers auraient, toutefois, aisément damé le pion aux Marocains sans «un effet de destination», selon Philippe Fargues. Les Turcs émigrent en priorité vers l’Allemagne, or celle-ci n’autorise les naturalisations que depuis  2000, contrairement à la France qui a l’un des droits du sol les plus ouverts. Le droit du sang est si prépondérant que plusieurs générations de Turcs sont nées en Allemagne sans jamais être naturalisées. Aujourd’hui, ils peuvent bénéficier du droit du sol, mais à une condition : abandonner leur précédente nationalité.

Nuances

Les premiers émigrés, dans les différents pays de l’Union européenne sont européens. En 2006, tous pays  confondus, les Marocains n’arrivent que troisième, loin derrière les Polonais et les Roumains. Si les Marocains  émigrent encore majoritairement vers l’Europe, ils expérimentent de plus en plus de nouvelles destinations comme  les pays du Golfe.

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