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Interview

Soumaya Naamane Guessous : «Assister à un viol et le filmer, c'est être complice» [Interview]

Ce week-end deux affaires de viol et de tentative de viol ont choqué l’opinion publique. Point en commun, elles ont toutes les deux étés filmées. Quelque soit la période des faits la publication de ces vidéos fait remonter à la surface les horreurs auparavant cachées. La sociologue Soumaya Naamane Guessous décortique ce phénomène pour Yabialdi.

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La sociologue Soumaya Naamane Guessous / Ph.DR
Temps de lecture: 3'

Comment expliquez-vous ce nouveau phénomène nouveau, de vidéos montrant des tentatives de viols, qui émerge sur les réseaux sociaux ?  

Aujourd’hui le mode de transmission de l’information et de communication s’est complétement transformé à travers le monde et au Maroc bien sûr. Le canal de transmission de l’information se fait via smartphones, et au Maroc, avec la quasi généralisation de l’utilisation de cet outil, cette transmission se fait au niveau d’une population qui à 40% est rurale, et qui à 40% aussi est analphabètes. Maintenant effectivement on est passé d’une culture qui était basée sur les non-dits et la «hchouma» à une culture de l’exhibitionnisme et non pas de dénonciation, parce que pour moi il y a du sadisme et de l’exhibitionnisme.

Il ne s’agit pas de partager pour dénoncer, mais qu’est ce que je peux partager et qui peut «scandaliser» le plus. On est non pas à la recherche de l’information, mais on est en train de chercher à se valoriser en transmettant des vidéos insolites, violentes et surprenantes. Parce qu’on essaye non pas d’informer, mais on est à la recherche du scoop et sensationnalisme pour essayer de suspendre. Toute cette dynamique n’est pas saine à mon sens et n’est pas constructive non plus.

Peut-on réellement parler d’une libéralisation de la parole ?

Sans croire à la théorie de complot il y a des campagnes qui sont dirigées et qui trouvent une population qui n’a pas la capacité de discernement, c’est ça qui est dangereux. On est face à une population qui n’a pas de capacité de discernement et qui n’est donc pas capable de vérifier l’information qui n’a souvent qu’un seul objectif, celui de surprendre, de dire que "c’est moi qui ai eu la primeur de l’information". Et dans une population qui n’est pas capable de discernement et bien ça devient dangereux, d’autant que ce n’est pas contrôlé.

Il est quand même étonnant de se dire que dans un pays d’islam, qu’une fille qui se fasse violer ou dans une tentative de viol et qu’une personne est en train de la filmer. C’est de la complicité complète. Car cette personne ne le fait pas pour protéger la victime et c’est ça que les Marocains doivent comprendre. Ce n’est pas une manière de protéger, tout le contraire, c’est une manière de tirer profit d’une situation désastreuses et là on est face à un problème d’incivilité, d’absence d’éthique. C’est ce qui s’était passé dans le bus aussi, on a filmé au lieu de porter secours à une personne en danger. Parce qu’il y aura le scoop qui va venir après.

La multiplication de ces affaires ne contribuent-ils pas à la hausse du sentiment d’insécurité au fil des années ?

Avant, dans le Maroc que j’ai connu on se sentait en sécurité parce que chaque citoyen pouvait défendre un autre citoyen en danger ; aujourd’hui ce n’est plus le cas. Avant, quand les familles vivaient ce genre d’acte ignoble, les familles «kanou kay sstrou» (garder ça secret) au nom de la hchouma. Parce qu’une fille qui a été violée ne pouvait plus être mariée, on la considèrait comme "sale". Déjà en temps normal la femme se sent seule, mais quand le regard de la société vous renvoie la saleté, ce qu’on fait pour protéger les filles, on ne parle pas. Nous avons besoin d’une société où la loi est respectée. Un violeur n’a pas à rester dans l’impunité au nom des mœurs d’une société donnée.

N’y-a-t-il pas tout de même un côté positif avec l'émergence de ces affaires aux yeux du public ?

Maintenant il y a un côté qui peut être positif, c’est effectivement lorsqu’on est dans le visuel et bien ça choque plus. L’opinion publique est alors informée, elle peut se mobiliser. Cela oblige à raccourir les procédures d’un côté et oblige les autorités à intervenir plus rapidement. Mais ce qui est intéressant lorsqu'une enquête de police est initiée, elle va beaucoup plus vite. L’autre aspect positif, c’est que les victimes sont ainsi encouragées à en parler. On est passé de cette fille victime mais en même temps coupable, qu’il faut cacher parce que c’est une honte, à la fille victime qui a désormais le courage d’entamer des procédures judiciaires. 

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