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Grand Angle

Chronique littéraire : La femme marocaine et la loi de l’héritage

«L’égalité de droits dans l’héritage entre citoyennes et citoyens est-elle à jamais impossible» au sein d’une société qui connaît de grands changements du statut de la femme ? C’est à cette question que tente de répondre Siham Benchekroun dans un ouvrage collectif «L’Héritage des femmes».

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Photo d'illustration. / Ph. Youssef Boudlal - Reuters
Temps de lecture: 3'

Le changement des règles de succession est pour beaucoup «inadmissible». Leur argument est tiré du verset 11 de la sourate 4, intitulé «Les Femmes» : «Dieu vous recommande (yûsîkum) quand à vos enfants : pour le garçon, l’équivalent de la part de deux filles.» C’est un verset demeurant «explicite et décisif (qat’i)» et conséquemment, il fait du statut des femmes un état figé et intangible, d’après les exégètes. Il y a là, une volonté divine de vouloir hausser les hommes au-dessus des femmes provenant, d’après les oulémas, du concept de la «qiwâma».

Le mot «qawâmin» tiré du verset 34 de la sourate 4, a été pris par les oulémas comme étant la preuve coranique imbattable «de la tutelle de l'homme sur la femme et de là, de la supériorité des mâles», y compris le fait de recevoir la part double en héritage. Mais pourquoi la femme n’a-t-elle pas droit à une part égale ? Parce que la femme, selon les dire des oulémas toujours, doit être continuellement prise en charge : d’abord de la part de son père, ou de son frère, puis de son mari, ensuite de son fils. Mais elle n’a en revanche aucun engagement financier envers les hommes. Tout cela explique le fait qu’elle ne doit recevoir que la moitié de la portion.

La femme est-elle toujours entretenue par un homme ?

Toutefois, à notre époque et relativement à la question de l’héritage, plusieurs questions s’imposent d’après l’écrivaine. D’abord, est-ce que «tous les maris prennent-ils vraiment en charge leurs femmes ? (…) Les frères entretiennent-ils vraiment leurs sœurs lorsqu'elles n’ont pas le soutien d'un père ou d'un mari ?» Evidemment, à quelques exceptions près, ces affirmations ne sont pas toujours valables. Donc, au lieu de continuer à regretter une société «idéale» où la femme serait vraiment prise en charge par un mâle, il vaut mieux faire face à la réalité.

Les réalités de notre société

Au sein de notre société, la réalité, c’est que «des dizaines de petites filles s’usent à travailler pour leurs parents sans la moindre garantie pour leur vieillesse». La réalité, c’est qu’il y a des femmes qui quittent leurs villages pour venir se prostituer en ville pour aider leur famille, ou tout simplement pour survivre. La réalité, c’est que des milliers de femmes, qu’elles soient veuves, divorcées ou encore abandonnées, trimardent quotidiennement pour prendre en charge leurs enfants.

La réalité encore, c'est qu’il existe d’innombrables familles où le mari est au chômage (pour cause de maladie, ou autre) et que «les femmes doivent entretenir seules» leur ménage, afin de pouvoir «joindre les deux bouts». Il n’y a donc pas qu’une réalité, mais des réalités où la femme galère pour subsister. On est face à une société où «le rôle de la femme», ainsi que «la structure» de la famille, ont complètement changé. N’est-il pas juste, dans un tel contexte, que la double part à laquelle les hommes ont droit, disparaisse ?

Le Coran est pour tous les lieux et tous les temps

En raison des changements que connaît notre société, «de nombreuses dispositions figurant explicitement dans le Coran ne sont plus [applicables]», selon Siham Benchekroun. Plusieurs exemples peuvent être cités : le droit pénal marocain ne comporte pas de punitions corporelles pour «fornication» ou pour «adultère».

Aussi, d’un point de vue coranique, l’esclavage demeure licite, cependant il a été anéanti au Maroc car il s’oppose à la notion de la dignité de la personne humaine dans les sociétés modernes. Encore, l’amputation de la main du voleur ne s’applique plus, car ce droit s’est adapté à l’évolution de la société. «Pourquoi donc le droit successoral, s’il ne peut plus être pratiqué avec justice, serait-il le seul à devoir absolument être maintenu ?», se demande l’écrivaine.

Nécessité d’un débat

Si «les enseignements spirituels» du Coran sont figés, «les règles religieuses», elles, se sont parfois métamorphosées tout au long des siècles passés, en finissant par s’adapter progressivement aux exigences des sociétés. D’où la nécessité d’une réforme du «droit successoral», d’après Benchekroun. Naturellement, la réforme a impérativement besoin d’une validation de la part du comité religieux pour être légitime. Tout cela impose un débat crédible, mais là encore se pose un problème de taille.

En avançant des arguments religieux, dont principalement le verset que nous avons déjà cité, tout débat d’ordre public est réfuté à ce sujet. Une relecture, ainsi que le libre examen des textes coraniques, se rapportant au thème en question, sont aussi complètement rejetés. Seuls les oulémas s’approprient ce droit. Les intellectuels, les militants qui ont eu le courage d’approcher cette problématique, en réclamant une réforme, ont été victimes «des insultes, des accusations de mécréance, voire des menaces», souligne l’écrivaine. Résolument, sans une grande mobilisation sociale, «le dialogue serait donc condamné à rester un monologue dogmatique», affirme l’écrivaine. Chose qui doit être fortement contestée. Finalement, nulle société ne peut progresser quand tout avis divergent «est réduit au silence», conclut Benchekroun.

Siham Benchekroun, L’Héritage des femmes, Ed. Empreintes, 272 p, 2017

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