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Grand Angle

Les élus sahraouis, nouveau levier de déligitimation du Polisario par le Maroc

En participant pour la première fois au séminaire régional du Comité des 24 relevant de la Commission de décolonisation de l'ONU, qui s’est tenu à Grenade du 9 au 11 mai 2018, le Maroc a accompli un (petit) pas de plus pour asseoir la légitimité des élus Sahraouis à représenter les populations de la région.

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Des élus sahraouis lors du séminaire du Comité de décolonisation 24 de l’ONU, du 9 au 11 mai à Grenade / Ph. DR
Temps de lecture: 4'

La participation de deux élus des provinces du sud a été décidée par consensus, et fait suite aux deux lettres d’invitation adressées aux deux élus du Sahara marocain par le président du C24, l’ambassadeur Walton A. Webson, représentant permanent d’Antigua-et-Barbuda auprès des Nations Unies, au nom de l’ensemble des membres du comité

Pour la MAP, elle «consacre la reconnaissance par la communauté internationale du caractère démocratique et représentatif des élections qui ont eu lieu au Sahara», mais l'enjeu est plus grand : elle s'attaque à l'un des fondamentaux de ce conflit: la légitimité du Front Polisario à se proclamer «unique représentant» des Sahraouis.

Intérêts commerciaux des Sahraouis

Reconnu en tant que «représentant du peuple du Sahara occidental» par l'Assemblée générale de l'ONU en 1979, le Front Polisario a, depuis, tenté de stabiliser ce statut au gré des batailles diplomatiques qui lui ont permis d'obtenir la reconnaissance de plusieurs pays, prélude à sa reconnaissance en tant que mouvement national de libération par l'Assemblée générale de l'ONU – ce qui, jusqu'à présent, n'a pas formellement eu lieu.

Depuis, le Maroc n'a que mollement mis en cause ce statut. Rabat le considérait-elle comme l'un des inchangeables états de fait de ce conflit, tant il fonde la légitimité même du Front Polisario ? Toujours est-il que, fort de sa reconnaissance en tant que «représentant du peuple du Sahara occidental», et de l'appui moral de l'ONU qui recommande aux Etats membres de considérer les mouvements de libération comme seuls représentants des peuples concernés, le Front Polisario a tenté de se présenter comme l'unique porte-parole des Sahraouis.

Mais récemment, une limitation de ses rôles est venue de l'ancien avocat-général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) Melchior Wathelet.

En déposant un recours en annulation des accords de pêche et d'agriculture entre le Maroc et l'Union européenne (UE), le Front Polisario cherchait à obtenir de la justice de l'UE qu'elle interdise l'exploitation des ressources naturelles de la région par le Maroc. Ce recours a engagé un débat juridique «d’autant plus important qu’était en cause le statut du Front Polisario en tant que mouvement de libération nationale des Sahraouis au Sahara occidental», comme l'a relevé le juriste Hugo Flavier. Une autre question posée était de savoir si sa non-reconnaissance en tant que tel par l'Assemblée générale de l'ONU avait une incidence sur la personnalité juridique du mouvement en droit international.

Si la CJUE est habilement parvenue à esquiver cette question en se prononçant uniquement sur la portée territoriale des accords, Melchior Wathelet a de son côté estimé, dans un avis émis en 2016, que la reconnaissance du Front Polisario «en tant que mouvement national de libération par plusieurs États, de représentant du peuple du Sahara occidental par l’Assemblée générale de l’ONU, son adhésion comme membre de l’organisation internationale Union africaine militent plutôt en faveur de la reconnaissance de la personnalité juridique que le droit international reconnaît aux mouvements nationaux de libération».

Mais s’il disait que le Front Polisario représente les Sahraouis dans le processus politique, et peut ester en justice devant les juridictions de l’UE, Melchior Wathelet lui a dénié tout intérêt juridique à attaquer des décisions et accords de nature économique, estimant que «la mission du Front Polisario ne concerne pas du tout des questions d’ordre économique et social».

Cette dissociation entre, d’un côté, la représentation des Sahraouis dans le processus politique et, de l’autre, la défense de leurs intérêts économiques et commerciaux au Sahara jetait la balle dans le camp du Maroc. Enhardi par cette évolution, le royaume a cherché à en tirer avantage, et a agi pour enrayer la percée du mouvement indépendantiste. Il avait alors dépêché à Bruxelles des élus locaux pour parler au nom des Sahraouis résidant dans les provinces du sud.

Le Maroc a ainsi mis en avant «ses» représentants des Sahraouis, aussi bien pour se conformer à l’exigence fixée par la Charte des Nations unies d’obtenir le consentement des populations, que pour tirer le tapis sous les pieds du Front Polisario, qui souhaite se présenter comme le représentant exclusif des Sahraouis.

En mars 2018, c'est auprès de Horst Köhler que le Maroc a dépêché Hamdi Ould Errachid, président de la région Laâyoune-Sakia El Hamra et Ynja Khattat, président de la région Dakhla-Oued Eddahab.

Nécessaire renforcement des espaces de concertation

La participation de deux élus de la région Laâyoune-Sakia Al Hamra au séminaire régional du Comité des 24 relevant de la 4-ème Commission de l’Assemblée Générale de l’ONU, qui s’est tenu à Grenade du 9 au 11 mai 2018, s'inscrit dans cette dynamique.

Cherchant à convertir les efforts déployés depuis quelques années pour renforcer les instances élues en reconnaissance, au niveau international, de leur légitimité à représenter les populations de la région, le Maroc souhaite ainsi concurrencer le Front Polisario sur le terrain de la représentation des Sahraouis.

Depuis le début du conflit, le Maroc a œuvré pour arrimer les provinces sahariennes au reste du territoire par différentes incitations économiques et fiscales, mais aussi via un système électoral qui «assure une surreprésentation des provinces dites sahariennes. Six des sept provinces concernées bénéficient d’un député pour moins de 20 000 inscrits, alors que la moyenne nationale est d’un député pour 44 617 inscrits», comme le note le géographe David Goeury.

Paradoxalement, malgré tous ces efforts, le Maroc semble n'avoir pas cherché à contester la volonté du Front Polisario de s'ériger «représentant unique» des Sahraouis. Les récentes victoires diplomatiques engrangées par le mouvement indépendantiste ont vraisemblablement résolu le Maroc à investir ce terrain qu'il a longtemps déserté.

Cela dit, la légitimité qui pourrait être accordée par la communauté internationale aux élus Sahraouis et aux instances locales reste entièrement tributaire des efforts qui seront déployés sur le terrain pour renforcer les espaces et les mécanismes de consultation dans la région.

Car l’actuelle gestion politique des provinces du sud, qui s’appuie sur la cooptation de notables issus des grandes tribus Sahraouies a produit des dégâts collatéraux, dont «l’absence de renouvellement des élites et la persistance de mécanismes de cooptation claniques, tribaux, ou clientélistes (en particulier électoraux pour obtenir des privilèges), qui bloquent l’accès des plus jeunes aux positions locales de pouvoir», note la sociologue Laurence Aïda Ammour.

En choisissant délibérément de nommer aux postes de responsabilité des notables locaux qui n’avaient pas forcément la confiance ou le respect des Sahraouis, l’État a quelque peu décrédibilisé le système de gestion politique locale aux yeux des populations, et ce système nobiliaire a fini par former un plafond de verre, notamment pour les jeunes.

Certes, le recours de l'Etat marocain à des notables locaux issus des grandes tribus de la région reste nécessaire, ne serait-ce que pour mettre en avant des relais influents qui puissent contrebalancer le Front Polisario, mais leur faible représentativité rend aujourd'hui urgent de compenser cela par un renforcement des espaces parallèles de délibération. Dans ce sens, une réactivation du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes (Corcas) après restructuration préalable s'impose.

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