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Grand Angle

La sidérurgie marocaine s'apprête à la fin des protections antidumping ?

L’Association des sidérurgistes au Maroc a lancé mardi le concept Steel Impulse pour tenter de rendre audibles ses doléances alors que la fin des mesures de protections accordées par le gouvernement face aux importations d’acier approche.

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Les fers à béton servent de structure métallique pour couler les piliers en béton d'une construction.
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Les sidérurgistes marocains ont annoncé le 19 septembre 2017 le lancement de Steel Impulse, «un véhicule innovant de réflexion et de sensibilisation dans le but d’accompagner la filière à travers une approche participative sur les problématiques du secteur», selon le site mis en ligne à cette occasion. En fait, très prosaïquement, il s’agit de réaliser une étude de perception auprès des acteurs du secteur, puis de les réunir lors d’un séminaire avant de concentrer le tout dans une sorte de livre blanc qui fasse office de feuille de route et établisse «un corpus de messages commun».

L’Association des sidérurgistes au Maroc - Maghreb Steel et Sonasid en tête - cherche vraisemblablement à rendre audibles les doléances de leur secteur alors que l’échéance des mesures de protection antidumping approche. La production nationale de tôles laminées à chaud est protégée des importations jusqu’en septembre 2018. La protection de la production de ronds à béton et fils machine prendra fin, si elle n’est pas renouvelée une seconde fois, en décembre 2018. La protection de la production nationale de tôles laminées à froid court encore jusqu’en mai 2019.

Léser l'un pour protéger l'autre

Le ministère de l’Industrie et du commerce pourrait-il décider de ne pas proroger les droits additionnels qui grèvent les importations hors contingent de tôles laminées et de fers à béton ? C’est le vœu de tout l’aval du secteur sidérurgique car en protégeant l’amont, le gouvernement empêche tous les industriels qui utilisent ces tôles et ces fers à béton de profiter de la chute des prix internationaux liés à la crise de surproduction chinoise. Un paradoxe qu’Abdelhamid Souiri, président de la Fédération des industries métalliques métallurgiques et électromécaniques (FIMME), ne manque pas de souligner à chaque rencontre avec la presse.

Par ailleurs, les mesures protectionnistes marocaines entament les bonnes relations du Maroc avec ses partenaires commerciaux. La Turquie, dont les exportations sont limitées par les mesures protectionnistes marocaines, a déposé en octobre dernier, selon TelQuel, une demande de consultation auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), garante du respect des règles du commerce international. Des discussions ont été entamées entre les deux parties le mois suivant sans aboutir. Le 12 janvier dernier, la Turquie a donc appelé à la mise en place d’un groupe spécial auprès de l’organe de règlement des différends de l’OMC pour qu’il tranche le conflit opposant les deux pays.

Les mesures de protection adoptées par le Maroc mettent également la Sonasid et son principal actionnaire Arcelor Mittal dans une situation éminemment paradoxale. Si les fers à béton produits par la Sonasid sont protégés de la concurrence des importations, sa maison mère souffre des mêmes mesures imposées aux importations de tôle laminées à froid dont elle est le principal exportateur au Maroc.

Les tôles laminées sont utilisées dans tous les secteurs industriels. Au Maroc, elles ne sont produites que par Maghreb Steel.Les tôles laminées sont utilisées dans tous les secteurs industriels. Au Maroc, elles ne sont produites que par Maghreb Steel.

Proroger ou non ces mesures de protection

En principe, la décision de la Direction de la politique des échanges commerciaux du ministère délégué auprès du ministère de l’Industrie, du commerce de l’investissement et de l’économie numérique de proroger ou non ces mesures de protection de son industrie sidérurgique nationale, dépend d’une part du risque de «dommage grave» que fait courir la concurrence des importations à un secteur et à l’économie nationale. Elle dépend d’autre part des mesures prises par les entreprises de la sidérurgie, sous la protection de ces droits de douanes additionnels, pour améliorer leur compétitivité et résister à la concurrence des importations. En somme, si rien n’a été fait à la faveur de cette protection, il serait inutile de la prolonger.

Aujourd’hui, la surproduction mondiale d’acier est en train de se réduire, selon Amine Louali. L’Union européenne, dont les produits sont touchés par les mesures protectrices marocaines, a de son côté drastiquement réduit ses exportations de fer et d’acier : 22% en 2015 et 16% en 2016, selon l’examen statistique du commerce mondial 2017 de l’OMC, contre des baisses réduites à un chiffre seulement les années précédentes. Surtout, entre 2015 et 2016 les prix de l’acier mondiaux qui baissaient de façon continue depuis 2011 ont connu un retournement et sont repartis à la hausse. Ils ont atteint des niveaux jamais enregistrés ces quatre dernières années. Au Maroc, les importations de fils et barres en fer et en acier et de produits laminés en acier maintiennent des niveaux élevés même si elles semblent se réduire*.

La consommation intérieure d’acier au Maroc reste, de son côté, toujours limitée. Le secteur de la construction consomme la majeure partie des ronds à béton produits et importés, mais les nouvelles constructions sont moins nombreuses. Le nombre d’autorisations de construire a baissé de 8% entre la moyenne de la période 2007-2011 et 2015, selon les données sectorielles du ministère de l’Economie et des finances. Symptomatiques de l’activité du secteur, les ventes de ciment connaissent également cette année un fort repli. «Le rythme de repli des ventes de ciment s’est atténué pour s’établir à -4% à fin juillet 2017, après -9,2% à fin juin 2017 et une hausse de 1,8% il y a une année», indique le ministère dans sa note de août 2017.

La direction de Maghreb Steel se demène

Le secteur de la sidérurgie n’est donc pas encore totalement sorti d’affaire. Si le résultat net de Maghreb Steel l’an dernier était encore négatif, il s’est réduit de 136 millions de dirhams en 2015 à 64 millions de dirhams. L’entreprise est sur une pente ascendante : elle prévoit de réaliser cette année son premier résultat net positif. Surtout, dès l’an dernier, son chiffre d’affaires est reparti à la hausse avec une augmentation de 10%.

La direction de l’entreprise se démène, avec le soutien vraisemblablement du gouvernement, pour trouver de nouveaux débouchés à ses produits. Maghreb Steel a obtenu, au cours du premier trimestre 2017, la certification ISO TS 16949, élaborée par l’International Automotive Task Force, afin de vendre ses tôles à tous les industriels du secteur automobile dont le nouveau venu PSA. Le sidérurgiste fait également partie du consortium mené par Nareva qui a remporté en mars 2016 l’appel d’offre pour les cinq parcs éoliens d’une capacité totale installée de 850 MW. Il devrait fournir, si tout va bien, 50 000 à 60 000 tonnes d’acier pour les mâts des éoliennes. Avec tous ces projets et contrats, en mars 2017, Maghreb Steel n’utilisait cependant encore que 60% de ses capacités de production, rapporte l’Economiste.

La situation de la Sonasid - 41% de part de marché dans la vente de rond à béton et de fil machine au Maroc - est bien moins prometteuse. En 2016, elle voyait son résultat net dégringoler de -37 à -46 millions de dirhams et son chiffre d’affaires perdait encore 400 millions de dirhams. Pour sortir la tête de l’eau, l’entreprise misait en 2014 sur la création d’une plateforme de démantèlement des navires et sur la création d’une centrale d’achat de la ferraille locale. La Sonasid a également signé un accord avec Nareva qui doit lui permettre de tirer de l’énergie éolienne près de 80% de sa consommation électrique dès 2018, à un coût moindre que sur le réseau classique. Tous ces projets seront-ils opérationnels à temps pour lui permettre de résister au retour de la concurrence des importations si le ministère renonçait à proroger ses mesures de protection ?

*Les chiffres publiés par le ministère de l’Economie et des finances et l’Office des changes ne sont ni assez précis, ni assez réguliers pour nous permettre de conclure.

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Article modifié le 2017/09/27 à 18h02

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