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Grand Angle

Les Chibanis marocains des rails, ou l'interminable bras de fer avec la SNCF

L’Association de droit à la différence et l’Association des cheminots marocains de France ont fait de leur cheval de bataille le combat des cheminots, marocains notamment, devenus Chibanis. Aujourd’hui, 843 Chibanis marocains se disent discriminés par la SNCF, éparpillés un peu partout en France, et demandent que justice leur soit rendue.

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Grève des cheminots qui n'étaient pas encore chibanis dans les années 1980. / Ph. Facebook
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«Droit à la différence, sans différences de droits». C’est ainsi que l’association de Radouane Kebdi décrit les discriminations longtemps perpétrées contre les Chibanis de la SNCF. Victimes de ségrégation et de racisme de la part de leur employeur, ces personnes demandent aujourd’hui que justice soit faite et qu’on leur rende un minimum d’estime. «Leur combat a débuté en 2003 et a duré plus de deux ans pour qu’en 2005 on leur dise que le tribunal administratif est incompétent et qu’aucune décision n’a été prise à leur égard. C’est donc à partir de 2005 qu’ils ont déposé leur dossier au Conseil de Prud’hommes de Paris et que tout a commencé pour eux», raconte Radouane Kebdi, président de l’Association de droit à la différence.

«Si ça a duré des années, c’est que pour traiter les 843 dossiers, ils ont dû faire des groupes de 50 à 60 personnes. Sachant que les Chibanis sont éparpillés un peu partout en France, lorsqu’ils se déplaçaient lors d’une convocation, ils les informaient d’un renvoi.»

Du Conseil de Prud’hommes, les Chibanis sont sortis vainqueurs, mais a minima comme le souligne Radouane Kebdi : «Ils n’ont gagné que sur deux critères de discriminations, soit l’évolution de carrière et la retraite. Or, plus de sept critères ont été évoqués lors de l’audience, dont l’accès aux soins puisqu’ils ne bénéficiaient pas des centres médicaux, ou encore les transports car au début, ils n’avaient pas de carte gratuite. Ce n’est qu’en 2004 qu’ils ont eu le droit d’avoir leur carte de circulation. Ils étaient également interdits de passer des concours en interne. C’est du racisme structurel d’Etat. Ce n’était pas acté noir sur blanc sauf que lorsqu’ils se présentaient, on leur en refusait l’accès. Il y en a même qui ont réussi à avoir leur concours et n’ont pas eu le poste qui allait avec.»

«Le contrat de travail stipulait l’égalité de droit, l’égalité de traitement entre tous les cheminots et l’égalité de rémunération. La raison qui empêchait de donner cette égalité de droit, c’est qu’il fallait être français à l’époque pour en jouir.» 

 Exemple de contrat de cheminot étranger. / Ph. DRExemple de contrat de cheminot étranger. / Ph. DR

Des recrutements particuliers au Maroc

Ahmed Katim, président de l’Association des cheminots marocains de France, a lui aussi été cheminot. Dans ses souvenirs, cet homme originaire de Youssoufia, aujourd’hui retraité, se souvient comment son employeur, la SNCF, l’a recruté le premier jour :

«Ils sont venus dans la région de Meknès, où je vivais à l’époque. C’était dans une ferme, ils ont amené des médecins, des ophtalmologistes, enfin tous les corps médicaux. Nous avons ainsi passé une batterie d’examens, des prises de sang et des tests d’urines.»

Le Marocain de préciser : «Tout s’est passé la même journée. Nous sommes arrivés le matin et n’avons pu repartir qu’à 17 heures, nous n’avions même pas mangé.» C’est de cette façon qu’à la fin de la phase d’examens les recruteurs appelaient «ceux qui avaient échoué avant d’annoncer la bonne nouvelle aux nouvelles recrues». Radouane Kebdi souligne que ces recrutements sous ce statut ont concerné plus de 2 000 personnes dans les années 1970. «Entre 85 et 90% de ces étrangers étaient Marocains.»

Radouane Kebdi, qui récolte régulièrement de nombreux témoignages grâce à son réseau associatif, raconte que «les cheminots, c’est la même génération que les mineurs. Il y en a qui m’ont raconté qu’on leur assignait des tampons sur le corps. Ce sont les mêmes pratiques. Il y a beaucoup de similitudes dans ces pratiques à l’embauche.»

Un long périple pour arriver en France

Ahmed Katim, qui compte aujourd’hui 1 180 membres au sein de son association avec une majorité de Marocains, est arrivé en France avec cinq autres personnes le 12 juin 1972. «J’avais 24 ans à l’époque. Parmi nous, certains, comme moi, maîtrisaient le français. Nous avons fait un très long voyage quatre mois après la journée de recrutement. Nous avons pris le train puis le bateau puis à nouveau le train et le métro», se souvient le cheminot.

Après ça, ce sont dans des baraquements qu’ils ont été entassés, entre eux et dépourvus de conditions sanitaires. «Ils avaient prévu le travail mais pas le logement, bien que la SNCF soit le premier parc immobilier de France», s’indigne Radouane Kebdi, qui se bat pour cette cause après avoir côtoyé ces Chibanis au travail. Ce n’est qu’à la fin des années 1970-début 1980 que les cheminots marocains ont pu entamer une procédure de regroupement familial.

Sur le volet santé, ces travailleurs ne sont pas en reste : «Ils étaient assignés à la pénibilité et devait être disponibles à tout moment. Les deux métiers les plus durs étaient l’installation et la maintenance des voies, ainsi que la manœuvre. Ils en sont tous sortis avec des séquelles, notamment au dos, et beaucoup de problèmes respiratoires et pulmonaires dus à l’amiante. Et encore, ça c’est quand ils ne mourraient pas sur les chantiers», conclut Radouane Kebdi.

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