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Grand Angle

Zone de transit de l’Aéroport Mohammed V : Une zone de non droit ?

Le Maroc est le gardien des frontières de l’Europe jusqu’à l’aéroport Mohammed V de Casablanca. Dans un rapport rendu public aujourd’hui deux associations marocaine et française dénoncent la rétention, dans l’illégalité, et l’expulsion de centaines de voyageurs chaque année depuis la «zone de transit» de l’aéroport.

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En mars 2016, Anthony Drugeon, journaliste du HuffPost etait lui même resté bloqué dans la zone de transit de l'aéroport et avait réalisé un reportage.(c)HuffPost
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Des dizaines, des centaines, voire «1000 à 2000 personnes», selon une estimation grossière d’Hicham Rachidi, membre du Gadem, groupement associatif de défense des droits des migrants, sont bloquées chaque année dans la zone de transit de l’aéroport Mohammed V de Casablanca. Une partie est ensuite expulsée.

Dans un nouveau rapport, réalisé en collaboration avec l’association nationale française d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), et rendu public aujourd’hui, jeudi 29 juillet, l’association révèle que cette zone de transit est devenue une «zone de non droit», selon l’expression de son président.

«Le nombre de personnes qui sont bloqués dans les zones d’attentes des aéroports et ports français s’est beaucoup réduit ces dix dernières années, parce que l’Europe a réussi à multiplier les obstacles à la migration dès les pays de départ», explique Laure Blondel, coordinatrice générale de l’Anafé. L’externalisation du contrôle aux frontières de l’Union européenne est un phénomène bien connu auquel le Maroc, voisin immédiat de l’Union, participe activement depuis des années aux frontières de Sebta et Melilia.

La Paf veille même sur les voyageurs en transit

Le nouveau rapport du Gadem révèle que le Maroc limite également l’accès aux frontières «aériennes» de l’Union européenne à travers l’aéroport Mohammed V grâce à «sa position de hub entre l’Europe et l’Afrique», souligne Camille Denis, membre du Gadem. Les voyageurs à qui la police aux frontières (Paf) refuse l’entrée sur le territoire marocain ne sont en effet pas les seuls à être maintenus en zone d’attente : des personnes en transit peuvent également être retenues. En principe, celles-ci ne devraient même pas croiser la police marocaine, mais à l’aéroport Mohammed V, la Paf s’arroge le droit d’intervenir et de bloquer des personnes en transit à destination d’un pays de l’Union européenne lorsqu’elles estiment que leurs documents de voyages ne sont pas valides.

Les deux associations révèlent également que la Royal Air Maroc s’arroge régulièrement le droit de contrôler les documents de voyage de ses passagers. «En fait, la loi marocaine, comme la plupart des législations nationales, pénalise les compagnies aériennes d’une amende de 5000 à 10 000 dirhams pour chaque passager "irréguliers" dont les documents de voyages sont visiblement falsifiés», explique Camille Denis. «Les compagnies aériennes peuvent ainsi refuser d’embarquer des passagers sur un simple doute sur la validité de leurs documents alors que la loi prévoit que l’amende n’est pas infligée si le document ne présente pas d’irrégularité manifeste, c’est à dire si grossière qu’elle est visible à l’œil nu», indique le rapport des associations.

Toutes les personnes bloquées par la police aux frontières sont ensuite retenues dans le salon de la zone de transit de l’aéroport Mohammed V. Certains y séjournent pendant plusieurs jours. «Nous avons suivi le cas d’une personne qui est restée pendant 72 jours !», souligne Camille Denis, alors que la durée légale de rétention ne peut excéder 20 jours selon la loi 02-03 - dans l’attente d’une nouvelle loi qui devait être adoptée dans le sillage du lancement de la nouvelle politique migratoire marocaine, il y a plus de 3 ans désormais.

En violation de la loi

Au Maroc, cette rétention se fait, de plus, en violation totale de la loi. «Sur tous les cas que nous avons suivi, aucun n’a été présenté devant un juge, alors qu’il doit l’être, légalement, au bout de 4 et 12 jours de rétention», insiste Hicham Rachidi. «A plusieurs reprises, nous avons alerté le tribunal administratif de première instance et le procureur mais ils se sont renvoyés la responsabilité. Quand, enfin, nous avions une réponse, c’était pour nous opposer que nous n’avions aucune preuve des cas que nous dénoncions», raconte-il. «Alors la procédure que nous avons péniblement réussi à mettre en place - quand elle fonctionne - consiste à envoyer un huissier sur place, dans la zone de transit pour attester officiellement de la présence d’une personne pour faire valoir ses droits par la suite», ajoute Camille Denis. A l’aéroport Mohammed V, dans les faits, seule décide la police aux frontières or elle dépend du ministère de l’Intérieur.

Enfin et surtout, la rétention de ces voyageurs, en plus de violer la loi, viole également les droits les plus élémentaires de ces personnes en raison du manque d’infrastructures. «Aujourd’hui, les gens sont retenus pendant plusieurs jours dans une salle d’attente, où il n’y a que des fauteuils en métal. Une rangée a été renversée et sert de lit à ceux qui se glissent entre les dossiers et le mur. Il n’y a bien sûr aucune salle de bain et les gens se débrouillent dans les toilettes. Aucun repas ne leur est servi. Ils doivent acheter leur nourriture et ceux qui n’auraient pas d’argent sur eux dépendent de la bonne volonté des personnes présentes sur place », raconte Camille Denis.

Article modifié le 2017/06/30 à 10h40

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