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Interview

Canada : KtbDarija, la plateforme d'un MRE pour lutter contre l’analphabétisme [Interview]

En 2009, Tariq Daouda, un jeune étudiant marocain installé au Canada, a eu l’idée de créer un clavier, un dictionnaire et une norme pour l'arabe marocain. Son projet vise à lutter contre l'analphabétisme, aider les enfants à apprendre les règles de la langue qu'ils parlent à la maison et permettre aux Marocains vivant à l'étranger d'écrire et de lire la darija en utilisant des lettres latines. Interview.

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Pour lutter contre l’analphabétisme, Tariq Daouda a créé KtbDarija. / Ph. Tariq Daouda
Temps de lecture: 3'

Pour Tariq Daouda, la langue marocaine n'est pas seulement un dialecte aléatoire dépourvu de règles. C'est une langue qui peut être apprise, comprise et étudiée. En 2009, il a créé KtbDarija, un concept qui permet aux personnes analphabètes d’apprendre à lire et écrire en deux semaines.

Le jeune homme a développé, avec une équipe au Canada, un tableau avec des sons et des lettres, un clavier et un dictionnaire pour lutter contre l'analphabétisme à la maison et aider les Marocains à parler la langue de leurs ancêtres.

Dites-nous en plus sur vous 

Je prépare un doctorat à l'Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC), qui est affilié à l'Université de Montréal. J'ai 31 ans, je suis né et j'ai grandi à Rabat puis j'ai déménagé au Canada en 2007 pour poursuivre mes études.

Quelle est l'idée derrière KtbDarija ? Quand avez-vous lancé ce projet ?

Tout a commencé en 2008, lorsque je me suis intéressé au problème de l'analphabétisme au Maroc et que j’ai commencé à lire des articles sur ce sujet. J'ai réalisé que les enfants n'apprennent pas la langue qu'ils parlent à la maison, c’est pourquoi j'ai commencé à entreprendre des recherches sur l'arabe marocain et standard.

J’en ai conclu que ce sont des langues différentes dans le sens où elles n'ont pas la même grammaire, la même phonologie et les mêmes règles. Il y a des sons en darija qui n'existent pas en arabe classique et vice versa. J'ai donc pensé à créer une norme pour écrire l'arabe marocain, un outil pédagogique pour aider les enfants à lire et écrire en utilisant des lettres latines. L’objectif derrière ça, c'est de permettre aux personnes, en particulier les enfants, d'écrire la darija car ils ont déjà acquis la grammaire, et de se familiariser avec le concept d'écriture selon la règle suivante : une lettre en arabe correspond à une lettre en latin et à un phonème.

Comment avez-vous développé ce concept ?

J'ai d'abord commencé à travailler sur le concept de KtbDarija seul puis en 2009, un de mes amis, Nassim Regragui s'est joint à moi car il étudiait la linguistique. Nous avons fait des recherches ensemble et avons réalisé que nous devions mettre au point un outil pour les personnes analphabètes afin qu’elles apprennent à lire et écrire l'arabe marocain en seulement deux semaines. Nous avons travaillé sur la structure d'un langage constructif dont chaque son équivaut à une seule lettre. C'était pour nous le moyen le plus simple d'apprendre une langue. Nous avons donc pris des lettres qui existent déjà et enrichi l'alphabet en arabe, ainsi que des lettres qui n’existent ni en français ni en arabe classique.

A quels défis avez-vous été confrontés au début ?

Lorsque nous avons commencé à promouvoir KtbDarija, les gens ont eu du mal à croire que la darija est en fait une langue et non un dialecte aléatoire. Ils pensent qu'il n'y a pas de règles, ce qui n’est pas vrai. Au Maroc, nous nous efforçons de nous comprendre et de communiquer avec la darija. Les choses ont changé aujourd'hui car la darija est utilisée dans les publicités et les émissions de télévision.

Avez-vous travaillé sur l’élaboration d'une base de données pour les règles arabes marocaines ?

Oui, nous avons essayé de le faire en travaillant sur la grammaire de la darija. Nous avons également essayé de créer un dictionnaire, mais nous avons été contraints d’abandonner certains de ces projets parce qu'aucun d'entre nous n'était au Maroc. Dans l'ensemble, nous nous sommes concentrés sur l'aspect phonologique et l'écriture de la darija.

Est-ce le fait d’être loin de chez vous qui vous a incité à penser à une telle initiative ?

Être loin du Maroc m'a aidé parce que j'étais loin de chez moi. Il ne s'agit pas seulement de la langue, mais aussi de l'histoire de mon pays.

Pensez-vous que KtbDarija aidera les Marocains installés à l'étranger à apprendre la langue de leurs parents ?

Notre projet a trois objectifs majeurs, comme je l'ai mentionné : il vise à aider les personnes et les enfants analphabètes à apprendre à lire et à écrire, et a également pour but de faire lire et écrire la langue de leurs parents aux Canadiens d'origine marocaine. KtbDarija leur donne la possibilité d'écrire la darija en utilisant des lettres latines car le premier obstacle que vous rencontrez lors de l'apprentissage d'une langue, c’est la mémorisation de l’alphabet et des sons. Si nous leur donnons une façon d'apprendre et d'écrire l'arabe avec des lettres qu'ils connaissent déjà, il devrait leur être plus facile de l’acquérir.

Quels sont les plans futurs de KtbDarija ?

Nous allons bientôt commencer à donner des cours de darija ici au Canada pour les personnes originaires du Maroc et pour ceux qui veulent visiter le pays et connaître la culture. Nous avons aussi commencé à mettre au point un clavier mais il n'est pas encore terminé, des ajustements doivent y être apportés.

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