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Interview

Abdessamad Belkebir : «Le limogeage de Benkirane est un coup politique contre la Constitution»

La décision du limogeage du secrétaire général du Parti de la justice et le développement (PJD), Abdelilah Benkirane plusieurs mois après sa désignation par le Roi Mohammed VI, soulève encore beaucoup de controverse. Pour jeter plus de lumière sur la décision royale qui a surpris l’opinion publique, Yabiladi a interrogé le professeur universitaire Abdessamad Belkebir. L’ancien UFSPiste a estimé ce vendredi que le limogeage de Benkirane est un coup politique contre la Constitution. Interview. 

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Abdessamad Belkebir, professeur universitaire à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech et ancien député parlementaire de l'USFP. / Ph. DR
Temps de lecture: 4'

Quelle lecture faites-vous du limogeage d’Abdelilah Benkirane ?

On tente souvent de cacher la réalité des choses. Le problème ne vient ni d’Abdelilah Benkirane, qui reste une personnalité importante, ni du PJD qui est un parti important également. Le problème est beaucoup plus grand. C’est un revers dans le cadre du processus de l’accumulation des acquis en matière de transition démocratique. Ce qui est arrivé est un coup politique contre la Constitution, qui a été amené pour ressembler minutieusement à un problème de négociations. On nous a fait croire qu’Abdelilah Benkirane a épuisé le temps nécessaire. En réalité, ni ceux qui ont participé aux tractations ni ceux qui les dirigent n’avaient pour objectif de respecter l’application de la Constitution et de résoudre l’impasse politique. S’il y avait une volonté réelle, les partis qui ont participé aux tractations auraient donné leur accord pour participer au gouvernement dès la première semaine.

D’où vient le problème selon vous ?

Une semaine, cinq mois ou un an. Le problème ne réside pas dans cette question de temps. L’origine du problème vient du fait qu’il y a une volonté des classes et des forces qui bénéficiaient de la situation qui prévalait avant 2011 de créer ce problème. Ce sont là les mêmes parties qui ont été à l’origine du renversement en 2002 du gouvernement d’Abderrahmane El Youssoufi et avant lui, le coup monté contre le gouvernement d’Abdellah Ibrahim. Ceci dit, cela est lié aux problèmes de la transition démocratique. La composante antimoderniste et francophone ne veut pas aller de l’avant. Elle est obligée, de temps en temps, de s’incliner devant la tempête. Elle se montre dans ces cas réactive pour sauver ce qui reste et retourner à ses bases par la suite, saine et sauve.

Ces forces antidémocratiques, que je considère comme antimodernistes, francophones et regroupées dans le parti de la France et la mentalité du Makhzen, sont des forces centralisées qui disposent d’un centre de pouvoir malgré la diversité de ses noms. Les forces démocratiques, quant à elles, sont décentralisées et infiltrées. La cible n’est donc pas seulement Abdelilah Benkirane et son parti, mais l’ensemble des forces démocratiques. C’est l’exemple notamment du Parti de l’Istiqlal puisqu’il y a une guerre menée contre lui à partir de l’intérieur. La Balance est un parti qui a d’abord été éliminé avant de semer la zizanie et la discorde dans sa maison istiqlalienne via l’administration.

Il y a aussi une stratégie pour infiltrer le Parti de la justice et du développement à travers la création d’antimoines et de contradictions entre Benkirane et d’autres leaders de sa formation politique. Aujourd’hui, il lui cherche un «Ben Arafa». Bien sûr, cela créera une discorde au sein du parti, au même degré de celle créée au sein du Parti de l’Istiqlal. Par conséquent, les forces démocratiques sont appelées aujourd’hui à se regrouper dans le cadre d’un groupe démocratique disposant des légitimités historique et populaire, qui laissera la porte grande ouverte à ceux qui souhaitent se joindre à la bataille de la transition démocratique.

Le limogeage trouve-t-il un appui dans le texte constitutionnel ?

La Constitution en particulier et les lois en général restent élastiques. Elles s’adaptent selon les besoins. Les lois, qu’elles soient suprêmes, législatives ou organiques, trouvent un fondement central : la bonne foi. Lorsqu’elles sont instaurées, ce qui rend unanime l’ensemble des parties restent cette «bonne foi». Quand une partie veut piéger, elle interprète la Constitution ou la loi à sa façon, avec mauvaise foi, ce qui conduit à perdre l’esprit de ce texte.

Pensez-vous qu’Abdelilah Benkirane et son parti disposent encore de plusieurs cordes à leur arc au lendemain de cette décision royale ?

Abdelilah Benkirane a encore toutes ses cartes. Il dispose encore du soutien de ses sympathisants, celui de la Constitution, des lois universelles et de son parti politique. Ceux qui voudront lui faire face risquent de se brûler les ailes. Le gouvernement lui a accordé une légitimité, alors que les législatives ont conforté cette position.

Le courant antimoderniste, qui est en train de creuser sa propre tombe, est à l’origine de la propulsion d’Abdelilah Benkirane sur le devant de la scène. Jusqu’à récemment, Benkirane n’était pas connu. Le courant antimoderniste pensait avoir achevé Abderrahman El Youssoufi, Noubir El Amaoui et la gauche. Ces forces antimodernistes pensaient que tout était fini mais Abdelilah Benkirane est apparu de nulle part. Elles ont mobilisé la France, les Emirats arabes unis, le capitalisme et l’administration marocaine, mais ça n’a fait que booster la popularité de Benkirane. Cette dernière décision ne fera que doubler sa popularité.

Après cette décision, la situation est très mauvaise puisqu’il y a un revers et surtout un recul. Ces événements doivent être analysés d’un point de vue sémiologique et non pas politique : si on analyse la forme des choses, tout apparaît normal alors qu’en réalité, dans le fond, c’est loin de l’être. Après le retour du roi au Maroc, les choses devaient retourner à la normale. Toutefois, Abdelilah Benkirane, qui disposait de la légitimité et a offert pas mal de concessions est appelé, non seulement à faire plus d’efforts, mais à accepter d’être écarté et d’exploser son parti de l’intérieur.

C’est une situation inacceptable et le peuple ne risque pas d’approuver. C’est avec un effort colossal que le peuple se ré-intéresse à la politique aujourd’hui et se met à l’écart de l’extrémisme ou de l’insouciance petit à petit. Mais on veut aujourd’hui que le peuple retourne à cet extrémisme et à la violence. Le courant antimoderniste, bien évidemment, puise sa force dans la tension et les conditions instables et troublées dans lesquelles la démocratie est détruite et non respectée.

Le projet mondial, celui du chaos, commence donc à faire son apparition au Maroc. Que signifie, sinon, le fait que l’Etat reste cinq mois sans gouvernement ? Ne serait-ce pas là du chaos ?

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