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Interview

Loi sur les pétitions : Le seuil des 5 000 signatures n'est pas réaliste selon Ahmed El Haij

La loi organique sur les pétitions est loin de satisfaire les associations des droits de l’homme. Le Conseil constitutionnel a enfoncé le couteau dans la plaie hier en refusant de réduire le seuil de recevabilité et d’annuler l’obligation pour les signataires d’être inscrits sur les listes électorales. Le président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) Ahmed El Haij, plutôt discret ces derniers temps dans les médias, juge la décision regrettable. Il s’explique dans un entretien avec Yabiladi.

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Le président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), Ahmed El Haij. / DR
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Yabiladi : La loi organique sur les pétitions a été très critiquée par les associations de défense des droits de l’homme. Or, l’AMDH ne s’est pas beaucoup fait entendre…

Ahmed El Haij : C’est vrai qu’en tant qu’association, l’AMDH, jusqu’ici, n’a pas officiellement donné son opinion par rapport à cette loi. Mais notre avis ne diffère pas des autres associations des droits de l’homme. Toute loi doit être conforme aux standards internationaux des droits de l’homme, c’est-à-dire permettre aux citoyens de jouir de leurs droits sans aucune entrave à leur liberté.

Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision hier, refusant de réduire le seuil de recevabilité des pétitions, fixé à 5 000 signatures tel que recommandé par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH). Une déception ?

Absolument ! Cette décision est regrettable parce que les recommandations du CNDH visent à améliorer la loi organique afin que les citoyens puissent exercer leurs droits en toute liberté. Le seuil de recevabilité de 5 000 signatures n’est pas vraiment réaliste. La pratique de la pétition est nouvelle au Maroc. On voit bien que même pour les pétitions lancées actuellement, il y a des difficultés à rassembler autant de signatures. Les gens sont réticents, se méfient… Un seuil aussi élevé ne peut pas aider le citoyen lambda à bien appréhender la pétition. C’est le premier handicap qui va, à mon avis, entraver l’exercice de ce droit démocratique.

Qu’on se le dise : cela prendra du temps de se familiariser à la pétition pour les Marocains. Il y a également un grand nombre d’entre eux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, on va les priver de ce droit. Le processus démocratique nous demande de ne pas imposer cela aux gens. On devrait plutôt faire le contraire, c’est-à-dire les laisser exprimer leurs opinions, notamment par le biais des pétitions. Une fois qu’ils se retrouveront partie prenante de la vie démocratique du pays, ils se sentiront concernés et voudront spontanément participer à la vie électorale.

Si on pense qu’imposer sera la solution, on se trompe. Il y a toujours eu une réticence grandissante des citoyens à s’inscrire sur les listes électorales. Pour qu’ils se sentent plus concernés par le processus démocratique, il faut qu’ils aient la sensation que leurs opinions sont prises en compte par les politiques pour qu’ils puissent avoir confiance en eux.

Interrogée par le Huffington Post Maroc, la représentante du Parti de la justice et du développement (PJD) Amina Ma al-Ainayn expliquait que le «maintien du seuil des pétitions vise à responsabiliser les rédacteurs de pétition et à avoir des revendications crédibles». Est-ce là un argument solide ?

On peut toujours avancer des arguments pour dire une chose et son contraire. Nous avons un vrai problème au Maroc, c’est le refus d’une grande partie de la population de s’inscrire sur les listes électorales. Comme je l’ai dit, tout est une question de confiance. Il faut pousser les gens à faire confiance à leurs responsables politiques. Admettons qu’on maintienne le seuil à 5 000 signatures, à quoi cela servirait si on n’est pas en mesure de mobiliser autant de citoyens ? Si on fait régulièrement des pétitions que le gouvernement ne prend pas en compte - parce que le nombre de signatures est insuffisant -, cela posera alors un véritable problème au niveau du jeu démocratique. Le souci est bel et bien là. Au Maroc, plusieurs lois visent à favoriser la liberté mais, d’un autre côté, un nombre important de lois portent atteinte à cette même liberté.

La loi organique sur les pétitions soulève également la question de la préparation des institutions du royaume à faire face à cette implication du citoyen dans la vie politique marocaine. Quel est votre avis à ce sujet ?

A mon avis, c’est ça le vrai défi. Si le gouvernement arrive à être réactif vis-à-vis des motions et pétitions des citoyens, ce sera une poussée en avant dans l’exercice démocratique. Chaque fois, on dit que nous sommes en train d’entamer une transition démocratique. Mais ce qu’il faut, c’est que nous arrivions de manière concrète à une véritable percée dans la sphère démocratique marocaine.

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