Yabiladi : Vous avez été invité par l’ambassade du Maroc au Canada lors de la fête du Trône. Vous sentez vous soutenu par le Maroc dans votre action ?
Steve Maman : A cette occasion, le premier ministre canadien, Stephen Harper, a souhaité rencontrer les représentants de la communauté juive sépharade marocaine du Canada. J’ai représenté Québec. J’ai rencontré le premier ministre et par la suite notre ambassadrice et plusieurs membres du gouvernement qui étaient également présents. Bien sûr, je leur ai parlé de mon action, de notre organisation, Liberation of Christian and Yazidi Children of Iraq (CYCI). J’avoue que je m’attendais à plus de réaction de leur part. Je comprends bien que ce sont certainement des personnes très occupées et qu’ils ont beaucoup de problèmes à gérer, mais là il y a urgence, ce sont des enfants qui meurent violés, brûlés vif ! Ils atteignent un niveau de souffrance inimaginable. J’aurais voulu une réaction plus … Il s’agit de mon roi, à moi, du Maroc, mon pays, j’y suis né ! Comme juif du Maroc, je sais que la communauté juive a vécu au Maroc pendant 1000 ans sans génocide. Les juifs appartiennent à ce pays. Ca aurait été une fierté que le Maroc réagisse et s’implique.
Vous êtes visiblement déçu. Installé à Montréal, conservez-vous des liens étroits avec le Maroc?
Absolument, je reviens très souvent ! Ces dernières années, j’ai dû y aller une vingtaine de fois. Je suis né à Casablanca, mais mon père est de Meknès et ma mère d’Amizmiz. En fait, c’est moi qui ai amené Cristal Strass, la société de Settat, au Canada, j’en suis le distributeur pour tout l’Amérique du nord. La pire erreur de ma vie, d’ailleurs, croyez-moi ! Quand je vois que son propriétaire veut tout vendre, alors qu’il n’a jamais payé la CNSS de ses employés… Pendant des années ils ont travaillé et maintenant ils découvrent qu’ils n’ont pas de retraite ! Mais c’est une autre histoire …
Distributeur de Cristal Strass, collectionneur professionnel de voitures anciennes, vous n’aviez pas vraiment le profil pour sauver les enfants Yazidi du califat. Comment avez-vous procédé, très concrètement, pour y parvenir ?
En Iraq, j’ai rencontré des gens haut placés et je connaissais le révérend Canon Andrew White. A l’époque où il vivait encore en Iraq, le Pentagone, notamment, avait formé toute une équipe pour le protéger. Elle est restée en Iraq mais lui est toujours restée fidèle. Il a contacté certains de ses anciens membres et ce sont eux qui opèrent aujourd’hui grâce à leur très ancien réseau, à leurs contacts au sein du Califat pour libérer les Yazidi qui sont retenus comme esclaves à l’intérieur.
Les opérations se font vers Duhok, au nord de Mossoul. On nous propose un nom que nous allons confronter au registre des enfants disparus, tenu par le Bureau du génocide du gouvernement kurde. Si c’est bien le nom d’une personne disparue – nous voulons éviter bien sûr que ça puisse devenir un trafic ! – nous la prenons en charge.
Financièrement, comment parvenez-vous à assurer ces libérations ?
Je paye nos agents une somme, et ce qu’ils en font, s’ils doivent acheter la personne à son propriétaire ou non, ça ne m’intéresse pas. [Steve Maman n’estime pas qu’il finance indirectement le Califat, ndlr] Aujourd’hui, une libération coûte 2000 à 3000 dollars américains. Au début, j’étais seul en Iraq où je suis resté plusieurs mois avant de fonder, le 25 juin, CYCI car financièrement ça commençait à devenir difficile. On a donc décidé de faire une levée de fonds. Jusqu’à présent nous avons reçu, via internet 500 000$ canadien. On attend pour l’instant leur décaissement. Ils devraient nous permettre de faire libérer 130 à 140 enfants.
Combien de personnes êtes-vous parvenues à faire libérer ?
128 personnes ont été libérées. Elles vont de 3 à 35 ans. Nous avons fait libérer quelques très petits garçons, de 3 ou 4 ans, mais toutes les autres sont des filles, et des jeunes femmes qui servent d’esclave sexuelle. Grâce aux informations du Bureau des génocides nous ramenons ces filles dans leur village, dans leur famille s’il y a lieu. Le retour est très difficile bien sûr. Ce sont des personnes qui sont absentes pendant un an puis on les voit réapparaitre. Les gens savent ce qu’il leur est arrivé et elles doivent faire face à la honte. Certaines ne parviennent pas à gérer le stress. On compte 90 suicides par mois parmi les filles yazidi libérées, selon les Nations Unies. Nous ne restons pas en contact avec celles que l’on a aidées, parce qu’alors on devrait les aider à se réinsérer, à survivre et nous n’en avons pas les moyens ; ce serait trop dur, alors je préfère m’en tenir là.