Que reproche-t-on exactement à Al Jazeera ? Le ministère de la Communication, n’a pas donné les détails des «manquements aux règles du journalisme sérieux et responsable». Mais un responsable gouvernemental, a indiqué à l’AFP, sous le couvert de l'anonymat, que Rabat reproche à Al-Jazeera la manière dont elle «traite les dossiers relatifs aux islamistes et à l'affaire du Sahara».
Al-Jazeera a donc dépassé la ligne rouge après avoir «sérieusement altéré l'image du Maroc et porté manifestement préjudice à ses intérêts supérieurs, à leur tête la question de l'intégrité territoriale …». D’après le communiqué du ministère, Al-Jazeera a déjà été rappelée à l’ordre. Mais elle aurait fait fi de ces notifications. Ce qui selon le département de Khalid Naciri, équivaut à une «intention préméditée de nuire au Maroc (…) avec une obstination affichée de ne véhiculer, de notre pays, que des faits et phénomènes négatifs dans une entreprise délibérée de minimiser les efforts du Maroc (…).».
Dans cette situation, il est difficile de ne pas faire de rapprochement entre cette décision de suspension et une lettre adressé au président du conseil d’administration d’Al-Jazeera par l’Association marocaine des droits de téléspectateurs (AMDT). Cette dernière a envoyé lundi dernier, une lettre de protestation à la «CNN arabe», dans laquelle elle lui reprochait son «alignement en faveur de la thèse séparatiste de l’Algérie et de sa création le Polisario».
Pour le directeur du bureau d'Al-Jazeera à Rabat, Abdelkader Kharroubi, les accusations des autorités sont infondées. La chaîne «a toujours respecté les règles du professionnalisme et de la neutralité, notamment au Maroc», a-t-il dit à l’AFP.
Al-Jazeera – Maroc : relations tendues
Al-Jazeera est perçue par certains, notamment les Occidentaux comme «la voix des islamistes». Elle reste plus ou moins appréciée également dans le monde arabe. La chaîne entretient des relations conflictuelles avec le Yémen, mais aussi l'Arabie saoudite ou encore le Bahreïn, qui avait même fermé le bureau d’Al-Jazeera.
Au Maroc, la chaîne a déjà eu des problèmes avec l’Etat dans le passé. Mai 2008, le Maroc a suspendu le bulletin quotidien d’informations d’Al-Jazeera sur le Maghreb, diffusé à partir de ses studios à Rabat. Cette suspension avait des raisons techniques et juridiques d’après Khalid Naciri. Quelques semaines plus tard, le directeur de la représentation à Rabat à l’époque, Hassan Rachidi et Ibrahim Sebaa El Layl ont été poursuivis en justice pour diffusion d'une fausse information et complicité. Al-Jazeera avait diffusé le 7 juin depuis Rabat, des informations faisant état des morts lors des affrontements à Sidi Ifni, alors que la version officielle indiquait 48 blessés. L’ex-directeur Hassan Rachidi a été condamné en 2009 en première instance à une amende de 50 000 Dh.
Recul de la liberté de presse
Pour Amina Bouayach, présidente de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme (OMDH), la suspension du bureau d'Al-Jazeera «traduit l'hésitation du Maroc à continuer le processus d'ouverture, notamment au niveau de la liberté de la presse. (...) A la différence de l'Algérie et de la Tunisie, où les bureaux d'Al-Jazeera sont fermés depuis longtemps, le Maroc se présentait comme une exception. Mais avec cette suspension, on peut parler d'un recul au Maroc». Pas de quoi enrayer la chute du Maroc au classement RSF de liberté de la presse.