Yabiladi : Combien de temps vous-a-t-il fallu pour élaborer votre thèse?
Fatiha Daoudi : J’ai été inscrite à l’Ecole doctorale de l’Université de Grenoble via l’Institut des Etudes politiques en octobre 2010 et j’ai soutenu en mars 2015. Le travail a donc duré quatre ans et demi, divisé entre le travail de terrain et la rédaction. Ma thèse a pour sujet : le vécu des populations frontalières algéro-marocaines depuis la fermeture des frontières en 1994. Elle est intitulée «Analyse de situation aux frontières terrestres algéro-marocaines : vie quotidienne d’une population partagée».
Quel est aujourd'hui, 21 ans après la fermeture des frontières terrestres algéro-marocaines, l'état de la situation ?
Tout d’abord, il faut savoir que la population frontalière algéro-marocaine a de tout temps eu des relations familiales et commerciales très étroites. On retrouve souvent la même famille de part et d’autre de la frontière. Ceci est d’autant plus vrai que le tracé actuel des frontières est une réalité qui ne date que de la colonisation française de l’Algérie. Cette population a donc des besoins spécifiques, faisant en sorte que la décision de l’Etat algérien de fermer ses frontières terrestres avec le Maroc n’est pas respectée sur le terrain. En effet, les frontaliers des deux pays continuent à entretenir leurs relations. Ce qui a changé c’est le fait qu’elles se font actuellement dans l’illégalité. En fait, la fermeture des frontières a créé une situation de «déviance» selon le concept de l’école de Chicago sous forme de contrebande et de passages clandestins des familles.
En quoi a concrètement consisté le travail de terrain? Avez-vous fait du porte-à-porte, des entretiens...?
J’ai utilisé ce qui est appelé l’observation participante, c’est-à-dire que j’ai accompagné mes témoins pour vivre leur quotidien, je les ai écouté avant de retranscrire leurs témoignages aussi bien en ce qui concerne la contrebande que les passages clandestins des frontières. Pendant cette descente sur le terrain, j’ai pu voir notamment comment se passe le trafic du carburant. Vous savez, dans la région il n’y a pas beaucoup d’emplois, beaucoup de gens vivent de ça, souvent avec la complicité des surveillants des frontières.
Avez-vous été confronté à des difficultés, des obstacles?
Oui, du côté algérien. Mon travail n’y a pas été aussi étendu que je l’aurais souhaité à cause de la position officielle algérienne qui limite la liberté de parler de la fermeture des frontières et de ses conséquences. Par contre, mon travail de terrain du côté marocain a été très diversifié. J’ai pu interroger aussi bien les contrebandiers et les passeurs que les frontaliers, les institutionnels que les acteurs de la société civile.
Humainement, comment les familles frontalières vivent-elles la séparation ?
La séparation des familles est vécue comme un drame humain dans le sens où l’alternative légale de visite, autrement dit la voie aérienne, est en complète inadéquation avec le mode de vie de la population frontalière qui souvent se trouve éloignée d’une dizaine de kilomètre et doit par ce biais faire des trajets très longs de pour se rencontrer. Personnellement, je suis frontalière. J’ai aussi de la famille de l’autre côté, donc je suis dans la même situation.
Depuis 2007, vous militez pour que des solutions soient trouvées en faveur de ces familles. Beaucoup pense que le Maroc et l'Algérie ont tout intérêt à rouvrir les frontières. Est-ce également votre avis?
Ce qui est clair, c’est que la fermeture des frontières terrestres entre l’Algérie et le Maroc est une aberration géopolitique qui dure depuis 21 ans. Il n’est de l’intérêt d’aucun des deux pays de laisser perdurer cette situation qui nuit en réalité à toute la région du Maghreb, en plus de faire de la population frontalière un dommage collatéral.