À l’occasion de la deuxième tentative d’introduction de ce texte controversé, le Pr. El Houssaine Louardi, ministre de la Santé, nous sort l’artillerie lourde. Il multiplie les sorties médiatiques pour avancer les arguments justifiant cette privatisation. Des thèses reprises avec complaisance par les médias. Dans le but de briser la pensée unique qui domine ce débat, prenons le temps de discuter et analyser les arguments du ministère de la Santé (MS).
Argument 1 : «Ce n’est pas une privatisation». C’est une financiarisation de la santé
«Ce projet ne vise pas à privatiser la santé», rassure le ministre de la Santé. Je confirme ! La santé au Maroc est déjà privatisée. Ce droit a été transformé en marchandise il y a plus de trente ans. Le FMI et son plan d'ajustement strucutrel (PAS) avec la bénédiction des différents gouvernements ont affligé à ce service public une cure d’austérité de deux décennies.
Nous trainons encore les boulets des «succès» de cette politique. Une santé à deux vitesses s’est installée. Face à un secteur public agonisant, les citadins se sont tournés vers un secteur privé, dopé par les compétences du public. Donc ce projet n’est pas qu’une simple privatisation, c’est une opération de financiarisation du système de santé. Cette réforme ouvrira la voie aux fonds d’investissements détenus par les assureurs, les laboratoires pharmaceutiques des multinationales de la santé. Les financiers qui ont tenté le même coup du temps de Yasmina Baddou, frappent à la porte du Pr. Louardi, qui semble céder aux multiples pressions économiques et politiques.
Argument 2 : «Les cliniques privées sont hors la loi». C’est grave Docteur !
Dos au mur, le Pr Louardi déballe tout sur le secteur des cliniques. Et soudain ce secteur devient «hors la loi». Il énumère ainsi une longue liste de manquements : les investisseurs sont déjà présents dans les capitaux des cliniques, les cliniques créées en SA ou Sarl sont dans l’illégalité, des médecins fonctionnaire au ministère de la Santé sont actionnaires des cliniques, etc…
Apprécions ici la finesse tactique de Mr le ministre. Son travail de diabolisation des cliniques est une prolongation de l’image peu reluisante dont écopent ces structures auprès de l’opinion publique. Sauf que son raisonnement ne tient pas. Nous sommes devant un responsable public qui nous dit tout bonnement que l’Etat (Secrétariat général du gouvernement et le ministère de la Santé) pendant des années n’a rien pu contrôler et même quand des missions d’inspections ont lieu, elles n’ont pas été traduites par des sanctions administratives. Sa solution : «inviter des investisseurs non médecins pour assainir ce secteur». Nous nous pouvons qu’être étonnés de cette fuite en avant.
En lieu et place de ce projet de privatisation, le ministre de la santé devrait faire le bilan de trois décennies de marchandisation de la santé et de l’échec de l’Etat dans son rôle de régulateur et planificateur du secteur public. En une phrase : nous exigeons des deux départements de tutelle de rendre des comptes sur leur gestion de ce dossier des cliniques privées, par la même occasion nous expliquer comment ce secteur est resté «hors la loi» pendant toutes ces années ?
Argument 3 : «La libéralisation drainera des investissements». Une nouvelle dose de néolibéralisme !
Ce projet de privatisation a quelques «mérites» ! Primo, ce dossier met à nu l’uniformisation économique des acteurs politiques au Maroc en cours depuis le début des années 80. A droite comme à gauche, le libéralisme triomphe. Cette «réforme» a été portée au départ par une ministre istiqlalienne et elle est aujourd’hui défendue avec hargne par un ministre issu du PPS. Deuxio, ce projet révèle au grand jour la domination de la pensée néolibérale sur les faiseurs de la politique de santé. Pour Pr Louardi, cette privatisation de la médecine améliorera «l’attractivité du Maroc, drainera des investisseurs étrangers, créera des emplois, stimulera la concurrence entre les cliniques pour tirer la qualité vers le haut». En somme, le bon vieux discours qui a prévalu pour privatiser les terres agricoles, le tissu industriel public et des services de bases. Le bilan de ce choix économique est très discutable.
Ce qui est problématique, c’est de vouloir appliquer ce même raisonnement, théoriquement valable pour un secteur productif et lucratif, à un secteur social. Certes, le système de santé actuel dispose d’une composante privée lucrative. Cette partie désormais indispensable au bon fonctionnement du système a contribué à créer une santé à deux vitesses. La nouvelle tentative de privatiser d’avantage ce service social créera un système à trois vitesses. D’une part, le secteur public agonisant et débordé avec l’arrivée des RAMEDistes, le secteur privé actuel aux infrastructures vieillissantes et le prochain secteur financé par les financiers qui se dotera de villes médicales 5 étoiles. La barrière de l’argent et le type d’assurance maladie priveront la grande majorité des Marocains de ce système.
D’ailleurs, les financiers n’investiront pas pour soigner la veuve et l’orphelin. Ils mettront le paquet pour se répartir le gâteau de 47,7 milliards de DH, que représente la dépense globale en santé au Maroc et plus spécifiquement le juteux marché des assurés du privé, du public et du semi-public, soit 44% de ce montant. Avec en prime, une décision médicale qui échappera aux professionnels de santé. Le diktat du marché, déjà omniprésent en santé, triomphera.
Argument 4 : «C’est un moyen pour régionaliser l’offre de soins». Un leurre !
Le troisième argument des promoteurs de la privatisation, c’est que ce projet permettra de réduire les écarts régionaux en offre de soins. Le ministre promet que ces investisseurs seraient prêts à s’installer dans les régions éloignées souffrant de déficit en personnel de santé et d’infrastructures de qualité. Cet argument ne résiste pas à la réalité du terrain. En octobre 2012, le groupe émirati Tasweek Real Estate Development and Marketing annonçait déjà la couleur. Cette société compte créer un «complexe touristico-médical» à Marrakech. Les prochains investisseurs feront de même. Il ne faut pas donner de faux espoirs aux Marocains sur les régions d’installation de ces financiers. Ces derniers privilégirons les régions où se trouvent des clients solvables, c'est-à-dire l’axe Rabat-Casablanca et les grandes villes (Tanger, Fès, Marrakech ou Agadir). Il est illusoire de croire que ces marchands de la santé iront s’installer dans des déserts médicaux (le Sud-est, l’Oriental ou le Rif), qui constituent aussi des régions où le pouvoir d’achat est très faible.
Argument 5 : «Des lobbys s’opposent à cette réforme». Un Front citoyen...
Le dernier argument du ministre, c’est que les opposants à ce projet sont «des lobbys défendant des intérêts corporatistes», en l’occurrence les médecins et les professionnels de santé en général. A cette hypothèse, nous rétorquons ainsi : 44 organisations opposés à cette privatisation se sont regroupées au sein du Front national pour la défense de la santé (FNDS). Notre but : défendre la santé comme service public et social. C’est une première que des structures de la société civile d’horizons divers se réunissent sous le mot d’ordre du refus de la marchandisation de la santé. Dans cette large coalition, les professionnels de santé sont minoritaires, le «lobby» majoritaire est celui des citoyens signataires du texte d’Appel et qui disent de la même voix : Stop à la privatisation de la santé.
En conclusion de ce premier essai de déconstruction de l’argumentaire du ministère de la Santé sur la libéralisation de la médecine, je considère le débat actuel salutaire. Pour une fois, nous avons l’occasion de remettre en cause le modèle dominant de gestion d’un service public. Dans les textes à venir, je tenterai de démontrer les risques de dérive que contient ce projet sur les soins et l’économie de santé au Maroc. Nous aurons l’occasion de montrer qu’un autre système de santé est possible, sans recourir à une marchandisation de ce secteur. En attendant, je vous invite à prendre part dans cette campagne contre la privatisation de la santé et à signer la pétition du Front.