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Tribune

Immigration et formes d'exclusions par Mounir Ferram

Tout a commencé avec les grands chantiers de construction qu’a connus l’Europe après la deuxième guerre mondiale, avec l’épanouissement économique de cette région du monde. Un immense chantier auquel il manquait des milliers de mains-d’œuvre, il fallait les trouver, les recruter là où souvent la misère, la pauvreté permettent et justifient le déracinement et l’exploitation. Personne n’imaginait que plus tard s’inscrira, béante, sur cet espace élevé, construit et même défendu par ces émigrés ou leurs concitoyens une blessure, profonde, poussant sur un sol d’incompréhension et d’exclusion.
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Certainement, la réalisation des projets économiques primait sur le tout. Tous ces émigrés ne constituaient qu’une masse de travail anonyme, secondaire par rapport à d’autres préoccupations. La périphérie par rapport au centre. On imaginait qu’ils rentraient chez eux une fois les chantiers finis, une fois qu’on n’aurait plus besoin d’eux.

Personne ne détient les commandes du cours de l’Histoire, on s’évertue à tout englober dans une logique scientifique, l’évolution des choses trompe, prouve le contraire et surprend parfois. La politique n’échappe pas non plus à ce sort, quand elle prétend tout prévoir ou tout maîtriser elle ne prouve que sa rébellion prématurée contre une implacable certitude humaine, faible, appuyée d’abord sur le principe de l’erreur et de l’incertain.

Le philosophe Edgar Morin disait judicieusement : « Quand, pour sortir du XX siècle, j’ai voulu regarder le monde actuel, j’ai eu la conscience qu’on est désormais dans « nuit et brouillard », que l’avenir du monde ne peut être prédit, que l’ensemble du jeu de inter- et des rétroactions nous échappent ».

L’imprévu est que ces émigrés avaient décidé de ramener leurs familles en Europe et de s’y installer, la perspective du retour au pays d’origine devenait, elle, incertaine. L’erreur fut de les déterritorialiser, de les accueillir en banlieues carrément coupées de la vie du centre, de les inscrire dans l’espace autre. Une mesure d’exclusion incalculable. Déjà, le sentiment de la frustration s’intensifiait dans des endroits bannis de toute activité socio-culturelle ou d’une gestion politique avertie.

La frustration et l’exclusion évoluent en drame dans la méconnaissance et dans l’insouciance de part et d’autre. Il a fallu que le vase soit débordé pour que l’on se réveille un jour. Pour que l’on se rende compte qu’un problème d’immigration existe réellement et qu’il va générer ultérieurement d’autres formes d’exclusion et de violences.

Il est certain que les actes d’exclusion et de rejet réduisent au minimum les chances de l’ouverture et du dialogue. Ils développent une amertume surtout chez les jeunes de la deuxième et troisième génération ainsi qu’une prédisposition au repli sur soi. Ils deviennent alors des proies faciles à la délinquance ou à certains discours démagogiques qui incitent à différentes formes de révoltes ou au retour aux sources à travers des pratiques religieuses prônant l’intolérance et l’extrémisme.

En Europe, le problème de l’immigration n’est souvent traité par les médias que lorsque ces banlieues s’embrasent, expriment par la violence leur malaise ou lors des élections, quand des partis politiques se partagent à son égard soit en défenseurs des égalités et des droits sociaux, ou en fervents protecteurs de l’identité nationale contre toute invasion étrangère.

En somme, jamais on ne s’est penché sur ce problème avec beaucoup de réalisme et de volonté politique en dehors de ces enjeux majeurs. Il en résulte une mauvaise connaissance chez l’opinion publique européenne de la réalité et de la complexité de ce problème. Elle a souvent tendance à se maintenir aux faits, à en isoler les fondements et les mobiles.
Elle se limite à l’appréciation des actes manifestes et juge la plupart des agissements avec un a priori réducteur. L’émigré est synonyme de délinquance, si ce n’est son incarnation parfaite ou l’un de ses prolongements surtout dans un contexte mondial caractérisé, actuellement, par la crise économique, le terrorisme international…

L’échec des politiques d’intégration incombe à leur vision mécaniste des choses, à restreindre l’étendu du problème de l’immigration à quelques aspects secondaires ou partiels détachés de ses réalités sociales et économiques. Il s’avère difficile qu’elles puissent aboutir à quelque chose de concret sans la mise en œuvre de projets audacieux, inscrits dans le long terme pour une implication des immigrés dans la vie active de tous les jours. Les jeunes issues de l’immigration ont besoin plus que jamais de plan d’actions responsabilisant et égalitaire émanant des instances concernées. Leur association dans les domaines économiques, sociaux et politiques est nécessaire pour les aider à s’affranchir d’un sentiment archaïque de frustration, à se libérer d’une appartenance floue à une société qui ne leur est pas reconnaissante, ouverte et aimante.

Nous ne pensons pas qu’il soit facile d’avancer dans la vie et de se déterminer quelque part, sans avoir résolu préalablement le sentiment d’appartenir, avec beaucoup de conviction, à une terre, à une culture donnée, à une cause qu’on sert avec passion et force. Tout provient dans la manière dont les politiques voudront rendre la culture française proche, tolérante et ouverte à toutes ses composantes sociales, sans exception. Le dialogue s’instaure par la primauté du respect des différences et de leurs concours à l’apaisement et la prospérité sociale.

Mounir FERRAM
Chercheur et enseignant universitaire à Paris
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