Les loi marocaines sont conformes à la Convention internationale des droits de l’enfant, mais c’est encore loin d’être suffisant. «L’application effective des lois souffre de nombreux dysfonctionnements par manque de moyens, de capacités et de supervision, entraînant fréquemment le recours au placement des enfants en institution. Le placement est souvent injustifié, allant à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant», détaille le rapport du CNDH sur les centres de sauvegarde de l’enfance chargé de recevoir les enfants en conflit avec la loi, présenté aujourd’hui, lundi 20 mai, par Driss El Yazami et intitulé : «Enfants dans les centres de sauvegarde : une enfance en danger, pour une politique de protection intégrée de l’enfant».
«Les droits des enfants placés ne sont pas pleinement garantis, notamment les droits à la santé, à l’intégrité physique, à la protection contre toutes les formes de violence, d’abus et d’exploitation, à une rééducation appropriée et à la participation. […] Un grand nombre d’enfants placés sont victimes de châtiments corporels, de brimades et d’insultes. […] Des enfants passent plus de 3 mois dans la section d’observation sans être présentés au juge», énumère le rapport.
Fugues
Au lieu de protéger les enfants, ces centres de «sauvegarde» enferment et violentent des mineurs. «Les fugues constatées reflètent le mal-être des enfants et l’inadéquation de la prise en charge de certains enfants», reconnait le rapport. «Il arrive que nous recueillons des enfants des rues qui sont passés par ces centres de sauvegarde et s’en sont échappés. Ils nous ont rapporté des cas de violence, de négligence … Ce qui est dans ce rapport est exact et pour cause, les enfants fuient ces centres, c’est donc bien qu’ils n’y sont pas correctement traités», indique Abderrahman Bounaim, éducateur principal de l’association Bayti pour la protection des enfants des rues.
«Le secteur associatif est également un acteur incontournable en matière de protection et de prise en charge des enfants en contact avec la loi. Cependant, si son apport est considérable en la matière, le secteur associatif fait face à de nombreuses difficultés, notamment en matière de ressources humaines et matérielles nécessaires et durables», précise encore le rapport. «Depuis le début de l’année nous avons recueilli une dizaine d’enfants que nous a confié le juge des mineurs, mais l’an dernier nous avions fait passé une note aux juges qui nous envoient des enfants pour leur indiquer que nous avions atteint le maximum de nos capacités et que nous ne pouvions plus recevoir d’enfants», reconnaît Abderrahman Bounaim.
Tous les enfants mélangés
Pour chaque enfant, le juge des mineurs décide de l’institution la plus appropriée pour le recevoir. «Nous recevons les enfants des rues, les enfants qui sont privées de l’une de leur liberté fondamentale et notre objectif et de les remettre au sein de leur famille. Les centre de sauvegarde ont, eux, vocation à recevoir les enfants qui ont commis de petits délits», explique le responsable de Bayti, mais en attendant de passer devant ce juge tous les enfants restent ensembles. «Les enfants en situation difficile (retirés de leur environnement familial défavorable, abandonnés et les enfants errants ou mendiants dans les rues) se trouvent dans une institution fermée, privés de leur liberté, partageant les mêmes espaces que les enfants en conflit avec la loi, en attente de jugement ou jugés», soulève le CNDH.
En fin de rapport, le CNDH émet directement plusieurs recommandations en direction des pouvoirs publics : la nécessité de délimiter précisément les rôles de chaque institution et ministère intervenant dans la protection de l’enfance, mettre en place une véritable politique nationale, mais également revoir en urgence toutes les procédures de placement dans ces centres puisque beaucoup sont abusives et accélérer le passage devant le juge de ceux dont le cas n’a pas encore été traités.
Autocritique de l'Etat
Le rapport du CNDH est le troisième du genre depuis la création du conseil consultatif en 2011. Après les prisons et les hôpitaux psychiatriques, les centres de sauvegarde de l’enfance sont les troisièmes à recevoir la visite du CNDH Ses membres ont visité dix-sept d’entre eux, au Maroc, en novembre 2012, suite à l’auto-saisine du CNDH sur ce sujet. L’activité du CNDH a été saluée dans le dernier rapport de l’ONU sur la torture au Maroc.
La capacité d’autocritique dont fait preuve l’Etat marocain avec cette grande enquête ne surprend pas réellement Abderrahman Bounaim. «L’Etat a déjà dévoilé pas mal de chose, il est conscient des problèmes. Dans le cadre d’un programme d’amélioration des centres de sauvegarde, il nous avait contactés pour voir dans quelle mesure nous pourrions former les éducateurs, le personnel qui travaille dans ces centres. Ce projet n’a pas été mené jusqu’à son terme, mais l’Etat pourrait le réactiver», explique-t-il. Cette formation est du moins inscrite parmi les recommandations du CNDH : «mettre en place une stratégie de formation (initiale et continue) des différents acteurs intervenant auprès des enfants en contact avec la loi : officiers de police/gendarmerie; juges, procureurs, juges d’instruction ; équipes éducatives».