Ahmed Benchemsi est attaqué sur tous les fronts. Alors que l’ancien directeur de publication de l’hebdomadaire d’opposition marocain Tel Quel est poursuivi pour diffamation par Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi Mohamed VI, à Paris, il est accusé, au même moment, d’être devenu le fer de lance arabe de l’islamophobie et du soutien américain à Israël. Le journaliste Max Blumenthal, ancien d’Al Akhbar, dans un article publié sur Electronic Intifada le 7 mai, associe l’AIC (American Islamic Congress) et Free Arabs, site d’information co-fondé par Ahmed Réda Benchemsi. Le 9 mai, «l’enfant terrible de la presse marocaine» a répliqué sur Free Arabs.
Dans son article Max Blumenthal développe longuement sur les financements venus de nombreux lobbys et fondations de la droite conservatrice américaine dont bénéficie l’AIC. «Parmi les soutiens les plus surs de l’AIC, il y a le Donors Capital Fund, qui a offert au moins 85 000 dollars depuis 2008. Donors Capital est parmi les 7 fondations identifiées dans le rapport 2011 du Center for American Progress’s comme «les forces vives du réseau de l’islamophobie aux Etats Unis», écrit notamment Max Blumenthal.
Diffamation pas association
Or, il se trouve que Nasser Weddady, outreach director de l’AIC, est également co-fondateur du site Free Arabs. Max Blumenthal se base sur ce lien pour accuser Free Arabs de défendre les mêmes intérêts que les financeurs de l’AIC. Dans sa réponse, Ahmed Réda Benchemsi dénonce une théorie du complot. «L’histoire de Blumenthal […] n’est rien d’autre qu’un château de carte construit autour du concept de diffamation par association. ‘V est aidé par W qui travail pour X qui prend de l’argent de Y qui se tient par ailleurs à Z = V est coupable de Z’ Rien d’original en fait. C’est une tactique assez typique utilisée par tous les théoriciens de la conspiration du monde […]», écrit Benchemsi. Du moins ne remet-il pas en cause les informations de Max Blumenthal sur les financements de l’AIC.
L’ancien directeur de publication de Tel Quel tente de déconnecter le Nasser Weddady fondateur de Free Arabs et le Nasser Weddady employé par l’AIC, mais il peine à convaincre. Selon lui, Max Blumenthal oublie une précision importante faite par Weddady dans sa présentation sur Free Arabs, «Civil Rights Outreach Director at the American Islamic Congress by day, co-founder of Free Arabs by night». Ses deux activités seraient séparées.
Proche de l'AIC depuis 2005
Pourtant, l’article «A muslim prayer for Boston's victims» publié par Nasser Weddady lui même sur Free Arabs et portant sur sa propre intervention publique au Interfaith Memorial Service de Boston aux côtés de Barack Obama, le 17 avril, suite à l’attentat du marathon de Boston, met à mal la défense d’Ahmed Benchemsi. Dans cet article Nasser Weddady associe lui-même ses deux fonctions de co-fondateur du site et d’employé d’AIC.
Au-delà de la double casquette du co-fondateur, Ahmed Réda Benchemsi reconnaît et détaille les raports récurrents qu'il a eus avec l'AIC avant la création de Free Arabs. «Mon premier contact avec l’AIC date de 2005. J’étais alors directeur de publication et rédacteur en chef d’un hebdomadaire d’actualité au Maroc et en tant que tel je faisais face à une peine de prison et une amende prohibitive pour avoir prétendument «diffamé» un membre du gouvernement. Jesse Sage de l’AIC qui visitait mon bureau à Casablanca lors d’une voyage rapide au Maroc, ma spontanément offert de m’aider en lançant une campagne de solidarité aux Etats Unis. La même offre a été renouvelée, 2 ans plus tard, alors que j’étais accusé d’ «offense» au roi du Maroc (et plus tard en différentes occasions)», raconte Ahmed Réda Benchemsi, sans préciser sur l’AIC a finalement réussi à réunir des fonds pour lui.
Pas de financement
Il assure que tous ses autres contacts avec l’AIC n’ont débouché sur aucune rémunération et que le site Free Arabs a été financé sur ses deniers personnels (25 000 dollars), et grâce à un don d’un journaliste arabe ami anonyme. Son anonymat n’aide pas à éclairer la situation.
Si Ahmed Benchemsi nie tous liens financiers entre son site et l’AIC, du moins reconnaît-il son rôle de «facilitateur» dans sa création. «Parce que ils m’ont donné cette possibilité de réseauter, accorder à l'AIC et l'UUSC (Unitarian Universalist Service Committee) le fait d’avoir «facilité» la création de Free Arabs était une chose juste et bienveillante à faire – bien que, comme le site le précise clairement, Free Arabs est ‘une initiative indépendante seule responsable du contenu du site et de la ligne éditoriale’», explique son co-fondateur.
Islamophobie ou satire ?
Avec la double casquette de Nasser Weddady, la relation entre l’AIC et Free Arabs relève donc au moins de l’influence sinon du financement. Cette relation suffit-elle à jeter un discrédit définitif sur l’indépendance éditoriale de Free arabs ? Parmi les articles du site, Max Blumenthal pointe notamment du doigt la série satirique «Fatwa Show» qui tourne en dérision les fatwas lancées par certains cheikhs ultraconservateurs. Influence islamophobe de l’AIC ? Ahmed Benchemsi n’a pas attendu l’AIC pour avoir une lecture très critique et satirique des mœurs culturelles et religieuses conservatrices dans les pays arabes en général et au Maroc en particulier.
Dans son article, le journaliste Max Blumenthal accuse Free arabs de soutenir implicitement Israël. Son article «Mizrahi jews are the ultimate pan-arabs» est certes extrêmement provocateur, voire tendancieux lorsque son auteur affirme que «les juifs d’Israël sont les arabes les plus libres du monde», mais il a aussi vocation à l’être puisqu’il s’insère dans la série humoristique «The Horrific 4».
Intervention en Syrie
Max Blumenthal associe également la position pro-intervention en Syrie de la Hoover Institution Senior Fellow Larry Diamond qui supervise le programme de l’Université de Standford - au sein duquel Ahmed Benchemsi est chercheur invité – avec la publication par Free arabs d’un article appelant à l’intervention en Syrie. N’est-ce pas une position logique pour un site créé dans le mouvement des révolutions arabes et alors que Bachar El Assad fait face à l’une d’elles ?
Si les positions éditoriales du site ne sont peut être pas aussi évidentes que voudrait le croire Max Blumenthal à la lecture de ses articles, du moins l’absence, 2 mois et demi depuis la création de Free Arabs, de réflexion sur la politique américaine au Proche orient laisse planer le doute. La politique israélienne de colonisation de la Palestine n’a pas non plus fait l’objet d’une analyse, mais deux articles pointent du doigt les injustices commises à l’égard des Palestiniens dont un intitulé «Palestinian bus appartheid ». Pour mesurer pleinement si la ligne éditoriale réelle de Free Arabs correspond aux intentions déclarées de Ahmed Réda Benchemsi, il faudra encore quelques mois supplémentaires d’existence.