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Grand Angle

Maroc : «Tutlayt n ansagh», une tradition ancestrale amazighe de langue sifflée

Il y a plusieurs siècles, les montagnes de l’Atlas, les habitants ont créé un moyen de communication appelé «tutlayt n ansagh». Tel une langue de signes, cette tradition ancestrale consiste à échanger par sifflements, permettant aux uns et aux autres de maintenir les interactions sur de longues distances, lorsque d’autres moyens sont moins pratiques.

Publié
Région de M'Goun / Ph. Jebel Trekking
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Au cœur des reliefs montagneux de l’Atlas se niche une tradition unique et séculaire à la fois. Il s’agit de la communication par le sifflement. Par sa complexité, ce dernier se distingue nettement entre les murmures des vents et les mélodies de la nature. Il témoigne ainsi de l’innovation des aïeux ayant développé ce langage, appelé désormais «tutlayt n ansagh», qui se traduit littéralement par «le langage du sifflet».

Cet usage complexe et bien antérieur aux moyens modernes de la communication constitue un outil vital pour les communautés séparées par de grandes distances. Il est utilisé par les bergers s’occupant de leurs troupeaux au milieu des vallées, ou encore par les villageois ayant besoin de relayer des messages importants. Autant dire que d’une génération à l’autre, le sifflement a constitué une solution pratique et fonctionnelle, permettant une communication claire qui réduit les distances.

Un écho sifflé des paroles prononcées

Pour autant, il ne s’agit pas d’un simple sifflement aléatoire. «Tutlayt n ansagh» sonne plutôt comme un «ancien écho sifflé» de paroles prononcées, tel que l’ont décrit les linguistes. «Tutlayt n ansagh» est dérivé du tamazight, l’une des deux langues officielles du Maroc, transportant l’essence de ses sons et de leur structure dans une ligne mélodique plus simple.

Le tamazight sifflé «se nuance grandement en tashlhiyt et partage des propriétés phologiques majeures avec ce parlé», font savoir les deux linguistes Julien Meyer, Bernard Gautheron et Rachid Ridouane, dans leur article intitulé «Tamazight marocain sifflé : phonétique et phonologie» (18e Congrès international des sciences phonétiques, août 2015, Glasgow, France).

Les chercheurs qui étudient ce moyen de communication et d’expression intrigant expliquent qu’il ne s’agit pas seulement de tons aléatoires, mais bien d’une manipulation précise de la fréquence et de l’amplitude des sons. Cette maîtrise crée alors un «signal sifflé», qui véhicule les «indices phonétiques clés» de la langue de base.

Tamazight sifflé et El Silbo

Cette pratique ne se limite pas aux montagnes de l’Atlas. En effet, des langues sifflées sont déclinées différemment à travers plus de 40 communautés locales dans le monde. Chacune d’elles a ses propres spécialités, sonorités et fonctions.

Non-loin du Maroc, sur l’île canarienne de La Gomera, une autre langue sifflée est également transmise à travers les générations. Connu sous le nom de «El Silbo», ce canal de communication porte en lui des échos de l’ancienne langue guanche, un parlé dérivé de l’amazigh et adapté à l’espagnol.

Au sein de l’UNESCO, El Silbo a été reconnu comme patrimoine oral et immatériel de l’humanité, compte tenu de son importance culturelle et ancestrale. Alors qu’El Silbo jouit d’une appréciation bien méritée, «tutlayt n ansagh» attend toujours une plus large reconnaissance.

Bien qu’elle soit activement pratiquée par de nombreuses personnes dans les montagnes de l’Atlas, cette langue locale reste encore peu mise en valeur. Ce long processus nécessite des études scientifiques plus poussées et un travail de documentation plus approfondi, pour bien comprendre les subtilités de cette pratique ancestrale et mieux la préserver, en tant qu’héritage linguistique et culturel à part entière.

Cette tradition ancienne de plusieurs siècles, où les sifflets remplacent les mots et où les fréquences sonores véhiculent des messages, reste un témoin de l’ingéniosité humaine et du pouvoir durable de l’expression culturelle.

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