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Interview

Abdennasser Naji : Les résultats des élèves du Maroc au PISA sont désastreux et pire sera l’avenir [interview]

Les élèves marocains des écoles publiques et privées ont obtenu des résultats inférieurs à la moyenne, avec une baisse par rapport à l’évaluation précédente, dans le cadre de l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA 2022), supervisée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Dans l’édition 2022, le Maroc a participé avec un échantillon de 6 867 élèves de 15 ans, représentant 177 établissements. Sur 81 pays participants, le Maroc s’est classé 71e en mathématiques, 79e dans la compréhension et 76e dans les cultures scientifiques.

Dans cet entretien, Abdennasser Naji, expert en éducation et président de la Fondation Amaquen pour une éducation de qualité, présente sa lecture des résultats, les raisons de ceux-ci et l’avenir qu’ils suggèrent.

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Quelle évaluation faites-vous des résultats du Maroc dans l’édition PISA 2022 ?

Sans surprise, ce sont des résultats faibles pour le Maroc. Ils sont quasiment les mêmes que ceux de 2018, avec une baisse enregistrée dans les trois sujets, à des proportions variables. La baisse ne s’est pas limitée aux scores obtenus, qui sont loin de la moyenne internationale et loin des résultats des pays développés. Elle s’observe notamment dans le pourcentage d’élèves ne maîtrisant pas les compétences minimales. C’est désastreux. Il existe une échelle de compétences établie par PISA et les apprenants marocains n’ont pas atteint le niveau minimal. Le pourcentage de ceux qui ne maîtrisent pas ces compétences basiques a atteint plus de 80%, après avoir été autour de 75% en 2018.

Quelles en sont les raisons, selon vous ?

Les élèves ont été impactés notamment par les effets de la pandémie de Covid-19, pendant laquelle les écoles ont été fermées. On est passé à un enseignement à distance, dont les bonnes conditions n’étaient pas remplies. Les conséquences étaient claires dans cette dernière étude.

Outre la crise sanitaire, une deuxième raison est liée à la nature du fonctionnement du système éducatif marocain. Il repose sur une inflation numérique des taux de réussite au niveau des académies régionales (AREF), notamment au baccalauréat et à la fin du collège, où l’on a tendance à faire augmenter le nombre d’apprenants qui réussissent, comme si nous étions en compétition chaque année pour que le nombre soit plus élevé, quel que soit le mérite. Par conséquent, on est pris au piège de faire réussir les élèves marocains, au lieu de les qualifier à réussir.

Par exemple, en 2021, les élèves du secondaire ont affiché un taux de réussite de plus de 80%, alors que ce chiffre n’a jamais dépassé 55%, avant cette année-là. Nous savons que l’enquête PISA s’intéresse aux élèves de 15 ans, qui sont donc au tronc commun. Cette montée en flèche des taux de réussite a conduit un groupe d’élèves ne maîtrisant pas les compétences de base à atteindre ce niveau-là des études, et ce sont eux qui ont été testés au PISA 2022.

Il y a une autre raison directe, à savoir le passage du système éducatif marocain de l’enseignement des matières scientifiques en arabe vers le français. Ce changement a affecté les résultats des élèves en sciences. Beaucoup ne maîtrisent pas le français, et ils doivent comprendre une matière enseignée dans cette langue-là, ce qui a créé un double obstacle pour l’apprentissage, ceui de la langue et celui de la matière en elle-même. Cela se voit dans les résultats, même si le Maroc a décidé, lors des tests de 2022, que le choix linguistique se fasse au niveau de l’établissement, pour réduire les risques d’erreurs, de manque de compréhension des exercices faisant l’objet du test.

Il existe également un problème lié à la crise des enseignants contractuels entraînant fréquemment des grèves pour exiger un changement de leur statut, ce qui a affecté les résultats scolaires. D’autres problèmes structurels liés au système éducatif marocain, communs à tous les tests que passent les apprenants, sont relatifs à la formation de base de ces enseignants. Celle-ci ne leur permet pas de maîtriser les compétences de base qui les qualifient à accomplir leurs tâches.

Un autre aspect est en relation avec le programme, qui ne se concentre pas sur les matières académiques de base. Il est dispersé entre des cours surchargés de connaissances, sans démarche de développement de connaissances, de manière à capitaliser sur la capacité de l’apprenant à penser de manière critique et résoudre des problèmes complexes...

Il existe un autre défi, lié au temps scolaire, bien que celui-ci au Maroc soit le plus élevé parmi tous les systèmes éducatifs participant au PISA 2022. Ce n’est qu’en théorie, car la réalité est que l’élève marocain commence réellement l’école en octobre et termine fin avril, ce qui indique une réduction du temps passé dans l’établissement d’enseignement. Cela ne permet pas de terminer complètement les cours avant de passer au niveau d’après.

D’autres problèmes s’illustrent encore par l’ampleur d’un certain nombre de phénomènes néfastes et de certaines mauvaises pratiques à l’intérieur et à l’extérieur des établissements.

Pensez-vous que la réforme actuelle permettra de surmonter cette situation à l’avenir ?

J’en doute fort. La feuille de route que le ministère de tutelle met en œuvre n’inclut pas l’ensemble du système éducatif. Elle se concentre sur certains points qui, malgré leur importance, ne permettront pas de réformer le système dans son ensemble, d’autant que ce dernier est structurellement endommagé.

La feuille de route s’articule autour de trois composantes : l’élève, l’enseignant et l’établissement. Elle vise à atteindre seulement trois objectifs stratégiques. Le premier est d’élever le niveau de réussite scolaire, le deuxième est de réduire le taux de l’échec et le troisième est d’augmenter les activités parascolaires. Ces objectifs ne constituent pas l’intégralité de la réforme, issue de la vision stratégique et juridiquement délimitée par la loi-cadre, laquelle inclut le système éducatif avec toutes ses composantes.

La feuille de route se concentre uniquement sur les apprentissages de base et priorise l’école primaire, en négligeant le reste des cycles de l’enseignement. Même en ce qui concerne ces objectifs stratégiques, nous constatons cette année que 350 000 élèves ont quitté les établissements avant la fin de leur scolarité, alors que l’année d’avant, ils étaient 334 000, et avant cela, 331 000. Nous sommes donc sur une tendance haussière en termes de déperdition scolaire.

Avec ces mouvements de grèves dans le secteur éducatif, la situation pourrait s’aggraver dans un avenir proche. Nous espérons que les failles seront colmatées par des initiatives et des mesures qui permettront de sortir de cette impasse. Mais lorsqu’un gouvernement part de zéro et ne s’appuie pas sur l’accumulation des réalisations, cela ne permet pas de réformes à long terme. Nous restons dans un cycle de réforme des réformes.

La loi-cadre est venue assurer la continuité de la réforme, mais malheureusement, ce gouvernement a abandonné ce texte. La première étape pour la mise en œuvre était de la traduire en dispositions législatives, puis en textes réglementaires. Mais jusqu’à présent, rien n’a été produit, ce qui veut dire que la loi-cadre est mise en stand by.

Article modifié le 10/12/2023 à 22h38

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