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Grand Angle

Histoire : L’URSS a utilisé son veto pour soutenir les revendications du Maroc en Mauritanie

Au début des années 1960, l’URSS s’est opposée à la France et aux Etats-Unis, en ayant recours à son droit de veto contre la reconnaissance de l’indépendance de la Mauritanie. Cette initiative est intervenue dans un contexte où Rabat a mené plusieurs actions diplomatiques contre la reconnaissance internationale de la Mauritanie, considérée à ce moment-là comme partie intégrante du territoire national.

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Le 28 novembre 1960 à minuit, Mokhtar Ould Daddah, chef du parti de l’Union progressiste mauritanienne connu pour sa proximité avec l’administration coloniale française, a proclamé l’indépendance de la Mauritanie. «Sur la base de l’accord conclu entre la République française et la République Islamique de Mauritanie, le 19 octobre 1960, ratifié par les parlementaires des deux pays, je déclare l’indépendance de la République Islamique de Mauritanie», a-t-il alors déclaré.

«Le rêve souhaité depuis longtemps par chaque Mauritanien, homme et femme, s’est enfin réalisé. Dans cette capitale naissante, je vous invite à reconnaître le symbole de la volonté d’un peuple totalement confiant en son avenir», a ajouté celui qui aura gouverné la Mauritanie de 1961 à 1978.

Ce nouveau tournant est intervenu quatre ans après l’indépendance du Maroc vis-à-vis de la France, en 1956. En l’espèce, Rabat a considéré l’annonce par Mokhtar Ould Daddah de la création d’un nouvel Etat dans le pays de Chinguetti comme une conspiration de l’administration coloniale française, qui a amputé des parties importantes du territoire marocain.

Alors que la France s’est mobilisée pour fédérer des soutiens autour de la reconnaissance de la Mauritanie, le Maroc a intensifié sa dynamique diplomatique au niveau régional puis mondial. Par conséquent, l’Etat naissant est resté dans une forme d’isolement par rapport à son environnement arabe, d’autant que tous les Etats de la région, excepté la Tunisie, ont soutenu le royaume dans sa position.

L’Union soviétique contrecarre les manœuvres de la France

L’année 1960 a été décisive pour le Maroc et la Mauritanie. Rabat a mené une bataille diplomatique acharnée au sein des Nations unies, afin de contrer les manœuvres de la France qui a mobilisé tous ses moyens pour que la Mauritanie obtienne un siège à l’ONU. Le 3 décembre de cette année-là, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) a opposé son veto à la proposition formulée par Paris, faisant ainsi échouer la reconnaissance internationale de la Mauritanie comme Etat indépendant.

Dans le contexte global de la guerre froide, en ce début de la deuxième moitié du XXe siècle, la position de l’URSS traduit des calculs géopolitiques entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, plutôt qu’une conviction du bien-fondé des revendications marocaines. D’ailleurs, le veto soviétique s’est opposé à la proposition française, après que les pays du bloc occidental ont refusé l’adhésion de l’Etat communiste de Mongolie à l’ONU, à rebours du soutien de Moscou.

Au même titre que la France au sein du bloc de l’Ouest, les Etats-Unis n’ont pas été du côté du Maroc. Datant du 27 février 1961, un mémorandum officiel déclassifié documente la vision de Washington sur ce différend. Adressé par le secrétaire exécutif du département d’Etat américain Walter J. Stoessel Jr. à l’assistant spécial du président John F. Kennedy (1961 - 1963), Ralph Anthony Dungan, cet écrit mentionne «des désaccords», voire des «divergences» avec le Maroc au sujet de la Mauritanie.

«Le Maroc insiste sur le fait que le gouvernement mauritanien est un régime fantoche, créé et soutenu par la France pour empêcher la restitution des terres qui lui appartiennent», lit-on dans le mémorandum. Bien que le royaume ait tenu à «obtenir le soutien américain, en tant que grande puissance», cette option a été rejetée par Washington, «en reconnaissant l’indépendance de la Mauritanie et en affichant [la] volonté de voter en faveur de l’intégration de la Mauritanie à l’ONU», a souligné la même source.

En effet, les Etats-Unis ont considéré que «les revendications politiques du Maroc ne reposaient pas sur des preuves concluantes, mais qu’il existait des liens culturels, ethniques et religieux entre les deux pays». Pour sa part, «le Maroc fonde ses revendications sur des liens historiques (aussi faibles soient-ils) remontant aux premiers jours de l’Islam en Afrique du Nord, et sur une allégeance traditionnelle faite aux sultans du Maroc», ajoute le document.

«Ce qui a rendu la position américaine particulièrement inconfortable, c’est l’adhésion explicite et ferme du roi Mohammed V lui-même à la revendication marocaine. De plus, cette dernière bénéficie du soutien manifeste de toutes les tendances politiques au Maroc. Il sera désormais presque impossible pour le roi ou toute autre partie au Maroc de faire un pas en arrière.»

Le document fait savoir également que les Etats-Unis auraient espéré qu’il y ait «suffisamment d’opposition» vis-à-vis du Maroc sur cette question «de la part d’autres pays d’Afrique, afin de détourner le mécontentement du Maroc» à l’égard de Washington. «Cela semblait en effet être le cas, au moment où nous avons reconnu l’indépendance de la Mauritanie. Mais depuis, la situation est devenue considérablement ambiguë», souligne le mémorandum.

Alors que de nombreux pays ont reconnu l’indépendance de la Mauritanie, puis ont voté favorablement son admission aux Nations unies, le Maroc a réussi «d’habiles négociations avec d’autres pays dont les politiques avaient besoin de soutien, pour aligner derrière lui un groupe» résolument convaincu de la position de Rabat. Les pays d’Asie, d’Afrique et les membres de la Ligue des Etats arabes, à l’exception de la Tunisie, ont apporté leur soutien au royaume. Selon le document, «des indicateurs» ont montré que la Tunisie adoptait «une position plus prudente», qui l’a finalement amenée à soutenir la position marocaine et ne reconnaissant pas la Mauritanie.

Les Etats-Unis et le veto soviétique

Le document officiel américain indique que l’Union soviétique se serait alignée sur la position du Maroc, «pour des raisons obscures». «L’URSS a soutenu la position marocaine en utilisant son droit de veto contre la demande d’adhésion de la Mauritanie aux Nations unies, car elle a vu ce différend comme une opportunité pour exacerber les tensions dans les relations américano-marocaines et faire pression sur nos bases», souligne encore le mémorandum, en référence aux installations militaires des Etats-Unis mises en place à ce moment-là dans le royaume.

«Les Soviétiques n’ont pas pris de position sans équivoque au sujet du différend entre le Maroc et la Mauritanie, mais ont plutôt cherché à lier l’adhésion de la Mauritanie à la reconnaissance de la Mongolie. Cependant, le gouvernement marocain et la presse marocaine ont ignoré cette subtilité, donnant aux Soviétiques tout le mérite d’avoir empêché l’admission de la Mauritanie à l’ONU», a ajouté la même source.

Après leur reconnaissance de l’indépendance de la Mauritanie et leur vote pour son admission aux Nations unies, les Etats-Unis ont envoyé une délégation présidentielle, qui a pris part aux festivités de l’indépendance à Nouakchott. La plupart des pays d’Europe occidentale et d’Amérique latine, la majorité des pays asiatiques non arabes et tous les pays d’Afrique centrale ont reconnu la Mauritanie.

Le document explique que les Etats-Unis ont été «confrontés à un dilemme dans lequel ils ne peuvent éviter complètement de contrarier une partie ou une autre». Cependant, il a été «possible de limiter les dommages» susceptibles d’être causés à Washington à travers le Maroc, lequel «bénéficie d’une situation stratégique» où le pays de l’Oncle Sam possède «un investissement militaire particulièrement important». A cet effet, la partie américaine a prôné d’éviter «en premier lieu» toute initiative sur ce qui est considéré comme étant une «question africaine». «Si nous devons exprimer notre point de vue là-dessus, nous devrons essayer de souligner l’intérêt des deux parties à portent une relation d’amitié», a ajouté le mémorandum.

L’URSS change de position

Un an après le veto soviétique, le 27 octobre 1961 exactement, l’URSS a changé de position, puisque le bloc occidental a accepté de reconnaître la Mongolie. Avec la Mauritanie, les deux pays ont ainsi été reconnus à cette date. 68 Etats membres de l’ONU ont voté en faveur de l’adhésion de la Mauritanie à l’organisation internationale, tandis que 19 pays (17 Etats arabes, en plus de Cuba et de la Guinée) s’y sont opposés. 20 pays se sont abstenus lors du vote.

Après l’adhésion de la Mauritanie aux Nations unies, la position marocaine s’est affaiblie. De nombreux pays qui l’ont soutenue initialement ont fini par reconnaître le nouvel Etat, ce qui a incité les décideurs du royaume à revoir également leur position.

Dans ses mémoires intitulées «La Mauritanie sur la voie des défis», Mokhtar Ould Daddah raconte avoir rencontré «pour la première fois et directement un ministre marocain à Berlin» en octobre 1967, «lors d’une visite de travail effectuée auprès du gouvernement de la république fédérale d’Allemagne». «Il s’agissait de M. Moulay Ahmed Alaoui, le cousin du roi [Hassan II] et l’un de ses proches collaborateurs», a-t-il écrit.

Ould Daddah ajoute que l’année 1969 a été celle de «la normalisation des relations maroco-mauritaniennes». «Lors du septième sommet de l’Organisation de l’union africaine, tenu à Addis-Abeba début septembre, j’ai reçu à sa demande M. Ahmed Tayeb Benhima, ministre marocain des Affaires étrangères. Il s’est adressé à moi en disant être venu ‘en qualité d’envoyé de Sa Majesté le Roi, Hassan II pour assurer de son intention de [me] convoquer au Sommet islamique de Rabat’», a-t-il encore souligné.

Lors de cet entretien, l’envoyé du roi a indiqué que e souverain espérait «du fond du cœur» la présence de la Mauritanie à ce rendez-vous régional, ce qui permettrait de «mettre un terme au différend momentané existant entre [les] deux pays frères». «Ma réponse a été que si je recevais du roi une invitation semblable à celle adressée aux chefs des pays invités, j’y répondrai par l’affirmative et avec plaisir», a-t-il écrit.

Le premier président de la Mauritanie ajoute avoir atterri à l’aéroport de Rabat, le 22 septembre 1969. Il écrit : «Lorsque j’ai vu le roi Hassan II et le comité d’accueil au bout des marches de l’avion de notre délégation, notre drapeau à côté de celui du Maroc parmi les quarante des pays islamiques invités, puis lorsque j’ai entendu notre hymne national chanté par la chorale marocaine alors que je défilais avec le souverain et une unité des Forces armées royales, j’ai été envahi par un sentiment de soulagement et de fierté.»

En marge du sommet, le Maroc et la Mauritanie ont normalisé leurs relations bilatérales. Hassan II a nommé Kacem Zhiri comme ambassadeur à Nouakchott, tandis qu’Ahmed Ould Jeddou a été nommé ambassadeur à Rabat. Le 8 juin 1970, Hassan II et Mokhtar Ould Daddah ont signé un accord de coopération et de bon voisinage, actant ainsi la fin du différend entre les deux pays.

En 1973, la Mauritanie est devenue membre de la Ligue des Etats arabes, ce qui a amené le premier président mauritanien à écrire dans ses mémoires que la Mauritanie «n’est devenue véritablement indépendante» que cette année-là.

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