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Ramadan dans l’Histoire #6 : Quand le sectarisme multipliait les mihrabs lors des Tarawih

Pendant plus de huit siècles et en raison de l’attachement fanatique et sectaire de quelques adeptes des différents courants de l’islam, les prières de Tarawih ont eu lieu derrière plusieurs imams en même temps, chacun suivant un rassemblement distinct. Que ce soit à la Grande mosquée de La Mecque, celle du prophète, la mosquée d’Al-Aqsa à Al-Qods et ailleurs, la situation est restée ainsi de 1104 jusqu’en 1923.

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Photo d'illustration / DR.
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Malgré l’unanimité quatre écoles sunnites (hanafisme, hanbalisme, malikisme, chafiisme) sur la prière de Tarawih comme faisant partie intégrante de la sunna, le fanatisme sectaire a longtemps poussé les adeptes de chaque courant à accomplir une prière distincte, au sein du même espace de culte. La Grande mosquée de La Mecque n’a pas échappé à cette tendance, donnant lieu à des points de rassemblement épars en son sein, le moment des Tarawih.

Dans son livre «Le chef-d’œuvre sur les contrées étranges et des voyages merveilleux», le grand voyageur tangérois Ibn Battuta (1304 – 1368) a mentionné la multiplicité des imams dans la mosquée sainte.

«Lorsque le croissant lunaire apparaissait, les tambours battaient chez l’émir de La Mecque et des célébrations se tiennent dans la Grande mosquée. On renouvelle les nattes, on éclaire abondamment l’espace avec des torches et des bougies, jusqu’à ce qu’il brille et rayonne de mille lumières. Les imams se dispersent en groupes, entre hanafites, hanbalites, chafiites et zaydites. Quant aux malikites, ils se rassemblent autour de quatre récitants, qui lisent le coran à tour de rôle et allument des bougies. Aucun recoin ne reste libre de récitants et de fidèles priant en groupe. Le lieu vibre pour les voix des récitants.»

Ibn Battuta

L’historien et qadi ‘Abd al-Rahman ibn Muhammad al-‘Ulaymi, dit Mujir al-Din ‎(1456 – 1522) et connu aussi sous le nom d’Ibn Qutaïna à Al-Qods, a décrit aussi sur cet usage lors des Tarawih, dans son livre «L’histoire glorieuse d’Al-Qods et Al-Khalil». «L’imam chafiite prie dans la station d’Abraham (maqâm Ibrahim) face au portail de la Kaaba. L’imam hanafite prend place devant la pierre d’Ismaël en direction du mīzāb de la Kaaba, puis l’imam malikite se met entre les deux coins de l’ouest al Rukne el Shami et au sud al Rukne el Yamani. Enfin, l’imam hanbalite se place devant la pierre noire», a-t-il écrit.

Une coutume répandue depuis La Mecque à tout le Moyen-Orient

Selon les historiens ayant documenté cet usage, celui-ci a commencé à être pratiqué au moins depuis l’an 497 AH/1104 AD. A partir de la Grande mosquée de La Mecque, il s’est ensuite transmis au reste des mosquées en Egypte et dans tout l’Orient. Dans ce sens, l’érudit islamique Nur al-Din Ali ibn Abd Allah ibn Ahmad al-Hasani al-Samhudi (1466 – 1533) a consacré un livre en cinq volumes à tout ce qui se rapporte à Médine. Intitulé «Wafa al-Wafa bi akhbar Dar al-Mustafa», l’ouvrage souligne que cette coutume «s’est diffusée depuis La Mecque à Al Madinah Al Munawwarah» par le fait qu’à l’époque, «l’imam a innové cette option face au refus des fidèles de prier en groupe homogène derrière l’homme qui leur a été désigné à cet effet». C’est alors qu’«il a établi qu’il était permis aux gens de désigner leurs imams par eux-mêmes».

Cette pratique s’est développée également à la mosquée d’Al-Aqsa, à Al-Qods, comme décrit par le théologien, philosophe et juriste andalou Ibn ‘Arabī (1165 – 1240) dans son livre «Al-Jami’ li ahkam al-Qur’an». «J’ai vu près de Bab al-Asbat (Porte des Lions) un imam parmi vingt-huit autres. Pendant le ramadan, il priait Tarawih avec les Turcs. A chaque prosternation (rak’âh), il faisait des louanges à dieu jusqu’à la fin de la prière, avec le souci d’alléger les fidèles, tout leur permettant de profiter de ses vertus», a-t-il écrit.

Le qadi Abou Al-Baqaa Al-Balawi a lui aussi mentionné une description de la prière de Tarawih dans ce lieu saint, dans son ouvrage «La mosquée Al-Aqsa, la plus grande des mosquées du monde». «Pour avoir énuméré les lieux d’intercession et les prières de Tarawih durant le mois béni du ramadan, j’ai trouvé une quarantaine», a-t-il écrit.

La difficulté de mettre fin à la division

Dans certaines mosquées, des autorités ont dû intervenir pour contenir le chaos pendant les prières de Tarawih. Dans ses écrits, Shams al-Din Muhammad bin Ali bin Ahmed bin Tulun al-Salhi (1475 – 1546), rappelle le cas des autorités de Damas, qui ont «ordonné à l’imam hanafite de la mosquée des Omeyyades, Amir al-Din Ibn Aoun, de prier dans la ‘maqsura’ pour une nuit, puis au cheikh chafiite Taqi al-Din al-Qari pour une nuit», afin de permettre à tous de bénéficier du même espace, de manière équitable. Comme le mihrab a été accordé ainsi aux hanafites de manière occasionnelle, «les plus fanatiques parmi les chafiites se sont retirés du lieu», écrit-il encore.

Dans son ouvrage «Le commencement et la fin», l’imam et historien Ibn Kathir (1301 – 1373) a mentionné que dans la mosquée des Omeyyades à Damas, il existait plusieurs mihrabs pour les quatre écoles de pensée sunnite. Mais à l’époque de l’auteur, les autorités sont intervenues pour «unir les fidèles dans les prières de Tarawih». Par conséquent, «les gens se sont rassemblés sur un récitant, qui s’est avéré être le grand imam du minbar».

Malgré ces tentatives de réunification, le temps d’une prière qui fait partie intégrante des rituels du mois de ramadan, la situation n’a pas considérablement changé dans de nombreuses mosquées, y compris la Grande mosquée de La Mecque et celle la mosquée du prophète. Les choses sont restées ainsi, jusqu’à ce que la famille Al-Saoud prenne le contrôle du Hijaz en 1923. Les nouveaux dirigeants ont alors ordonné l’unification de la prière de groupe à la Grande mosquée, derrière un seul imam.

Ce n’est qu’après la prise de ces mesures drastiques que le rituel d’occupation des quatre sanctuaires et la multiplicité des imams pendant la prière des Tarawih a été aboli à partir de La Mecque. Après la division, cette réunification s’est répandue encore fois à l’ensemble des mosquées de la région et du monde musulman.

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