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Grand Angle

Diaspo #271 : Ilhame Guechati, aviatrice sur les pas de Saint-Exupéry grâce à l’énergie propre

Aviatrice et présidente de l’Elektropostal Afrique, Ilhame Guechati est née et a grandi en France avec le rêve de refaire les routes de l’aéropostale, fascinée par les récits d’Antoine de Saint-Exupéry depuis ses 12 ans. Aujourd’hui, elle mène ce projet tout en aspirant à le réaliser avec zéro émission de gaz à effet de serre, en contribuant au développement d’un prototype d’avion électrique à cet effet.

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Ilhame Guechati, aviatrice et présidente d'Elektropostal Afrique
Temps de lecture: 5'

Née en région parisienne, Ilhame Guechati a grandi à Bondy, au sein de ses parents marocains originaires de l’Oriental, tout en étant fascinée par l’aviation. A l’âge de huit ans, elle est marquée par une visite à l’aéroport du Bourget et s’intéresse de plus en plus au domaine. Durant la même période, à 12 ans précisément, l’aviatrice découvre les récits d’Antoine de Saint-Exupéry. Réalisant son rêve d’enfant, elle revient en 2020 au Bourget en tant qu’instructrice polyvalente. Mais avant cela, l’élève studieuse, souvent première de sa classe, trace son chemin au sein de l’armée française.

Après un baccalauréat scientifique, Ilhame intègre en effet le service volontaire, après de brillantes études à Sciences-Po. «Lorsque j’étais petite, on voyageait surtout en voiture, de Paris à Oujda en passant par Almeria ou Malagá, où on prenait le bateau. J’ai ouvert les yeux sur l’aviation grâce au Musée de l’air et de l’espace, lors d’une visite», se souvient-elle. Pour l’anecdote, Ilhame Guechati a longtemps cru que l’aviation était un secteur majoritairement féminin.

«Il y avait beaucoup de femmes pilotes, lors de cette visite. Je pensais donc que c’était un métier de femmes, militaires et civiles, puis le coup de foudre a eu lieu et j’ai fait comme une fixette, au point de commencer à dessiner des avions et des aéronefs dans ma chambre d’enfant !»

Ilhame Guechati

Des exemples féminins au sein de l’aviation

Ilhame Guechati est marquée particulièrement par Jacqueline Auriol, première femme à franchir le mur du son en Europe et deuxième femme pilote d’essai en France, après Adrienne Bolland. A l’âge de 16 ans, la jeune franco-marocaine effectue son premier vol. «A ce moment-là, j’ai ressenti beaucoup de gratitude. Je voulais concrétiser ce qui était pour moi plus qu’un rêve. Je voulais vraiment en faire un métier, une vocation, au point de vouloir utiliser mes compétences au service de la nation», nous confie-t-elle.

C’est à ce moment-là que la lycéenne songe de plus en plus à une carrière militaire, tout en se servant de son passage à Sciences-Po pour comprendre les enjeux géopolitiques et géostratégiques majeurs. Engagée volontaire opératrice navigatrice dans un premier temps, elle passe les sélections EOPAN, élève officier pilote de l’aéronautique naval avec le desiderata «chasse» et intègre l’Escadrille 50S en 2011.

Ilhame Guechati est envoyée en théâtre extérieur, notamment lors de la mission Harmattan, en Libye. «Mon pacha qu’on appelait affectueusement ‘tit biscuit’ et qui avait le commandement de la flottille m’a envoyée pour passer les sélections EOPAN», se souvient-elle. Admise en septembre 2011, dans un milieu peu féminin, elle se rappelle avoir été traitée «bizarrement» parfois par ses homologues. «A l’époque, le pacha de l’Escadrille qui se trouve être un amoureux du Maroc et qui m’a remis deux médailles, m’a dit que j’allais retrouver cette ambiance jusqu’au bout, et que cela fera partie de mon éducation de femme du monde, d’officier et de pilote. Il m’a dit de m’en servir pour m’améliorer et ne pas perdre mon objectif. La route est longue, juchée d’embûches. J’étais parfaitement consciente que j’allais échouer et réussir», nous raconte-t-elle.

En 2013, elle réussit les tests pour devenir pilote d’hélicoptère dans l’armée de terre, qui est un domaine d’élite et dont l’examen est très difficile, puisque les pilotes ALAT sont amenés à intervenir partout. Pilote d’hélicoptère dans l’armée de terre, elle réussit au début tous les examens pour devenir officier pilote à Saint-Cyr. Elle est ensuite majore de promotion au combat et responsable du bureau communication et relations publiques à l’Etat-major.

Particulièrement encouragée par quelques personnes de son entourage éducatif direct, Ilhame Guechati ne retrouve cependant pas cette même motivation au sein de son cercle élargi. «Je ne savais pas où je mettais les pieds, aucun des membre de ma famille n’a été militaire, beaucoup de personnes me disaient d’opter pour un plan B», se souvient-elle.

«C’est à l’armée que j’ai rencontré quelques personnes qui ont beaucoup cru en moi, et qui me poussaient à être meilleure. Il n’y avait certes pas beaucoup de diversité, mais nous avons gardé un lien fort en tant que personnes issues de l’immigration mais voulant servir fièrement le drapeau tricolore.»

Un plafond de verre à briser dans différents domaines

Ilhame Guechati opte cependant pour un retrait de l’armée, afin de continuer à explorer d’autres horizons dans son domaine. Brisant le plafond de verre, l’aviatrice n’hésite pas à imposer le respect, lorsqu’il le faut, en réponse aux remarques dénigrantes ou sexistes auxquelles elle pourrait faire face, en raison de ses origines ou de sa condition de femme.

«A chaque fois que je rencontre des personnes qui, au sein de ma fonction, me traitent comme si je n’étais pas française ou comme une personne qui ne méritait pas sa place ou qui aurait pris la place de quelqu’un d’autre, je n’hésite pas à les recadrer», nous confie-t-elle.

«Le sujet est de ne pas perdre notre objectif commun de la ligne de mire et pour lequel on est là pour travailler ensemble, évoluer ensemble et se respecter les uns les autres. Demain, on aura besoin du voisin, de la petite qui rêvait de devenir pilote, de la jeune aviatrice de 22 ans qui a essuyé des propos sexistes… On aura toujours besoin de toutes les mains et de toutes les épaules.»

Ilhame Guechati

De cette expérience, Ilhame Guechati retient surtout le grand esprit de cohésion qui est enseigné perpétuellement et qu’on retrouve à bord du porte-avions Charles de Gaulle où au sol, mais aussi en vol. «C’est tatoué dans votre cœur et dans votre tête. Ce sont des souvenirs qu’on se remémore pour toujours et qui permettent de faire un bond, dans le dépassement de soi», nous confie-t-elle.

Médaillée à plusieurs reprises notamment de l’OTAN et de la Croix du Combattant, titulaire du Titre de Reconnaissance de la Nation, elle se souvient toujours de ce qu’elle a été avant et après son passage à l’Armée. «Il n’y a finalement pas de compétition ou de concurrence, le réel ennemi est soi-même. En fin de compte, que l’on soit civil ou militaire, il ne faut pas oublier son camarade, sa mission et ce pourquoi on se réveille chaque matin», souligne-t-elle.

Sur les traces de Saint-Exupéry grâce aux énergies propres

Après avoir quitté l’armée, Ilhame Guechati travaille pour le nouveau projet de formation différenciée des Pilotes de chasse (FOMEDEC). «J’ai pris beaucoup de plaisir à planifier ce projet lors d’une mission qui était très riches en apprentissage et en développement. De la construction de bâtiments, mise en place des simulateurs, essais et accueils des avions Pilatus PC21 ; tout y était. C’était un challenge fabuleux», se rappelle-t-elle de son expérience de responsable de planification sur la base aérienne de Cognac.

Elle travaille ensuite sous contrat d’une année au sein de l’Ecole nationale de l’aviation civile en tant que tutrice chargée de projet. Elle a formé notamment les cadets d’Air France, de Royal air Maroc (RAM) et de la South Africa Civil Aviation. Elle poursuit au Bourget, au sein du Falcon Training Center de Dassault et Flight Safety International en tant qu’instructrice pilote Dassault Falcon 7X/8X. «Une expérience que je chérie de tout mon cœur», nous confie-t-elle. Aujourd’hui elle est pilote américaine de jets privés Dassault Falcon et Gulfstream.

Ilhame Guechati mène désormais des vols diplomatiques, médicaux et VIP. En parallèle, en 2020, elle met en place avec une équipe de passionnés le défi Elekropostal. L’objectif est de «cultiver la mémoire de l’aéronautique en revivant les itinéraires de Latécoère et de Saint-Exupéry», à bord des aéronefs Velis Electro Pipistrel.

«En 1919, le Maroc a accepté d’accueillir sur ses terres des avions européens et a marqué ainsi l’Histoire de l’aviation en créant la première ligne aérienne transcontinentale au monde. 100 ans après, Elektropostal a pour objectif de revivre cette traversée à bord de ses avions 100% à énergie propre afin d’inaugurer la première ligne aérienne transcontinentale Green.»

Ilhame Guechati

Reconstituant ces lignes, l’objectif pour Ilhame Guechati est ainsi de «promouvoir les énergies alternatives sans une goutte de kérosène». En phase d’essais en Europe, l’Elekropostal ambitionne d’effectuer son premier vol intercontinental avec l’Afrique au cours de l’année 2023. Entre deux vols et essais, l’aviatrice se passionne aussi pour le sport, particulièrement le marathon et le semi-marathon, depuis l’âge de 15 ans.

Cette discipline lui apprend continuellement «patience et agilité pour se dépasser, tout en restant structuré et en gardant sa lucidité». «L’équilibre aussi se trouve au sein de la famille et des amis proches qui sont l’un des piliers de l’équilibre et du bien être. C’est ce qui me forge le corps et l’esprit. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre humblement», affirme-t-elle.

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