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Grand Angle

Maroc : Les Amazighs n’ont pas la place qu’ils méritent dans les manuels scolaires

Pour établir une évaluation critique du contenu ethnique dans les manuels scolaires produits au Maroc, l’enseignant-chercheur Khalid Said a examiné 33 manuels d'EFL (English as a Foreign Language) et leur représentation des Amazighs. Son étude fait état, entre autres, de «l'objectivation des acteurs sociaux amazighs à travers la fixation de leur mode de vie».

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Photo d'illustration. / AFP
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Avant la Constitution de 2011, consacrant le caractère officiel de la langue amazighe, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception, la place de la culture amazighe a été pendant longtemps au cœur des débats sociétaux. Depuis l’indépendance du royaume, les militants amazighs n’ont cessé de revendiquer un accès équitable aux droits linguistiques et à l'éducation, un droit commun à la protection des coutumes amazighes de «l'érosion et de la disparition» et une adhésion ferme à leurs «exigences ethnoculturelles dans le cadre d'une transformation démocratique plus large de la société et de l'État».

Les différentes phases de cette évolution de la place de l’Amazighe au sein de la société a trouvé chemin vers certains manuels scolaires. Alors que le traitement réservé à cette composante de la société marocaine a évolué dans certains, d’autres ne donnent toujours pas aux Amazighs la place qu’ils méritent au sein de la société marocaine.

Des «catégories socio-sémantiques spécifiques» pour représenter les Amazighs

Dans une étude publiée en ce mois de décembre dans la revue Cogent Arts & Humanities, l'enseignant-chercheur au département d'anglais à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, Khalid Said s’est intéressé à la question. Il a ainsi examiné 33 manuels d'EFL (English as a Foreign Language) élaborés, approuvés et distribués par le ministère de l'Éducation nationale au cours des trois dernières décennies.

Le chercheur établit ainsi une évaluation critique du contenu ethnique dans ces manuels officiellement produits au Maroc, en s’intéressant à la représentation des Amazighs. Pour lui, «la critique des manuels EFL marocains est aussi une critique de l'idéologie normative de l'État envers les Amazighs», l’étude visant à «contribuer à ce domaine de recherche en plein essor en explorant comment les manuels de langues officielles pourraient devenir des outils idéologiques robustes pour la diffusion des valeurs officielles imposées par les appareils hégémoniques de l'État».

Dans ses résultats, l’étude démontre ainsi que les Amazighs n'ont pas été «autant inclus que mentionnés». «La mention peut être considérée comme le niveau le plus bas d'intégration du contenu ethnique dans les manuels scolaires», précise Khalid Said. L'analyse a également révélé la «centralité de catégories socio-sémantiques spécifiques pour la représentation des Amazighs».

«Ces catégories ont contribué à révéler à quel point les Amazighs ont été catégorisés, générisés et collectivisés, ce qui a finalement conduit à l'éloignement des Amazighs et à la suppression de leur individualité.»

Extrait de l’étude

Valoriser le contenu ethnique dans les manuels scolaires

Le chercheur ajoute que «l'association et la dissociation ont également sapé la manière dont les Amazighs ont été inclus dans une alliance "temporaire" avec d'autres groupes sociaux». Une alliance «fragile qui, très vite, cède la place à la dissociation». A cela s’ajoute la «fonctionnalisation» et «l'identification» qui, dans l'ensemble, ont révélé des «schémas de représentation intrigants qui ont eu tendance à limiter les Amazighs dans des activités sociales spécifiques qui les définissent en termes de ce qu'ils font ou en termes de qui ils, de façon permanente ou inévitable».

Enfin, «se référer aux Amazighs en termes d'impersonnalisation, comme la spatialisation et l'abstraction, conduit à l'objectivation des acteurs sociaux amazighs à travers la fixation de leur mode de vie». Le chercheur regrette ainsi que «les manuels examinés ne contiennent rien sur les contributions des Amazighs au Maroc moderne».

L’étude fournit plusieurs recommandations adressées au ministère de l’Education nationale et aux concepteurs des manuels scolaires. Ainsi, pour le premier, le chercheur estime que le département «doit jouer un rôle dynamique dans la valorisation du contenu ethnique dans les manuels scolaires». «Il doit également établir de nouvelles lignes directrices pour évaluer la qualité des manuels en termes d'équité ethnique» et «envisager l'amélioration du matériel didactique pour répondre aux besoins de la population marocaine diversifiée». Le chercheur considère aussi qu’il «incombe au ministère de proposer des programmes de formation pour les concepteurs de manuels, les superviseurs et les enseignants, en plus d'autres départements relevant du ministère de l'Éducation, par exemple la Direction des programmes».

Quant aux concepteurs de manuels scolaires marocains, ils doivent «reconnaître l'évolution du rôle des femmes marocaines et des Amazighs et leurs contributions à la société à différents niveaux (au-delà de la perspective économique et folklorique)». Ces concepteurs doivent aussi «être conscients de la recherche sur les représentations ethniques et de genre dans les manuels scolaires ainsi que la recherche sur les effets des préjugés sexistes et ethniques sur les apprenants et utiliser ces connaissances pour publier des manuels fournissant des images positives sur les femmes et les groupes ethniques».

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