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Grand Angle  

Diaspo #266 : Widad Brocos, musicienne de N3rdistan avec de l’or au bout des doigts

Première rappeuse au Maroc vers la fin des années 1990 et le début des années 2000, Widad Mjama, alias Brocos, est une dynamo de la formation N3rdistan, dont elle a été membre fondatrice. Vivant en France, elle prépare un nouveau concert du groupe au Maroc.

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Widad Mjama, dite Widad Brocos
Temps de lecture: 4'

Très tôt fascinée par la musique, Widad Mjama (alias Widad Brocos) estime avoir eu la chance d’avoir vécu une enfance où écouter la radio en famille était un rituel important, en voiture comme à la maison. Sur la Radio nationale, l’offre musicale variée lui a donné accès à la musique marocaine comme aux classiques du rock. «J’aimais autant l’aïta que le rap !», déclare-t-elle à Yabiladi. Ce samedi 3 décembre, elle est montée sur scène à Casablanca, avec le groupe N3rdistan dont elle est membre, dans le cadre de la première édition de Dérives casablancaises.

A Casablanca, dans le quartier Mers Sultan, Widad grandit jusqu’au baccalauréat, qu’elle décroche en section économique au lycée Al Khansaa, avant de suivre des études universitaires en France. «Aujourd’hui j’ai passé autant de temps au Maroc qu’en France», nous indique-t-elle. «J’ai baigné dans les classiques de Mohamed Fouiteh, Oum Kalthoum, Asmahan, puis Fayrouz. Avec l’arrivée des paraboles, j’ai découvert des musiques plus occidentales, du rap au metal. Tout cela a enrichi ma culture musicale, de manière inconsciente», nous dit-elle.

«Je n’ai jamais eu de formation académique dans la musique, mais j’ai fait de la danse et du théâtre au Conservatoire municipal de Casablanca. Pour l’anecdote, les cours de solfège n’étaient pas mes préférés. Lorsqu’on entendait des enfants en train de faire des répétitions vocales, on trouvait cela ennuyeux, car les notes se répétaient. J’ai évolué donc dans la musique en autodidacte.»

Widad Brocos

Le réel premier pas dans la musique est venu à travers le rap. Au lycée, elle fait la connaissance de Walid et Houcine, avec qui elle a formé un premier groupe de rap. Sans l’avoir réellement calculé, elle se trouve première chanteuse de rap au Maroc, au tout début de la démocratisation de la culture hip-hop dans le pays. Avec cette formation, elle remporte en 2001 la troisième édition du Boulevard des jeunes musiciens.

Une nouvelle découverte des sonorités africaines par la percussion

Un an plus tard, l’artiste prend son envol pour Paris, où elle suit ses études, d’abord en licence en sciences et gestion, puis un master en ingénierie de projets de politique publique à Montpellier. C’est là-bas qu’elle explore un nouveau pan de la musique, celle de l’Afrique de l’Ouest, avec ses percussions et chants ancestraux. «Tout de suite, quelque chose m’y a attirée comme un aimant et j’ai su que c’est ce que je voulais faire ; je me suis réconciliée avec mon africanité. Ayant grandi en Afrique du Nord, j’ai évolué dans un environnement où l’on a plus tendance à regarder vers l’Occident ou vers l’Orient, sans se tourner vers le sud», confie-t-elle.

Là-bas également, Widad retrouve son ancien camarade de lycée, Walid, qui joue de la musique sur ordinateur. Elle commence ainsi à avoir plus confiance en ses capacités musicales, sans forcément maîtriser un instrument. Dans son domaine de formation académique, Widad décroche son diplôme, puis revient au Maroc. De 2011 à 2013, elle travaille avec l’Agence allemande de coopération et de développement durable (GIZ), dans le cade de missions axées sur l’intégration du genre dans les politiques publiques marocaines. Elle revient en France et se recentre davantage sur la musique. «Il y a eu un basculement dans ma tête, et j’ai appris à innover petit à petit», indique-t-elle. Au sein de N3rdistan, formé en 2014, elle s’occupe désormais de la composition, avec Walid, en se penchant sur la musique assistée par ordinateur, en plus de faire du clavier et de la percussion.

Avec le recul des années, Widad trouve de la cohérence dans l’ensemble de son parcours où elle a su jongler entre études universitaires et création artistique. L’artiste nous le confie avec beaucoup de sincérité : «J’ai toujours fait de la musique, parallèlement à mes études ; mais j’ai fait le choix de ne faire que de la musique à partir du moment où j’ai compris que je ne pouvais pas échapper à cela : être sur scène est ce qui me passionne le plus. En capitalisant sur ce cumul, les choses se font désormais de façon naturelle. Je sens aujourd’hui que je suis à ma place.»

Vivant aujourd’hui de sa passion, Widad estime avoir eu la chance. «Au sein de N3rdistan, je pense que nous avons pris le bon cap, à partir de 2014», ajoute-t-elle. Concernant la présence des femmes sur la scène musicale, qui reste encore très masculine, l’artiste nous confie avoir été «rapidement vaccinée par rapport à cela, venant du rap, à un moment où il n’y avait pas beaucoup de filles dans ce style musical au Maroc, et aujourd’hui encore très peu de rappeuses».

«Dans la musique de machines, mais aussi dans ce qu’on peut appeler les instruments de musique conventionnelle, il n’y a pas tant de femmes, même en Occident», estime encore Widad.

«La scène reste globalement un espace très masculin ; beaucoup de techniciens et de metteurs en scène sont d’ailleurs des hommes aussi. A partir du moment où l’on sait pourquoi on fait ce métier et qu’on a la confiance des collègues, chacun arrête à un moment d’être une femme ou un homme, en s’effaçant et en étant d’abord artiste.»

Widad Brocos

Cesser de se définir par le genre pour être artiste à part entière

Pour autant, l’artiste considère aujourd’hui n’avoir «plus rien à prouver». Toujours est-il qu’à la tête des institutions culturelles, «le plafond de verre se ressent encore», selon elle. «On a peu de scènes, de théâtres ou de salles d’opéra dirigés par des femmes en France, encore moins des personnes issues de la diversité», constate Widad.

Parallèlement à N3rdistan, l’artiste travaille aujourd’hui sur un autre pan musical qui la passionne : l’aïta. «Je suis d’une famille d’agriculteurs de Casablanca, du côté de mon père, et de Khémisset, du côté de ma mère. J’ai donc baigné dans la tradition musicale rurale et je suis contente de me pencher sur ce répertoire artistique, porté par des femmes, qui ont été jugées parce qu’artistes, rejetées socialement et familialement», nous confie-t-elle.

Dans le cadre de ce projet intitulé «l’aïta mon amour», elle revisite ainsi les disques classiques avec une touche électro, pour «amener un peu de lumière sur une musique populaire qui reste très méconnue en France, comparé à d’autres styles comme gnaoua et le raï». Le 10 décembre 2022, cette fois-ci avec N3rdistan, Widad montera sur scène à Rabat, où le groupe aura le bonheur de renouer avec son public national, six ans après le dernier concert dans la ville.

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