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Grand Angle

Cinéma : Elias Suhail rend hommage aux mères seules entre le Maroc et le Royaume-Uni

Né à Gibraltar d’une mère marocaine avant de vivre au Royaume-Uni, le réalisateur Elias Suhail a lancé une campagne de financement via Internet pour finaliser le budget nécessaire à son prochain court-métrage. «Wedad» est inspiré de son vécu et montre les luttes d’une jeune mère, qui a décidé de s’éloigner de ses enfants pour leur construire un avenir meilleur.

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Elias Suhail
Temps de lecture: 4'

Depuis quelques jours, le réalisateur Elias Suhail a lancé une campagne de financement sur la plateforme de crowdfunding pour les projets créatifs Greenlit. L’idée est de finaliser le financement d’un projet personnel qui lui tient particulièrement à cœur, inspiré de faits réels. «Wedad» est le titre de son premier court-métrage, co-produit avec Arij Al-Soltan. Le cinéaste ambitionne de ne pas lésiner sur les moyens techniques, afin de créer la qualité des images à laquelle il aspire. «Il y aura un voyage dans le temps, dans ce film, de manière très expressive et cela nous demandera certains usages d’effets qui s’avèrent particulièrement coûteux. C’est surtout pour cette partie-là que j’ai lancé la campagne», a-t-il déclaré à Yabiladi.

L’histoire de «Wedad» est celle d’une jeune mère, «qui trouve sa situation intenable et qui décide alors de laisser ses enfants derrière elle, de se détacher des liens familiaux et d’acquérir une certaine autonomie dans la construction de l’avenir qui lui est propre, bien différent de celui qu’on lui a choisi», nous déclare Elias Suhail. Cette histoire est vaguement inspirée de l’expérience de sa mère, avec une trame qui n’est pas conçue comme un récit précis et singulier de son parcours.

Une auto-fiction pour transcender les vécus

Le réalisateur nous confie que «dans les faits réels, [sa] mère a été mariée à l’âge de 13 ans et elle a quitté l’école». «A 15 ans, elle a déjà deux enfants, puis elle divorce, pour se retrouver à 16 ans de retour à la modeste maison de son enfance, avec ses parents à M’diq», se souvient-t-il. «Elle décide réellement de quitter le cocon familial, y compris ses enfants, en faisant passer son départ pour une visite à des proches à Tanger. Mais entre temps, elle a vendu ses bijoux en or pour faire son passeport et en arrivant à la ville septentrionale, elle prend en fait l’avion au départ de Gibraltar, pour ne plus jamais revenir», raconte encore l’artiste. Pour lui, l’écriture et la réalisation de ce court-métrage deviennent une tentative de reconstituer des événements, dans une démarche qui ne part pas des regards extérieurs mais des souffrances personnelles d’une jeune mère, que le désarroi pousse à quitter des êtres chers, malgré le dénigrement auquel elle s’exposerait en laissant ses enfants derrière elle.

«Mes proches, qui ont demandé après elle, ont su qu’elle n’avait pas disparu, mais qu’elle avait bien laissé ses petits avec la famille élargie afin de se reconstruire, de devenir autonome et de retrouver ses enfants», indique le réalisateur, né d’un deuxième mariage de sa maman, après son installation à Gibraltar.

«Je voulais réimaginer la préparation de ce moment de départ dans une tentative de déterrer les émotions complexes que ma mère a dû ressentir. C’est une façon d’expliquer des récits qui ont souvent été transmis de bouche-à-oreille et de manière embellie, à travers les générations. C’est d’abord une histoire de frontières de la subjectivité et de l’ambivalence.»

Elias Suhail, réalisateur

Les mères seules vues du Maroc et du Royaume-Uni

Dans le film, la jeune maman «trouve la maternité difficile à concilier avec sa propre vision d’elle-même et de son avenir». L’opus devient ainsi «un moyen d’explorer les thèmes des contraintes et des luttes traditionnelles liées au genre, à la maternité, au tabou du regret parental». C’est un parcours qui «transcende les cultures et les pays», selon Elias Suhail, qui est témoin également de la situation difficile des mères seules au Royaume-Uni. «J’ai trouvé que certaines réalités se combinaient et cela nous dit qu’en dehors même de mes deux pays, cette histoire est universelle et les luttes des jeunes mères existent encore, abstraction faite de la situation de développement dans un pays ou dans un autre. Nous l’avons d’ailleurs vu récemment, avec le recul sur la loi sur l’avortement aux Etats-Unis», souligne le réalisateur.

«Dès lors, l’écriture d’un tel film s’avère difficile car il raconte l’histoire d’une décision déjà difficile, à savoir celle de se détacher de ses enfants ; on voit souvent ces situations de l’angle du devoir parental, mais on s’interroge moins sur comment les jeunes mamans qui prennent cette responsabilité le vivent», ajoute le réalisateur. Pour lui, «il y a une stigmatisation rattachée aux mères, qu’elles soient célibataires ou divorcées et qui va au-delà des appartenances».

Le vécu de sa mère l’a beaucoup renseigné, à ce propos. «Ma mère est venue au Royaume-Uni après son union avec mon père, qu’elle a aimé après l’avoir rencontré à Gibraltar. Elle rêvait d’un avenir meilleur pour elle et pour ses enfants, après avoir pensé que sa vie difficile avait pris fin avec son départ du Maroc», nous confie Elias.

«Mais même ici, elle a fini par divorcer de cet homme et elle s’est trouvée en grande difficulté, étant mère seule avec trois enfants cette fois-ci, loin de sa famille et dans un pays dont elle ne connaissait pas grand-chose. Autant dire qu’en quittant le Maroc, elle pensait avoir pris son destin en main, mais elle a vécu la désillusion.»

Dire l’empathie qui doit transcender les sociétés

Elias Suhail souhaite donner de la visibilité à son opus au Maroc, grâce au soutien d’une co-production basée à Casablanca. «La société Mont Fleuri a aimablement accepté d’appuyer financièrement ce projet, qui bénéficie d’ores et déjà d’un grand appui grâce aux professionnels du secteur et des membres de la communauté marocaine au Royaume-Uni, à commencer par Souad Talsi, fondatrice de l’association et du centre culturel Al-Hassaniya à Londres», explique-t-il.

Le film sera d’ailleurs tourné en langue arabe, pour toucher tous les publics de toute la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, en étant accessible à un public plus large grâce au sous-titrage en anglais. «Plus qu’un cadeau pour ma mère, ce film est une démarche personnelle pour me reconnecter avec mon pays d’origine dont je suis fier, avec ma communauté marocaine dont je fais partie et avec mes descendants que je n’oublie pas», nous déclare l’artiste.

«Après tant de peine et d’années de vie difficile, j’ai souhaité faire ce cadeau à ma mère : un film dont le récit de vie dépasse les frontières comme elle a rêvé de le faire, et qui nous renseigne sur les situations humaines qui n’ont pas besoin d’un langage spécifique pour être comprises», confie Elias Suhail, pour qui «c’est là tout l’exercice d’empathie nécessaire» auquel il appelle.

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