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Grand Angle

Mohamed Bassiri, unioniste marocain ou séparatiste initiateur du Polisario ?

Le 18 juin de chaque année, des conférences sont organisées au Maroc et dans les camps de Tindouf pour demander au gouvernement espagnol de révéler le sort du résistant Mohamed Sayed Ibrahim Basir, disparu après son arrestation par les forces espagnoles à Laâyoune en 1970. Pour le Maroc, il s’agit d’un résistant unioniste, alors que le Polisario l’érige au rang de chef spirituel du mouvement.

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Mohamed Bassiri / DR.
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Le 18 juin de chaque année, le Maroc et le Polisario commémorent la disparition du résistant Mohamed Sayed Ibrahim Basir, dit «Bassiri». Ses traces ont été perdues depuis son arrestation par les forces espagnoles, le 17 juin 1970, dans le contexte du soulèvement de Laâyoune contre la présence coloniale.

Bassiri, d’origine sahraouie, est né en 1942 dans la Zaouia Bassiria à Beni Ayat (province d’Azilal et dont la fondation remonte à son père). Il y a étudié jusqu’à ce qu’il maîtrise le Coran, puis il a intégré l’école primaire Takadoum à Rabat. Il a poursuivi son enseignement à Marrakech, jusqu’à l’obtention de son baccalauréat. Le jeune homme émigre en Égypte et étudie à Al-Azhar, où il est influencé par Gamal Abdel Nasser. Il se rend en Syrie et au Liban, fortement inspiré par la presse, alors à son apogée dans les deux pays.

Mohamed Bassiri est ensuite convaincu que la finalité de la colonisation espagnole des provinces du sud est de faire du Sahara un département sous contrôle ibérique à part entière. C’est ainsi qu’il se rend en 1968 à Es-Semara, chez l’un de ses frères et cousins, dans le but d’établir un mouvement secret contre le colonialisme. Il envisage de l’appeler le «mouvement d’avant-garde pour la libération du Sahara», qui a connu une forte adhésion de la population locale.

Le mouvement a été à l’origine du soulèvement du 17 juin 1970 à Laâyoune, qui a été réprimé par les forces espagnoles, faisant des dizaines de blessés et de morts. Chef de file des protestations, Bassiri a été arrêté. Depuis, son sort est resté un grand mystère pour tous.

Unioniste ou séparatiste ?

Le 18 juin de chaque année, des séminaires sont organisés au Maroc pour commémorer la mémoire de Bassiri, en tant que combattant de la résistance nationaliste, qui a lutté pour chasser le colonisateur espagnol du Sahara. La Zaouia Bassiria dans la région d’Azilal tient également à marquer le triste anniversaire de cette disparition, tout en appelant le gouvernement espagnol à révéler le sort du combattant.

Dans ce sens, la Zaouia a adressé des courriers aux gouvernement espagnol et aux partis politiques, exigeant que tous les Marocains soient informés sur le lieu de la tombe et de la dépouille de Bassiri, si ce dernier est réellement décédé. Dans ce cas-là, l’institution demande à ce qu’il puisse être «enterré parmi les siens, ses parents et ses frères, dans le cimetière de la zaouia bassiria».

D’autre part, le Front Polisario s’emploie à présenter cette même figure historique comme son «chef spirituel», «leader et négociateur» du «peuple sahraoui». Le mouvement séparatiste revendique être parti des idéaux de Bassiri pour poser ses propres jalons. Il commémore à son tour la disparition de Bassiri, tient des conférences et des événements, en demandant aussi au gouvernement espagnol de révéler le sort du disparu.

Mais dans son argumentaire, le Polisario présente une version différente de celle de la famille Bassiri. Selon le mouvement, cette figure historique serait née à Tan Tan, avant de déménager de Casablanca à Es-Semara, à la suite du harcèlement dont il aurait été l’objet «de la part du Makhzen, après avoir défendu l’indépendance du Sahara occidental et des Sahraouis». D’après le Front Polisario, Bassiri aurait appelé ses partisans à ne pas compter sur le Maroc pour les aider à expulser le colonisateur, mais plutôt à se diriger vers l’est, à savoir l’Algérie.

Le Polisario et la thèse séparatiste

Mais ce qui fragilise le récit du Front Polisario est que lui-même, lors de sa fondation le 10 mai 1973, n’a pas été porteur d’idées séparatistes. Il a plutôt œuvré pour obtenir l’expulsion de l’armée espagnole des provinces du Sahara.

Dans un précédent entretien à Yabiladi, Bachir Dkhil, l’un des fondateurs du front, a déclaré que le mérite de «la prise de conscience de la nécessité de libérer le Sahara avant l’établissement du Polisario» revient au mouvement fondé par Bassiri. Il a expliqué que le 20 mai 1973, 25 personnes, dont lui-même, s’étaient réunies dans la ville mauritanienne de Zouerate et qu’ils s’étaient mis d’accord sur le nom de «Polisario», porteur de huit principes «qui n’incluaient pas l’établissement d’un nouvel Etat».

Il a ajouté que l’objectif était «de faire sortir l’Espagne de Sakia El-Hamra et Oued Eddahab». Selon lui, le nom du mouvement indique le «Front Populaire de Libération de Saguia el-Hamra et Oued Eddahab». «Ici, certains vont demander où est le «Sahara occidental» et pourquoi ne l’avons-nous pas appelé le ‘Front Populaire de Libération du Sahara Occidental’. A cette époque-là, nous ne connaissions pas ce terme. Le nom est venu plus tard, à la suite des interventions de certains partis, surtout après la deuxième conférence organisée sur le territoire algérien», a-t-il encore soutenu.

Bachir Dkhil a expliqué que c’est l’intervention algérienne qui a changé le cours de l’évolution du Front Polisario, d’un front qui lutte pour l’éviction du colonialisme en un front qui appelle à la sécession avec l’Etat marocain. Mahjoub Salek, également l’un des fondateurs du Front Polisario, a auparavant nié, dans un entretien avec Yabiladi, que le front ait eu des idées séparatistes lors de sa création.

Dans une série d’interviews données à notre rédaction, il a déclaré que son fondateur s’était d’abord rendu à Rabat pour obtenir de l’aide. Après que sa demande ait été rejeté, il «a organisé des manifestations à Tan Tan, où se trouvent de nombreux sahraouis, pour demander publiquement l’aide du Maroc dans la libération du Sahara». Ainsi, l’idéologie séparatiste n’est apparue au Sahara que deux ans après la mise en place du Polisario et cinq ans après la disparition de Bassiri.

La famille dénonce la falsification de l’histoire de son fils

La famille de Bassiri tient également des rencontres annuelles au siège de la Zaouia Bassiria, pour exiger toute la vérité sur le dossier de la disparition de son fils. Elle affirme qu’il s’agit d’un «résistant unioniste», qui n’a pas porté d’idéologie séparatiste.

La famille souligne aussi que Bassiri est un «patriote marocain, de père en fils, resté ainsi jusqu’à sa disparition forcée sous les mains de la colonisation espagnole». Les proches accusent le Polisario de s’approprier «l’histoire propre de Bassiri et de la falsifier sans fondements».

Dans ce contexte, Abdelmoughit Bassir, un membre de la famille, s’interroge sur les raisons qui ont poussé l’Espagne à faire disparaître le combattant. «S’il cherchait à se séparer de sa patrie, le Maroc, les espagnols l’auraient soutenu, car il aurait servi leurs intérêts puisqu’ils voulaient séparer le Sahara marocain du reste du royaume. Lorsque les colonisateurs ont su qu’il se battait contre eux, ils s’en sont débarrassés en le faisant disparaître de force», plaide-t-il.

«Les personnes les plus proches de lui sont ses sœurs et ses neveux qui sont encore en vie. Ils vivent dans la zaouia bassiria de Bani Ayat, dans la province d’Azilal, et dans certaines villes du nord du Maroc.»

Abdelmoughit Basir

La famille s’étonne que le Polisario continue d’exploiter le nom de Bassiri «sans preuves», en faisant la promotion qu’il serait le «chef spirituel de la sécession». Elle déplore que cette histoire erronée soit enseignée «aux générations sahraouies dans leurs cursus», et que son image ait été utilisée «dans le l’ouverture de la chaîne satellitaire du mouvement et dans nombre d’activités dans le pays et à l’étranger».

La famille de Bassiri a auparavant déposé une plainte contre l’Espagne, en demandant auprès de la justice que le sort du disparu soit connu. Moulay Ismail Basir, chef de la Fondation Mohamed Basir pour la recherche, les études et l’information, a précédemment lancé un appel aux Sahraouis. «En ce qui concerne la question de la disparition forcée du combattant Mohamed Bassir, nous assurons l’opinion publique nationale et internationale que nous continuerons à recourir à tous les moyens que la loi nous garantit pour connaître la vérité», a-t-il précédemment déclaré.

«Nous disons à nos frères et cousins sahraouis que les derniers événements et l’animosité assumée de certains pays à notre égard et contre notre intégrité territoriale doivent servir de leçon pour chaque citoyen, en particulier les sahraouis qui, plus que jamais, doivent s’unir et annoncer au monde, dans toutes les rencontres et toutes les occasions, que nous sommes dans notre Sahara et sur notre terre, et que les milices du Polisario ne nous représentent en rien, mais qu’elles ne parlent que pour elles-mêmes», a-t-il plaidé.

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