Menu

Grand Angle

Kénitra et ses habitants hantés par la «poussière noire»

«Poussière noire» et «miasmes» font désormais partie du quotidien des Kénitris qui dénoncent depuis 10 ans une fumée noire qui s’abat sur la ville le soir. Les autorités pointent du doigt la centrale thermique, mais assurent que l’air serait «bon» à Kenitra. Témoignages.

Publié
Photo d'illustration. / DR
Temps de lecture: 4'

Depuis dix ans, Kénitra étouffe à cause d’une «poussière noire» mystérieuse et de fumées qui planent sur la ville pendant la nuit. Dénoncé par les habitants et décrié par la société civile, le phénomène a fait l’objet d’investigations à plusieurs reprises, sans que les résultats ne soient dévoilés. Après avoir diminué il y a quelques années, cette pollution de l'air semble être de retour.

«A mon arrivée au Maroc début mai, le sol de mon appartement était couvert de poussière noire. Le soir-même, je n’ai pas pu fermer l’œil, c’était affreux», témoigne la Franco-marocaine Ilham Moustachir. «Mon nez est bouché et une odeur bizarre plane sur la ville le soir. Ma mère, mon frère et plusieurs membres de ma famille souffrent d’allergies depuis quelques années», ajoute-t-elle, dans une déclaration à Yabiladi.

Lorsque elle demande à sa famille, celle-ci lui explique qu’«une fumée noire se dégage le soir, privant les gens de sortir, de respirer et même de laisser leurs linges à l’extérieur». «Le comble est que ce phénomène dure depuis 2012», dénonce-t-elle auprès de notre rédaction.

«Depuis deux jours, j'ouvre difficilement les yeux. J’ai fini par utiliser moi-même les collyres que j’ai ramenés pour ma mère. En France, je n’ai pas de problème d’allergie, d’asthme ou de nez qui coule. Des symptômes que je n’ai commencés à développer qu’une fois chez moi à Kénitra.»

Ilham Moustachir

La centrale thermique de Kénitra pointée du doigt

Sa famille lui a aussi rappelé que «plusieurs manifestations se sont déroulées dans la ville» et que les habitants constatent «des couches de poussières noires tous les matins notamment au niveau des balcons». «Lorsque j’ai cherché sur Internet, j’ai été surprise de lire que les autorités de tutelle avaient assuré avoir testé l’air dans la ville et que la qualité de ce dernier serait "bon", ce qui est grave», dénonce-t-elle.

En effet, en janvier dernier, le ministère de la Transition énergétique et du développement durable a publié un communiqué sur la qualité de l'air dans la ville de Kénitra, assurant que l'indice de qualité de l'air (IQA) au cours des 10 premiers mois de 2021 «est classé dans les catégories "très bon" et "bon" selon le classement en vigueur».

«De la poudre aux yeux !», estime la MRE qui dit souffrir «quotidiennement». «Dimanche matin, j’étais dégoûté. Après le dîner, la veille, j’ai passé un coup de chiffon sur la table avec une serviette mouillée. Le lendemain, en faisant la même chose avant le petit déjeuner, il y avait une sorte de poudre noire sur la nappe de la table, même avec les volets des fenêtres fermés toute la nuit», témoigne-t-elle.

«Deux nuits de suite, cette odeur m’a donné l’impression que quelque chose brûlait dans mon appartement, sachant que j’habite dans la ville haute et des personnes de ma famille habite en bas, près des usines. Il faut passer une soirée à Kénitra pour constater cette pollution. La situation est grave. C’est honteux et scandaleux que rien ne soit fait.»

Ilham Moustachir

Militant associatif originaire de Kénitra, ayant dénoncé le phénomène à plusieurs reprises, Ayoub Krir rappelle que les autorités avaient émis plusieurs hypothèses avant finalement pointer les émissions dégagées par la centrale thermique de Kénitra. «La première réponse était que la cause était la combustion des pneus usagés. Les autorités l’avaient présenté comme problème normal en promettant de mener des actions de sensibilisation et d’empêcher le phénomène», ajoute le président de l’association Oxygène pour l’environnement et la santé. Son association et d’autres ONG avaient pourtant expliqué que cette opération est limité dans le temps et selon un périmètre géographique limité, «tandis que la poussière noire se répand dans de nombreuses zones dispersées».

La poussière noire de retour ces derniers mois

«Deux ans plus tard, le problème est revenu, et il est devenu clair que les justifications des institutions officielles étaient inexactes. Nous avons donc soulevé un certain nombre de questions avant que les autorités ne reconnaissent que certaines usines pourraient en être la cause», ajoute-t-il. Ainsi, plusieurs enquêtes ont été menées. A l’époque, le ministère chargé de l'environnement était également intervenu pour mettre en place des stations de surveillance mobiles afin de mesurer la qualité de l'air. Cependant, «les résultats des mesures effectuées par les stations n'ont pas été rendus publics», dénonce le militant associatif.

«Nous avons effectué des visites sur le terrain en 2014, et nous avons surveillé en permanence les industries, en particulier la centrale thermique et certaines usines qui émettent des fumées toxiques. Il a été constaté que la centrale émet des fumées toxiques noires qui, avec le vent, envahissent la ville.»

Ayoub Krir

Une manifestation à Kénitra contre la poussière noire et la qualité de l'air dans la ville. / DRUne manifestation à Kénitra contre la poussière noire et la qualité de l'air dans la ville. / DR

Pour le président de l’association Oxygène pour l’environnement et la santé, «l'émission de ces fumées se fait tôt le matin ou la nuit pour passer inaperçues». Tout en reconnaissant que les fumées avaient diminué, en raison du changement de combustible industriel au gaz par la station de Kénitra, l’associatif confirme que le problème est revenu ces derniers mois, notamment en octobre 2021 et en février 2022.

Les droit d’accès à l’information et faire payer les pollueurs

L’ONG dénonce, par ailleurs, l’embargo des autorités sur les données. «En l'absence de données officielles, nous ne connaissons pas la composition de cette poussière noire et ses effets sur la santé et l'environnement. Les données mondiales indiquent que ces particules noires volant dans le ciel sont polluantes et composées de molécules toxiques qui nuisent à la santé et peuvent entraîner la mort après avoir causé des maladies cancéreuses», rappelle-t-il.

Le mois dernier, après avoir frappé à la porte du ministère de tutelle à plusieurs reprises, l’association a fait appel à la Loi 31-13 consacrant le droit d’accès à l’information au Maroc pour demander les résultats des enquêtes menées sur le phénomène. «Nous avons demandé aussi de connaître les mesures prises, la stratégie pour réduire le phénomène et quelle en est la cause principale ainsi que les garanties pour que ce phénomène ne se reproduise plus. Malheureusement, nous n'avons pas reçu de réponse, ce qui est contraire à la loi», déplore notre interlocuteur.

«Dans d'autres pays, des études scientifiques de tous les polluants et sous toutes leurs formes, existent. Tout citoyen dont la santé a été touchée à cause de la pollution de l’air peut poursuivre devant la justice l'établissement qui émet ces polluants.»

Ayoub Krir

Pour l’associatif, les usines et centrales qui seront poursuivies en justice «respecteront sans doute les normes environnementales pour éviter des pertes financières importantes». «Bien que nous ayons des lois avancées dans notre pays en matière d'environnement, le problème reste leur mise en application, car la réalité dans certaines régions est franchement honteuse», conclut-il.

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com