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Grand Angle  

Diaspo #233 : Samira El Ayachi, l’écriture intime et engagée au service de l’humanisme

Née dans le bassin minier du nord de la France de parents marocains, Samira El Ayachi a développé sa passion pour la littérature dès son enfance, avec le rêve de devenir écrivaine. Grâce à l’écriture, elle rend aujourd’hui hommage à l’histoire migratoire de sa région de naissance, tout en questionnant l’humanité sur différentes thématiques à travers ses romans.

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Samira El Ayachi, écrivaine
Temps de lecture: 6'

Native de Lens près du bassin minier, Samira El Ayachi est aujourd’hui écrivaine, comme elle l’a rêvé depuis le jeune âge. Elle se rappelle d’une enfance où toutes les nationalités se sont côtoyées autour des mines de la région, petits et grands, dans un environnement où les langues se sont croisées tout naturellement, grâce à la diversité de la main-d’œuvre issue de l’immigration : le polonais, l’italien, l’amazigh, le parler marocain, algérien… Elle découvre la langue française surtout à l’école et prend conscience précocement de son avantage d’avoir accès une instruction scolaire.

«J’ai eu l’intuition qu’il y avait quelque chose à creuser dans la force des mots», a-t-elle confié à Yabiladi. C’est comme cela que l’écrivaine en herbe a commencé à composer ses poèmes à l’école primaire, puis elle trouve refuge dans la bibliothèque de la ville. Elle se crée un espace d’émerveillement et de voyages sans frontières. «Il y a, bien entendu, tous les souvenirs d’enfance avec les autres enfants, les jeux, l’école. Mais l’écriture, la lecture et la bibliothèque m’ont permis une certaine découverte de l’espace de soi et de l’intimité, en contraste avec la promiscuité dans nos quartiers et nos appartements familiaux», dit-elle.

L’écrivaine lit tout ce qui lui tombe sous la main. «J’emportait partout avec moi des livres dans mon sac. J’avais l’impression d’avoir des amis secrets avec qui je partageais des conversations et des univers que je n’avais pas avec les autres», se souvient-elle. Dans sa vie de famille, la fermeture des mines en 1987 marque un tournant. «J’avais 8 ans et mon père, ouvrier de la mine, avait décidé avec ma mère de rester en France», confie l’écrivaine, qui travaillera plus tard, pendant 12 ans, sur un roman inspiré de ce fait déterminant la trajectoire de plusieurs familles. «Le lien avec le pays était maintenu avec les départs pour les vacances d’été à Zagora, Casablanca et Rabat», se rappelle-t-elle encore.

Ph. @PIBPh. @PIB

Une première reconnaissance publique à 16 ans

Au collège, Samira El Ayachi continue sa quête personnelle, animée par sa passion infinie pour la littérature. Elle lit Azouz Begag, émerveillée par les histoires de bidonvilles dans la banlieue lyonnaise et les récits sur des familles qui ressemblent à la sienne. Elle multiplie les lectures, d’Emile Zola à Albert Camus, en passant par Victor Hugo, mais elle ne se sent jamais assez inspirée. «Comme j’avais lu beaucoup, je commençais à rêver d’autre chose. Je me suis mise à écrire mes propres histoires et mes premiers manuscrits», raconte-t-elle.

A 16 ans, Samira El Ayachi réalise une première consécration, après avoir remporté le Prix Louis Germain, concours national d’écriture en France. Elle se souvient d’une anecdote sur sa participation :

«Le sujet demandé était d’écrire une lettre à notre meilleur professeur. J’avais dédié la mienne à ma professeure de seconde, madame Isabelle Brendel, mais mon courrier commençait par "je vous ai détestée, Madame", avant de la remercier d’avoir été exigeante à transmettre le meilleur de la littérature aux enfants des cités minières.»

Samira El Ayachi

Cette distinction révèle plus largement l’attachement de la lycéenne à l’écriture, au point où elle est remarquée par son professeur de philosophie en terminale. «Il m’a encouragée à faire hypokhâgne, les classes préparatoires, voyant que je pouvais en avoir les capacités en branche littéraire. Je me suis trouvée dans un environnement très sélectif. Je ne savais pas que cet enseignement existait, mais j’ai été admise. Les deux années étaient très dures, mais elles m’ont permis de gagner en rigueur et de développer mon sens critique», se rappelle Samira. Elle fait ensuite des études d’ingénierie culturelle en IEP, un master en direction d’équipement dans le secteur culturel et devient responsable d’action culturelle.

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Un retour à l’écriture

A 26 ans, Samira El Ayachi revient à son premier amour pour l’écriture. Elle sort son premier roman, «La vie rêvée de mademoiselle S», qui a été pour elle l’occasion d’un questionnement personnel.

«Il y avait toujours cette question qui me taraudait : après avoir fait tout ce que l’on m’a demandé de faire et réussi mes études, quels étaient mes rêves à moi ? Je voulais être romancière, trouver cette capacité et ce moyen de grandir tout en gardant une part d’enfance en soi, et c’est tout le sujet de ce premier roman.»

Le succès de l’ouvrage est rapide. L’opus est présenté à plusieurs reprises en France et au Maroc, à travers l’Institut français, puis au Salon international de l’édition et du livre (SIEL) de Casablanca, en 2010. Par la même occasion, l’écrivaine redécouve son pays d’origine par elle-même, en dehors du cadre familial. Elle en sort encore plus déterminée à laisser libre court à sa vie rêvée depuis l’enfance.

De retour en France, Samira El Ayachi quitte son emploi et veut «aller jusqu’au bout pour mettre l’écriture au centre de [sa] vie». «J’ai découvert la vie de romancière, les rencontres avec les lecteurs et les lectrices, l’importance de travailler à faire vivre son roman… L’activité a été très intense et cela m’a donné encore plus envie d’avoir une vie consacrée entièrement à l’écriture», nous confie-t-elle.

Maintenir l’inspiration pour l’écriture passe par «garder contact avec le monde», d’où Samia El Ayachi donne régulièrement des ateliers d’écriture. «On garde ainsi la hargne de travailler sur chaque roman comme si c’était le premier», insiste-t-elle. C’est avec la même passion renouvelée qu’elle enchaîne avec la publication d’un second roman, «Quarante jours après ma mort» (2013), qui lui permet de «mettre à plat les questions d’héritage, de la famille, de la tradition, mais avec beaucoup d’humour». En mai prochain, le livre sort dans une édition de poche.

Une vie dédiée aux livres, aux romans, mais pas que

Grâce à son écriture qui s’est rapidement distinguée par sa fluidité, son langage imagé et prêtant à une adaptation aux arts de scène, Samira El Ayachi multiplie les collaborations théâtrales à partir de 2010. En plus de ses romans, elle écrit une quarantaine de textes pour la lecture à voix haute, destinés aux jeux de rôle, aux arts dramatiques ou du cirque, mais aussi à la danse contemporaine.

«J’aime beaucoup que mon écriture reste en lien avec tous ces univers car pour moi, le livre est un élément vivant qui n’a pas à tomber dans l’oubli au milieu des étagères, mais qui a plutôt toute sa place dans différents lieux et espaces de création.»

Samira El Ayachi

L’auteure publie en 2019 son troisième roman, «Les femmes sont occupées», qui sera d’ailleurs adapté au théâtre avec Marjorie Nakache, d’ici l’automne 2022. Dans ce livre, Samira El Ayachi aborde des questions engagées sur l’absence de la femme dans l’espace public, par le fait de sa condition où elle est «trop occupée par la sphère privée pour s’investir davantage à l’extérieur».

«Quand j’étais enfant et que je voulais être romancière, je n’imaginais pas que ma condition allait autant marquer mon chemin. C’est donc un roman à travers lequel je défends le besoin de rappeler que l’humanisme passera par le féminisme. Nous avons besoin de féminin et d’une harmonie avec le masculin dans nos sociétés», indique l’auteure. Dans cet ouvrage et son adaptation scénique, elle s’interroge ainsi sur «comment serait le monde, si sur plusieurs générations, les hommes prenaient soin des plus fragiles comme font les femmes aujourd’hui, en s’occupant des enfants, des personnes âgées ou malades».

«Beaucoup de femmes renoncent à leurs rêves, ce qui est dommage pour elles, et qui coûte à la vie publique aussi car le monde se trouve privé du talent de plusieurs qui sont pourtant "la moitié de l’humanité", et qui auraient pu être des médecins, des cinéastes… C’est une réflexion au-delà de l’histoire individuelle intime, en pensant la condition des femmes avec une dimension politique», explique l’auteure. Il s’agit ainsi d’«une invitation aux femmes à récupérer leur puissance créative et aux hommes à accepter de s’investir plus dans la gestion de la sphère privée, dans une dynamique de changement de paradigme qui peut donner lieu à une révolution culturelle urgente».

Parallèlement à ces écrits publiés, elle fait un travail de documentation minutieux, pour reconstituer l’histoire de l’événement qu’elle a considéré le tourant de sa vie de famille, comme de celle de nombreux enfants des travailleurs du bassin minier dans le nord de la France. Le fruit de son labeur, qui a duré dix bonnes années, est le roman «Le ventre des hommes» (éd. L’Aube, 2021).

Loin d’être historienne, Samira El Ayachi a réussi pourtant à faire un travail que peu d’historiens ont encore accompli, à savoir faire connaître cette partie de la vie ouvrière qui a bouleversé la France de la fin des années 1980, tout en la rendant accessible et lisible par le large public, grâce à son récit romancé.

«Aujourd’hui, ce livre est l’un des plus importants pour moi puisqu’il prend comme point de départ l’histoire d’un groupe de personnes illettrées, dont je suis issue et grâce auxquelles je suis devenue écrivaine, alors que rien ne présageait cette trajectoire», confie l’écrivaine. «C’est cela être auteur : acquérir la capacité d’écrire son destin. C’est créer un espace où cela peut être possible. C’est ma contribution aussi pour faire bouger les lignes, pour plus d’empathie, pour se mettre dans la peau des autres, des mères seules, des jeunes désillusionnés, des jeunes filles, des travailleurs immigrés…», ajoute-t-elle.

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