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Grand Angle

Maroc : Quelle place pour les médias associatifs dans le code de la presse ?

Le Forum des alternatives Maroc (FMAS) a élaboré une étude comparée entre le Maroc et la Tunisie, portée sur le pluralisme et la viabilité des médias associatifs. Réalisée avec Deutsche Welle Akademie (DWA), l’étude questionne le «vide juridique» laissé sur le statut des supports tenus par les ONG.

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Photo d'illustration - Radio Fréquence Paris Plurielle (FPP) / Ph. Yves Hazemann
Temps de lecture: 5'

Les réformes juridiques relatives à l’organisation du secteur médiatique n’ont pas tranché sur le statut des médias associatifs, selon le Forum des alternatives Maroc (FMAS). Intitulée «Impact du nouveau Code de la presse sur les médias associatifs au Maroc à l’heure de la Covid-19», une analyse comparative entre le Maroc et la Tunisie a constaté qu’avec le nouveau cadre législatif fixé par le Code de la presse depuis 2016, «les médias associatifs en ligne peuvent être assimilés à des sites d’information, et se retrouver ainsi dans l’obligation de se conformer aux nouvelles dispositions». Or, les porteurs de ces supports n’ont pas la capacité juridique de devenir des entreprises médiatiques à part entière, conformément à la loi 88.12 relative à la presse et à l’édition. Ils ne peuvent pas non plus se conformer aux exigences de la loi 89.13 sur le statut du journaliste professionnel.

Réalisée par l’expert et ancien journaliste Mahdi Bouziane, sous la supervision de Ghassan Wail El Karmouni, Mahmoud Khattab (FMAS) et Heike Thee (Deutsche Welle Akademie), l’étude a estimé que «l’obligation de disposer d’un directeur de publication répondant aux critères de la loi» constituait «un obstacle supplémentaire pour des médias associatifs ne disposant pas forcément des moyens financiers pour faire appel à des journalistes professionnels». Elle décrit, dans ce sens, une «professionnalisation à marche forcée» dans la loi 89.13, à travers «une définition très restrictive».

Des avancées bridées par la réforme du Code pénal

Les trois lois composant le Code de la presse et de l’édition ont cependant permis «des avancées notables en termes de protection de certains droits des journalistes et de la liberté d’expression». L'étude rappelle l’absence des peines privatives de liberté, les nouvelles dispositions comme la création du CNP, ainsi que l’inclusion des médias électroniques, ou encore la mise en place du principe de la protection judiciaire des sources. Cet arsenal juridique vise désormais à «assurer le droit d’accès à l’information conformément à la loi, consacrer les droits des journalistes, mettre en œuvre l’engagement de l’État à la protection juridique et institutionnelle des journalistes contre les attaques et renforcer dans le texte les garanties de l’indépendance de la presse».

En revanche, le FMAS a considéré que le gouvernement a contourné ces nouvelles ouvertures par des amendements introduits dans la loi 73.15 modifiant et complétant certaines dispositions du Code pénal, concernant l’outrage à la religion, à la monarchie ou aux symboles du royaume. Dans ce texte, les peines ont été alourdies et l’article 275 punit ces actes, notamment s’ils sont commis à travers un «moyen imprimé ou électronique», incluant de ce fait la presse papier et en ligne.

Le FMAS a rappelé par ailleurs certains cas de poursuites de journalistes en détention préventive sur la base de plaintes vexatoires. Depuis 2019, ces poursuites se sont élargies à des journalistes, mais également à de simples internautes, à des acteurs associatifs ou à des Youtubeurs ayant exprimé des opinions sur les réseaux sociaux, a souligné le FMAS. Il note que les condamnations se sont faites principalement pour le motif de critique au roi Mohammed VI, à des institutions étatiques et à des fonctionnaires de l’Etat.

L’étude a rappelé aussi que dans son rapport annuel de 2019, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) est revenu sur les cas de poursuites à cause de la publication de contenus sur les réseaux sociaux. Il a exprimé ses préoccupations, «particulièrement quand il s’agit de formes d’expression jouissant de la protection de la communauté internationale des droits de l’Homme». Face à la recrudescence de ces procès et leur continuité en 2020, le Conseil a préconisé une réponse en phase avec les exigences constitutionnelles et les mécanismes onusiens, à mettre en œuvre au niveau exécutif, législatif, judiciaire et administratif à différents niveaux.

Une adaptation des médias associatifs au cadre juridique présent

Dans un registre lié, le projet de loi 22.20 relatif à l’utilisation des réseaux sociaux, des réseaux de diffusion et réseaux similaires a été adopté en conseil de gouvernement sous El Othmani, le 19 mars 2020, suscitant les préoccupations des ONG. Aucun document officiel n’est disponible, mais «plusieurs fuites ont permis de juger du caractère liberticide de certaines dispositions pénales», selon le FMAS, qui y relève une vague définition du terme de «fake news».

L’une des dispositions de ce texte porte sur l’utilisation délibérée de ces moyens «pour publier ou promouvoir un contenu électronique contenant de fausses informations», passible de trois mois à deux ans de prison et d’une amende de 1 000 à 5 000 dirhams. «Certains articles fuités démontrent de la volonté du gouvernement de contenir les appels au boycott de produits, et sanctionne l’incitation du public au retrait massif de l’argent des établissements de crédit et organismes assimilés avec des peines allant de 6 mois à 3 ans de prison et une amende de 5 000 à 50 000 dirhams», s’est inquiétée l’ONG.

Dans ce contexte, le FMAS s’est interrogé sur l’adaptation des médias associatifs à l’environnement juridique actuel et au cadre mis en place pour le secteur. Citant des professionnels du champs médiatique dans le pays, il note que le Code la presse a «mis des contrôles» sur le statut du journaliste «à l’encontre de la législation internationale sur la question de la pluralité des média». Aussi, chez le régulateur du champs audiovisuel, la conception de la pluralité «ne concerne que la question de la représentation des partis politiques et des corps intermédiaires», principalement sur la répartition du temps de parole.

Dans son comparatif avec la situation en Tunisie, l’étude indique que «la volonté du législateur tunisien a été, sur chacun des textes de lois qui touche au domaine des radios associatives et des médias associatifs, beaucoup plus favorable à la création, au développement et à la pérennisation d’un tiers secteur audiovisuel porté par les associations». Au Maroc, une tendance inverse a été observée, «rendant aujourd’hui le cadre légal dans lequel ces médias peuvent évoluer extrêmement précaire», a souligné le FMAS. De ce fait, il estime que «la viabilité d’un secteur médiatique associatif ainsi que celle de médias à fort ancrage local est aujourd’hui remise en cause» au niveau de la viabilité sociale, institutionnelle et financière.

Pour le FMAS, «une nouvelle mobilisation de la société civile marocaine en faveur d’une véritable ouverture du champ médiatique aux associations sera nécessaire» dans les réformes à venir. L’ONG recommande ainsi une promotion de la pluralité plus élargie, notamment par la création d’un «observatoire de la pluralité et de la diversité des médias». L’instance pourra «fournir un soutien en matière de connaissances aux processus politiques et réglementaires nationaux», tout en sensibilisant à l’importance du pluralisme et en contribuant à sa protection, à travers une synergie entre universitaires, décideurs, régulateurs, acteurs du marché et journalistes.

Le FMAS préconise également un renforcement des entités représentatives des médias locaux et régionaux, mais aussi l’organisation d’un débat national sur la réforme du Code de la presse. Cette dynamique devra se pencher notamment sur les garanties que ce texte «doit offrir pour la diversité et de la pluralité des médias». «Au-delà des aspects techniques et légaux», le FMAS appelle à «porter le débat sur la liberté de la presse et la liberté d’expression en général et de l’appréhender sous l’angle du pluralisme dans les médias, entendu de façon élargie et dans toutes ses dimensions».

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