Pour la deuxième fois en moins de deux mois, le gouvernement français vient d’annoncer qu’il souhaitait rapatrier «une partie des centres d’appel des opérateurs télécoms délocalisés» au Maghreb. A l’origine de cette annonce, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a fait comprendre aux dirigeants des principaux opérateurs télécoms du pays (SFR, Bouygues Télécom Orange) que la relocalisation des emplois dans l’Hexagone constituait l’une des priorités de son gouvernement. «Pour 10.000 emplois relocalisés sur le territoire, cela coûterait en moyenne par forfait et par mois une vingtaine de centimes de plus pour les consommateurs» a-t-il expliqué sur les ondes de France Inter hier matin, avant de rajouter : «est-ce que les consommateurs sont prêts à accepter une légère hausse de prix en contrepartie de la relocalisation d’emplois qui sont en train d’être détruits ? Cette question mérite d'être posée au plan national».
Rapatriement des hotlines : il existe de nombreux freins selon le PDG d’Orange
Sauf qu’avant de poser des questions rhétoriques, le ministre français ferait bien de s’interroger sur la validité de ses propres calculs. Comme le démontre le site web zednet, si la hausse effective de 20 centimes par mois du prix des communications se soldait par un revenu supplémentaire de 166,8 millions d’euros par an pour les opérateurs téléphoniques, elle se traduirait aussi par une majoration du coût de leur masse salariale comptable (incluant charges sociales et patronales) de plus de 240 millions d’euros. 240 millions d’euros auxquels – cerise dispendieuse sur le gâteau – il faudrait ajouter «d'autres frais comme la logistique ou l'immobilier». Par conséquent, même en prenant «en compte les économies générés dans les effectifs délocalisés», le compte n'y serait pas.
A ces calculs erronés, il faut ajouter deux autres considérations pratiques que la mesure du ministre du Redressement productif occulte totalement : les horaires de travail et les relations diplomatiques entre la France et ses partenaires maghrébins. En effet, aujourd’hui, de nombreuses hotlines sont accessibles 7 jours sur 7, 24h sur 24, y compris les jours fériés. ««Jusqu'à ce jour, il est strictement impossible d'organiser cette disponibilité continue avec les salariés du groupe en France» estime le PD-G d’Orange, Stéphane Richard. Par ailleurs, relocaliser des emplois en France, alors que celle-ci a assuré «la continuité de sa présence téléphonique» en Afrique du Nord, serait perçu comme une forme de désengagement par ses partenaires maghrébins : «Ce serait un peu compliqué aujourd'hui d'expliquer aux autorités tunisiennes ou marocaines qu'on va rapatrier des centaines de milliers d'emplois demain matin en France» explique-t-il. Les conséquences diplomatiques pourraient être fâcheuses.
Conséquences pour le Maroc : «plus de 5000 emplois menacés»
De fait, elles le sont déjà. Au Maroc tout du moins. Dans le royaume, l’annonce d’Arnaud Montebourg de rapatrier les emplois des calls center en France a suffit à elle seule à embraser le champ de la polémique. Une polémique justifiée en regard de l’incohérence flagrante entre les propos du ministre et ceux de la ministre du Commerce Extérieur français, Nicole Bricq, qui lors de son passage au Maroc il y a moins d'une semaine, avait déclaré : «La France a besoin d’un Maroc fort, un Maroc où nos entreprises exportent, s’installent, créent de l’emploi, des richesses… C’est ce que j’appelle la co-localisation».
Outre l'incongruité de ce double discours, l'ire que suscite au Maroc cette décision parait d’autant plus justifiée que le secteur national des centres d’appel dépend à plus de 80% du marché français. «5000 postes sont menacés au Maroc, si jamais la décision de Montebourg est appliquée» prévient le président de l’Association Marocaine de Relations Clients (AMRC), Youssef Chraïbi. Il estime néanmoins que «pour des raisons de logiques économiques, il y a très peu de chances qu’un tel rapatriement ait lieu, aussi bien pour les opérateurs télécoms […] que pour les consommateurs, majoritairement hostiles à payer un service qui leur est gratuitement rendu aujourd’hui». Reste à savoir qui des intérêts politiciens des uns, qui des intérêts commerciaux des autres, aura préséance dans cette affaire qui jette un voile encore plus sombre sur le devenir des relations diplomatiques franco-marocaines.