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Grand Angle

Le Maroc appelé à franchir l’étape finale pour l’abolition de la peine de mort

Dans le cadre de plusieurs jours de mobilisation dans le cadre de la Journée mondiale contre la peine de mort, les instances marocaines associatives et institutionnelles ont réuni leurs appels, demandant à ce que le Maroc franchisse un dernier pas vers l’abolition officielle.

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Photo d'illustration / Ph. CNDH
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Cette année, la journée mondiale contre la peine de mort est consacrée aux femmes et la peine de mort. Jusque-là, leurs histoires «sont des réalités invisibles», selon Nouzha Skalli, coordinatrice du Réseau marocain des parlementaires contre la peine de mort. «Bien sûr, nous militons pour l’abolition universelle de la peine de mort, mais si on se penche sur la réalité des femmes condamnées à mort, on trouve des liens étroits avec des discriminations et des violences fondées sur le genre ou des stéréotypes et des préjugés qui stigmatisent les femmes et les exposent à une condamnation à mort sans considérer les circonstances atténuantes dont elles pourraient bénéficier», a-t-elle déclaré dans son intervention au Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), à l’occasion de cette journée mondiale.

Haut-Commissaire aux droits de l’Homme auprès des Nations unies, Michelle Bachelet a en effet rappelé en 2019 que «les femmes sont confrontées à une discrimination fondée sur le sexe ; en appliquant la peine de mort, par exemple, en ce qui concerne les comportements pour lesquels les hommes ne risquent pas d’être exécutés, ou même ne pas être poursuivis». Au Maroc et sur les 74 condamnés à mort dont la peine n’est pas exécutée, deux femmes se trouvent dans les couloirs de la mort.

«Le faible nombre de ces femmes condamnées à mort ne doit pas nous empêcher d’accorder une importance particulière à leurs conditions de détention, de même qu’on met en lumière les conditions difficiles que vivent les condamnés à mort d’une façon générale et d’élargir le mouvement sociétal en faveur de l’abolition de la peine de mort au mouvement féminin qui milite pour les droits humains des femmes, sachant que le droit à la vie est le droit premier de tous les êtres humains.»

Nouzha Skalli

Dans le même sens, le président de l’Observatoire marocain des prisons, Abdellatif Reffoua, a souligné que «les instruments juridiques internationaux ne traitent pas les cas de discrimination fondée sur le sexe auxquels sont confrontées les femmes au niveau juridique et social», notamment en termes de condamnations à la peine de mort. Pour lui, les facteurs sont «souvent liés à d’autres éléments d’identité tels que l’âge, l’orientation sexuelle et l’origine ethnique». «Ces préjugés pèsent lourdement dans la condamnation à la peine de mort», a-t-il estimé, indiquant qu’«il est très important de tirer la sonnette d’alarme sur les cas de discrimination dont les femmes sont victimes et leurs conséquences sur la sanction qui leur est infligée».

Présidente du CNDH, Amina Bouayach a d’ailleurs indiqué que l’institution était en contact avec les deux femmes condamnées à mort au Maroc. «Le conseil communique avec elles lors des visites, de même qu’il est en contact avec la femme qui a bénéficié de la grâce royale l’année dernière», a-t-elle indiqué lors de la même conférence, soulignant par ailleurs que lorsqu’il s’agit de condamnées à mort, exécutées, acquittées ou graciées, les statistiques manquent de manière globale.

«Les femmes continuent de subir une discrimination fondée sur le sexe, même dans les condamnations et les conditions de détention. Selon les données disponibles en 2020, 16 femmes ont été exécutées dans le monde et 7 pays comptaient au moins une femme dans le couloir de la mort.»

Amina Bouayach

En 2019, le Conseil a plaidé pour l’abolition de la peine de mort dans sa réforme du Code pénal, tout en appelant les pouvoirs publics à voter pour le moratoire mondial sur l’application de la peine de mort. «Notre processus de plaidoirie sur la peine de mort doit renouveler et généraliser les réponses à bon nombre d’hypothèses et de questions basées sur un malentendu, selon lequel la peine de mort est le seul moyen de dissuasion pour les crimes graves», a indiqué Amina Bouayach.

L’éducation et les médias pour une meilleure sensibilisation au droit à la vie

Le CNDH a par ailleurs estimé que «le dossier de l’abolition de la peine de mort au Maroc est devenu, grâce au travail du front abolitionniste marocain, un dossier fondamental des droits de l’Homme qui jouit d’une remarquable portée politique, juridique et institutionnelle, devenant un pôle culturel pluraliste au niveau sociétal avec ses forces vives et démocratiques». Dans le cadre de cette dynamique, la notion de l’éducation aux droits humains revêt une importance capitale, puisqu’elle permet d’introduire le débat sur l’abolition auprès des plus jeunes.

Coordinatrice du Réseau des enseignantes et enseignants contre la peine de mort, Malika Ghabbar a souligné que l’école était «l’une des portes d’entrée les plus importantes de l’éducation aux droits humains et l’appropriation de ces derniers, avec l’acquisition de la capacité de les défendre». «Le Réseau s’engage à défendre le droit à la vie en fournissant les outils et les compétences à cet effet et promouvoir ce droit à travers la sensibilisation et le plaidoyer pour la compatibilité de la législation nationale avec les conventions internationales», a-t-elle indiqué lors de son intervention. Nouvellement créé le 14 novembre 2020 en tant que membre de la Coalition marocaine contre la peine de mort, le réseau «constitue une étape qualitative dans le mouvement pour revendiquer l’abolition de la peine de mort», selon Malika Ghabbar.

«L’implication des femmes et des hommes dans l’éducation à la protection du droit à la vie est considérée comme une étape de grande importance pour influencer la voie de l’abolition de la peine de mort, d’autant que capitaliser l’école peut réduire l’écart entre les attitudes générales et le comportement réfléchi.»

Malika Ghabbar

Coordinateur du Réseau des journalistes contre la peine de mort, Mohamed El Aouni a estimé d’ailleurs que la création de cette dynamique au sein des professionnels des médias traduisait «une prise de conscience sur l’apport des médias dans cette bataille, de façon à unir les forces pour défendre les valeurs des droits. 

Me Abderrahim Jamaï, Coordinateur du Réseau des avocats contre la peine de mort, a rappelé pour sa part que le Maroc n’avait pas appliqué la peine de mort depuis plus d’un quart de siècle. Il s’agit pour lui d’«une position transitoire et un choix circonstanciel dicté par des visions et des contextes ambigus», dans la mesure où «aucun gouvernement marocain, depuis la dernière exécution au Maroc en 1993, ne s’est adressé à l’opinion publique avec une transparence politique en la matière, en révélant notamment les raisons pour lesquelles cette application est suspendue malgré la condamnation de dizaines de détenus». Selon le coordinateur, il s’agit aussi d’un signe de «la faible volonté politique des acteurs gouvernementaux et parlementaires d’aller vers l’abolition», comme en témoigne «l’abstention des autorités lors du vote répété sur la décision de suspendre la mise en œuvre au sein de l’Assemblée générale des Nations unies».

L’avocat et ancien bâtonnier a exprimé une «crainte légitime de maintenir la peine de mort comme une épée de Damoclès, tributaire du citoyen et de la conscience de la justice».

«Il y a dix ans, nous avions aspiré à l’abolition constitutionnelle et nous avons attendu dix ans, en espérant que la classe politique et les pouvoirs publics gagneraient en maturité, dans un climat mondial qui pousserait à l’abolition (…) Cette disposition pénale contredit l’Etat de droit et la constitution.»

Me Abderrahim Jamaï

A quelques mois du nouveau vote pour le moratoire contre la peine de mort au sein de l’ONU, d’ici la fin 2021, Abderrahim Jamaï a appelé «toutes les instances politique décisionnelles nationales à faire le dernier pas en réponse à la nécessité sociétale, légale et constitutionnelle d’abolir la peine de mort».

Article modifié le 18/10/2021 à 17h45

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